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Une Bretagne pleine de merveilles

Le chevalier Calogrenant
Le chevalier Calogrenant

© Bibliothèque nationale de France

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Se déroulant dans un passé revisité par les valeurs féodales, les récits arthuriens font amplement appel au merveilleux. Fées, dragons et autres châteaux enchantés surgissent au détour des mots, appelant avec eux un imaginaire d’origine celtique. Celui-ci connaît toutefois de profondes transformations, entre christianisation et rationalisation.

Un merveilleux aux origines celtiques

Plus que tous les autres textes littéraires du Moyen Âge, les romans arthuriens font une place notable au merveilleux. Ces récits de chevalerie dont les personnages sont issus d’un passé légendaire se déroulent dans un univers anachronique – celui du monde féodal médiéval –, mais ne se cantonnent pas dans un réalisme étroit. Ils laissent apparaître des traces de merveilleux, voire des épisodes surnaturels. Les motifs romanesques que les auteurs médiévaux reprennent dans les romans de la Table ronde proviennent le plus souvent d’une matière celtique ancienne, elle-même déjà teintée de merveilleux : lieux et objets magiques, rencontres avec des êtres surnaturels, croyance à un autre monde.

Lancelot passant le Pont de l’Épée
Lancelot passant le Pont de l’Épée |

© Bibliothèque nationale de France

Lancelot dans la charrette d’infamie
Lancelot dans la charrette d’infamie |

© Bibliothèque nationale de France

La matière arthurienne, au cours des siècles, c’est-à-dire depuis le 6e siècle jusqu’au 12e siècle, a certainement été proche de ces motifs merveilleux qui se sont transmis essentiellement de façon orale, sans laisser de traces écrites directes. Cela explique que les allusions à certains personnages ou lieux liés au merveilleux tels que Merlin, les fées Morgane ou Viviane, les lacs et les fontaines soient seulement épisodiques ou que certains motifs gardent leur mystère : quel est le sens de la charrette sur laquelle monte Lancelot dans le roman du Chevalier de la Charrette ? s’agit-il d’un objet venu d’un autre monde ? Quel est le « pays dont nul ne se retourne » ou Guenièvre est emmenée ? S’agit-il du pays des morts ou d’un pays où géants et fées existent encore ?

Au commencement, le royaume de Logres

Le royaume arthurien est souvent désigné par le nom de Logres, « qui fut jadis la terre aux ogres » avant d’être le royaume de Bretagne. La terre passait pour avoir été habitée par des géants sauvages que Brutus chassa lorsqu’il s’installa dans l’île. Arthur à son tour doit se mesurer à eux et Geoffroy de Mommouth raconte comment il combattit un géant d’une taille extraordinaire venu d’Espagne qui avait enlevé Hélène, la fille du duc Hoël : l’étouffant sous son étreinte, il l’emmena au sommet du Mont-Saint-Michel. Arthur trancha la tête du géant, coupa sa barbe et libéra le pays du monstre. Dans le Conte du Graal, un autre géant, le roi des Isles, mène ses troupes à l’assaut du roi de Carmélide dans l’espoir d’enlever et posséder Guenièvre. Une variante de ce motif se trouve dans le roman de Tristan : le héros défie et tue le Morholt, géant qui exige un tribut annuel de jeunes gens à la cour du roi Marc. Les romans arthuriens gardent le souvenir de ces êtres monstrueux qui imposent leur volonté aux humains : Yvain, dans Le Chevalier au Lion, affronte Harpin de la Montagne, abominable créature, qui a pris les six fils d’un chevalier et veut s’emparer de sa fille pour en faire son plaisir. Il combat aussi les deux fils de Netuns, des géants proches de l’animalité. D’autres personnages sont des avatars de ces êtres menaçants : Méléagant, qui règne sur le royaume de Gorre dans Le Chevalier de la Charrette, ou Esclados le Roux, qui garde la fontaine magique dans Le Chevalier au Lion.

Lancelot prisonnier de la fée Morgane dont il dédaigne l’amour
Lancelot prisonnier de la fée Morgane dont il dédaigne l’amour |

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Anges emportant le Graal, la lance et le tailloir dans le Ciel
Anges emportant le Graal, la lance et le tailloir dans le Ciel |

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Les êtres surnaturels ou les merveilles se manifestent le plus souvent lorsque le chevalier s’est éloigné de la cour. Aux confins du royaume s’étendent des régions non civilisées, forêts ou landes, d’où surgissent des personnages qui semblent appartenir à un autre monde : des nains, comme celui qui conduit la charrette d’infamie sur laquelle monte Lancelot et qui semble en relation avec le monde des morts, ou bien comme le nain d’Yder, qui insulte une suivante de la reine et Érec lui-même. Des demoiselles étranges aussi se trouvent sur le chemin des chevaliers. Seules, au plus profond d’une forêt ou à proximité d’une fontaine, elles semblent connaître le passé et l’avenir des héros, précieux jalons sur la route du chevalier. Figures féeriques tout comme Laudine et Lunette dans Le Chevalier au Lion, elles semblent venir d’un autre monde sans que jamais le nom de fée ne soit prononcé par Chrétien de Troyes.

Concilier merveilleux et christianisme

Les auteurs du Moyen Âge se sont trouvés devant une matière celtique riche, mais déjà transformée par le temps ou même partiellement oubliée au 12e siècle. De plus, bien que la littérature arthurienne soit considérée comme une littérature de fiction et de divertissement, le poids de l’Église pèse sur le travail des clercs et les pousse parfois à rationaliser les motifs merveilleux. Les enchantements magiques, les phénomènes extraordinaires troublent les esprits chrétiens et passent souvent pour relever de l’action du diable. Malgré les changements de mentalité, les auteurs du Moyen Âge qui racontent les aventures des chevaliers arthuriens ont choisi de conserver dans leurs récits un certain nombre d’éléments merveilleux, donnant ainsi à leurs ouvres une poésie profonde et suggérant un lien avec un passé mythique. Les historiens comme Wace et Geoffroy de Mommouth ont conservé certaines de ces traces anciennes de merveilleux et Chrétien de Troyes, véritable fondateur de la littérature arthurienne française, a lui aussi étésensible à la séduction du merveilleux et l’a utilisé pour orner ses récits.

Aspects du merveilleux dans les romans du 13e siècle

Les romans composés au 13e siècle donnent au merveilleux une place plus visible. Celui-ci revêt alors deux formes : des motifs profanes anciens sont repris et développés, tandis que d’autres reçoivent une signification chrétienne. C’est ainsi que le roman de Lancelot en prose explique ce que ne disait pas Chrétien de Troyes, par exemple comment le jeune Lancelot a été enlevé puis élevé par la Dame du Lac ou comment il rencontre dans les forêts bretonnes la fée Morgane qui, par jalousie, l’enferme dans son château enchanté.

La ronde magique

Lancelot du Lac
Ils sont tant allés qu’ils sont parvenus à une très belle prairie, devant une tour où une trentaine...
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Les chevaliers, en particulier Lancelot ou Gauvain, sont confrontés à des aventures périlleuses, souvent irrationnelles et merveilleuses. Ils sont hébergés dans des châteaux étranges où ils doivent dormir dans des lits piégés, se battre contre des objets magiques, comme des échiquiers dont les pièces se déplacent toutes seules, ou contre des armes exceptionnelles, lances ou épées, qui se meuvent toutes seules. Ces scènes sont nombreuses et représentent autant de métaphores des périls auxquels les héros doivent s’exposer. D’autres romans multiplient ce type d’aventures merveilleuses, voire fantastiques. Ainsi, dans Les Merveilles de Rigomer, Lancelot affronte successivement un chevalier géant, un serpent, une lance magique paralysante, un anneau qui fait perdre la raison et des chevaliers qui se multiplient quand on les tue. Dans La Mule sans frein, Gauvain se trouve face à des bêtes sauvages qui s’inclinent devant un cheval magique, puis il pénètre dans un château tournant… ; dans La Vengeance Raguidel, il arrache au cadavre porté par une nef magique un tronçon de lance qui lui sert à tuer le meurtrier.

Le surnaturel chrétien se développe surtout dans les continuations du Conte du Graal et dans La Quête du Saint-Graal. Les différentes visites au château du Roi-Pêcheur sont marquées par des signes surnaturels : une voix venue du ciel guide les chevaliers, une nef miraculeuse les emmène, des chapelles vides sont sur leur chemin, des rencontres inquiétantes (chevaliers noirs, créatures diaboliques…) se présentent à eux… Quand le Graal apparaît, il ne s’agit plus d’une écuelle proche des plats celtiques ou d’un objet magique, mais d’un vase reliquaire au sein duquel se manifeste un miracle : l’apparition du Christ sous la forme d’un enfant. Présenté comme le vase qui a recueilli le sang du Christ, il acquiert dans ces textes une dimension spirituelle et manifeste les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption.

Il y a donc une profonde ambiguïté de la merveille dans la littérature arthurienne : l’imagination des auteurs est nourrie par tous les motifs merveilleux que la tradition celtique leur a léguée, mais ils choisissent tantôt de les rationaliser, tantôt de les christianiser. Dans tous les cas, le merveilleux donne son sens à l’action des chevaliers : ils doivent mettre fin aux aventures de Bretagne en dissipant les enchantements, c’est-à-dire les manifestations du démon. Mais qu’il soit distillé en touches discrètes ou largement développé, le merveilleux donne avant toutaux romans arthuriens une part de rêve et de poésie.

Viviane élevant Lancelot
Viviane élevant Lancelot |

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Les chevaliers à la table du Graal
Les chevaliers à la table du Graal |

© Bibliothèque nationale de France

Provenance

Cet article provient du site Arthur, la légende du roi (2009).

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