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L’aventure humaine : renouer le lien brisé ?

Arche de Noé, tour de Babel et “songe de Jacob”: des mythes associés
Arche de Noé, tour de Babel et “songe de Jacob”: des mythes associés

Bibliothèque nationale de France

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Pourquoi l’homme ? Une question qui hante toutes les mythologies. Situé entre l’animal et les dieux, l’homme semble toujours dans un entre-deux, comme si son destin était de renouer les liens brisés de la création.

La séparation

La rupture du lien

L’ascension des âmes humaines à travers les sphères célestes
L’ascension des âmes humaines à travers les sphères célestes |

Bibliothèque nationale de France

Ciel et Terre au commencement étaient si proches que l’on pouvait sans peine passer de l’un à l’autre. La paix régnait sur la Terre. L’homme cueillait pour se nourrir de simples morceaux de ciel que sa main pouvait atteindre.
Mais les hommes, dit-on du moins en Afrique, étaient si à l’étroit dans l’étreinte du couple cosmique que ce qui devait arriver se produisit : un coup de pilon à bouillie, un geste un peu trop vif ou peut-être un bref mouvement d’humeur heurtèrent la voûte du Ciel qui se retira très loin dans les hauteurs. Le lien – liane, corde, échelle ou pont –, qui unissait la Terre au Ciel était définitivement rompu. La vie des hommes en fut bouleversée, ils purent enfin se redresser mais ils durent renoncer à leurs courses dans les jardins du Ciel, ils connurent la famine et la mort.

Le début de l’aventure humaine

Avec cette séparation commence la véritable aventure humaine et naît la civilisation ; la reconstitution du lien brisé devient une de ses préoccupations centrales.

La tour de Babel
La tour de Babel |

Bibliothèque nationale de France

Ainsi, à Babel, si l’on en croit le récit biblique, les hommes avaient construit une immense tour dont le sommet devait toucher le ciel ; or le nom « Babel » signifiait en akkadien « Porte du Ciel » et il semble bien que la fonction essentielle de toutes les ziggourats mésopotamiennes était d’établir un lien entre Ciel et Terre. C’était là que le roi et la reine reconstituaient le mariage sacré des origines.
Dans le folklore européen, les mâts de Cocagne à la cime desquels étaient suspendus jambons et victuailles rendus inaccessibles par le savon dont on enduisait le tronc, renouaient avec cette ancestrale nostalgie de l’Âge d’Or, cet irrépressible désir de retrouver un instant les joies du ciel devenu demeure interdite une fois rompu le pacte entre les dieux et les hommes. Les innombrables déluges qui hantent les cosmogonies attestent de la violence de cette rupture.

Des liens symboliques

L’échelle de Jacob, la corde de lumière et l’arbre cosmique

Dans tous les mythes il existe des hommes privilégiés, des chamans ou des sages qui ont le pouvoir de franchir les murailles du ciel inaccessibles au commun des mortels. Selon la Bible, Jacob à Béthel aperçut ainsi en songe une échelle appuyée sur la terre et touchant le ciel, le long de laquelle les anges montaient et descendaient.

L’Échelle du Paradis
L’Échelle du Paradis |

Bibliothèque nationale de France

L’échelle de Jacob
L’échelle de Jacob |

Bibliothèque nationale de France


En Égypte, on pensait qu’à sa mort le pharaon remontait au ciel sous la forme d’un faucon ou d’un héron, ou en empruntant l’échelle que les dieux mettaient à sa disposition. En Chine, les « maîtres de magie » étaient initiés à l’escalade d’une échelle comprenant trente-six lames de sabre acérées, correspondant aux trente-six étages du ciel. Parvenu au dernier ciel, l’aspirant était investi par l’Empereur de Jade. En Inde, la tradition bouddhique raconte comment Bouddha, après avoir converti sa famille, décida de monter au ciel pour y faire connaître sa doctrine, comment il y fut accueilli avec ferveur et comment il redescendit ensuite par une échelle dont les barreaux étaient d’or et d’argent.

Énergies planétaires et ascension mystique
Énergies planétaires et ascension mystique |

Bibliothèque nationale de France

Manuscrit Pelliot Tibétain 2223
Manuscrit Pelliot Tibétain 2223 |

Bibliothèque nationale de France

En Sibérie, l’escalade de l’« arbre cosmique » était le moment fort de l’initiation des chamans dont la tâche consistait à assurer le bon fonctionnement du cycle des réincarnations et à rattraper les âmes en fuite des malades. Dans la tradition tibétaine, les rois ne mouraient pas. Une fois achevée leur vie terrestre, ils remontaient au ciel en s’aidant d’une corde de lumière. Enfin dans certains contes du folklore français, il arrive qu’un jeune garçon plante une graine de haricot magique qui se met à pousser jusqu’au ciel, lui permettant ainsi une visite au Paradis.

L’arc-en-ciel

Les phénomènes atmosphériques : l’arc-en-ciel
Les phénomènes atmosphériques : l’arc-en-ciel |

Bibliothèque nationale de France

Si dans la plupart des mythes le passage du ciel à la Terre est devenu, après la fin de l’Âge d’Or, une transgression risquée, il existe dans certaines traditions des initiatives divines ayant pour but de reconstituer l’alliance interrompue.
Ainsi chez les Grecs, la déesse Iris, vêtue d’un voile couleur d’arc-en-ciel qu’elle déploie dans les airs, symbolise-t-elle une liaison retrouvée entre les dieux et les hommes. L’arc-en-ciel est perçu dans de nombreuses cultures comme une matérialisation de l’alliance, il réunit les eaux inférieures et les eaux supérieures, reconstituant les deux moitiés de l’œuf cosmique. Il apparait dans l’Ancien Testament au-dessus de l’Arche, après le déluge, comme un signe de restauration. Il y préfigure en même temps l’inscription du carré du nouveau cosmos dans le cercle irisé de la plénitude divine.

Je vous fais une promesse ainsi qu’à vos descendants et à tout ce qui vit autour de vous, oiseaux, animaux domestiques ou sauvages [...] Jamais plus la grande inondation ne supprimera la vie sur terre [...] Je place mon arc dans les nuages ; il sera un signe qui rappellera l’engagement que j’ai pris à l’égard de la Terre. 

Genèse, IX, 9-13

Chez les Dogons du Mali, l’arc-en-ciel est appelé « chemin du ciel et de la terre » et beaucoup de peuples y voient un « pont des âmes » permettant aux défunts de rejoindre leur céleste séjour.   

L’âme au ciel ou l’âme-ciel

L’âme de l’homme
L’âme de l’homme |

Bibliothèque nationale de France

Plus profondément, pour les différentes traditions mythiques c’est l’âme humaine qui est un vestige d’une appartenance céleste. Ainsi, pour les Tatars, les premiers hommes furent créés sur la terre mais Jajyk-Khan, leur dieu, retourna jusqu’au ciel pour leur chercher des âmes-oiseaux. De même, en grec, le même mot, psyché, ne désigne-t-il pas simultanément l’âme et le papillon ? C’est l’âme qui relie l’homme au ciel. Des légendes lituaniennes racontent que lorsqu’un homme naît sur la terre, Verpéja commence à filer dans le ciel le fil de sa vie. Accroché à une étoile qui se rapproche de la terre au fur et à mesure que l’homme grandit, ce fil se rompt quand l’homme doit mourir ; alors, l’homme s’éteint avec son étoile.
Chez les Grecs et les Latins, le destin de chaque homme était lié à une étoile : brillante lorsque l’homme était bien portant, elle se ternissait s’il venait à tomber malade. La chute d’une étoile filante pouvait être le signe qu’un homme était mort. L’Évangile des quenouilles atteste de la survivance de cette croyance au Moyen Age : « Quand vous verrez une nuit choir une étoile, sachez pour vrai que c’est un de vos amis qui est trépassé, car chaque personne a une étoile au ciel pour lui, et quand il meurt, elle choit. »

Texte composite comprenant une liste d’invocations des noms de bouddhas
Texte composite comprenant une liste d’invocations des noms de bouddhas |

Bibliothèque nationale de France 

Mais il se pourrait bien qu’à chaque homme sa propre âme soit plus inaccessible que le ciel matériel qui l’entoure... Dans les grandes traditions ésotériques c’est par l’initiation et l’ascèse que l’homme, tombé du ciel, peut retrouver à l’intérieur de lui sa dimension céleste. Ce n’est plus alors l’âme qui est dans le ciel, mais le ciel qui est dans l’âme, microcosme-miroir et germe d’un macrocosme qu’elle enserre et transcende par une inversion vertigineuse d’échelle.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion des expositions « Figures du ciel  » et « Couleurs de la Terre » présentées à la Bibliothèque nationale de France en 1998 et 1999. 

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