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Un contexte favorable

Présentation de l’ouvrage à Philippe le Bon
Présentation de l’ouvrage à Philippe le Bon

© Bibliothèque royale de Belgique

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Au milieu du 15e siècle, le comté de Flandre compte 700 000 habitants, dont un tiers dans les villes : une concentration urbaine sans précédent en Europe. Les grandes cités de la région attirent les meilleurs artisans, les ports peuvent à peine faire face aux volumes de marchandises quotidiens. Dans ce contexte de prospérité économique, les Pays-Bas méridionaux deviennent un intense foyer de création artistique.

Des métiers soutenus par les guildes

Organisations de solidarité, les guildes protégeaient les intérêts communs d’un groupe, artisans ou commerçants. D’abord apparues dans l’Europe du Nord-Ouest, elles se sont propagées aux 15e et 14e siècles dans l’ensemble de l’Europe avec le développement des liens commerciaux. Les guildes d’artisans, apparues au 12e siècle, géraient la surveillance de la qualité des produits et assuraient la protection des marchés. Leur contrôle portait sur l’atelier du maître-artisan, mais aussi sur l’échange des compétences entre les ateliers collaborant à la fabrication d’un même produit.

Alors qu’en Italie à la même époque, les villes de Venise et de Gênes étaient en concurrence frontale, les villes du Nord ont constitué des unions commerciales – les Hanses – formées de plusieurs guildes urbaines, de plusieurs villes voisines ou visant le même marché. Elles se prémunissent ainsi des dangers du négoce en obtenant notamment l’appui d’autorités étrangères. Au 13e siècle, la plupart des guildes ont disparu lorsque la croissance économique imposa de nouvelles structures d’entraide, plus spécifiques : les métiers. Les corps de métiers rassemblant des commerçants ou artisans d’un même métier. Pour la bourgeoisie, ce fut l’occasion de mettre en place un réseau de solidarité horizontale dans un monde ne fonctionnant que sur l’entraide verticale des rapports vassaliques.

Ces organisations professionnelles tentaient, avec l’aide des autorités citadines, de contrôler et protéger les artisans. Les membres furent assurés du monopole de leur activité et de l’exclusivité du marché de la ville en échange d’une réglementation de la fabrication, des horaires de travail et des salaires. Ces organismes, néanmoins, reposaient sur une stricte hiérarchie (maîtres, valets ou compagnons et apprentis) dont la plupart les responsables ne laissaient accéder à la maîtrise que les jeunes gens issus de familles de maîtres.

Combat des vices
Combat des vices |

© Bibliothèque royale de Belgique

On a constaté l’effet positif et facilitateur à Bruges, au 15e siècle, et à Anvers, à la fin du 15e et au 16e siècle, que produisait dans le secteur artistique, la Guilde de Saint-Luc, une corporation très active, chapeautant plusieurs secteurs, à savoir les peintres, miniaturistes, orfèvres, sculpteurs, verriers, brodeurs, etc. De telles corporations contribuaient en effet à compresser le coût des transactions grâce à l’organisation et à la régulation des marchés. Elle était en outre le cadre dans lequel le savoir-faire et les connaissances techniques étaient transmis dans les petits ateliers. La formation et l’apprentissage dans le cadre d’une association corporative faisaient partie intégrante du processus culturel de production.

Toutefois certains artistes ont pu trouver trop contraignantes les réglementations des guildes qui cherchaient à réguler leur travail. Ainsi Le Tavernier s’est-il installé dans une petite ville, Audenarde, sorte de « zone franche » entre Gand et Tournai, où il put développer ses activités en toute liberté.

Echanges et mobilité des artistes flamands

Les distances courtes à l’intérieur des Pays-Bas et les excellentes voies de communication, dont les plus efficaces étaient les voies navigables, ont permis l’apparition de réseaux urbains reliant Flandre, Brabant, Hainaut, etc. Les activités des artistes et leur relation avec les commanditaires ne se confinaient pas à l’intérieur des frontières des terres seigneuriales. Les artistes entretenaient des contacts entre eux et partaient facilement s’établir dans d’autres villes. Une fois établi et accepté quelque part, on y restait rarement : une grande mobilité interne caractérisait le secteur des métiers du luxe. Les artistes « flamands » étaient nombreux à travailler dans des pays comme l’Espagne ou l’Italie, ou dans les villes hanséatiques. Un circuit commercial international dont Bruges fut le centre incontesté aux 14e-15e siècles avec, dans le métier de la peinture, quelque 469 nouveaux maîtres désignés à Bruges entre 1456 et 1550. Grâce à leur réseau urbain exceptionnel, les Pays-Bas méridionaux étaient en effet le vivier et le pôle d’attraction idéal pour les artistes en tous genres. Un tel essor n’était possible que dans une économie prospère et bien développée, caractérisée par un haut degré d’intégration, une connexion avec les réseaux commerciaux internationaux et une accumulation de capital, grâce notamment à l’industrie drapière alors florissante en Flandre et au Brabant.

Double page partagée entre le Maître d’Édouard IV (fol. 48v.) et Jean Le Tavernier (fol. 49)
Double page partagée entre le Maître d’Édouard IV (fol. 48v.) et Jean Le Tavernier (fol. 49) |

Bibliothèque nationale de France

En dépit de la grande variété des situations corporatives dans les villes, une certaine équivalence des niveaux de compétence, reconnue de facto, favorisait la mobilité. Rien n’empêchait un apprenti d’effectuer son écolage chez un maître « étranger », dans la mesure où cette expérience acquise pouvait être valorisée dans n’importe quelle autre ville. Une fois la maîtrise acquise, les enlumineurs n’étaient pas rivés chez eux. Les plus entreprenants n’hésitaient pas à chercher des débouchés dans des régions plus prometteuses. En s’expatriant, ils emportaient avec eux un bagage acquis à l’échelle locale, qu’ils contribuaient à faire essaimer. Ceux dont le talent était largement reconnu étaient bien entendu enclins eux aussi à se déplacer vers des centres qui leur assureraient des commandes à la hauteur de leur renommée.

Les déplacements d’artistes ne sont pas nécessairement motivés par des raisons socio-économiques. Des circonstances politiques pourraient également avoir été déterminantes. La cour a pu faire office de liant et peut-être contribué au métissage des styles. De toute évidence, les ducs de Bourgogne prirent soin de recruter leurs enlumineurs parmi les meilleurs artisans actifs dans leurs territoires. De grands chantiers comme les Chroniques de Hainaut ou le Roman d’Alexandre impliquèrent la collaboration de copistes et d’enlumineurs actifs dans plusieurs villes, en l’occurrence Mons, Bruges et Bruxelles.

Provenance

Cet article provient du site Minitatures flamandes (2011).

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