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L’univers dans le temps

Mercure tente d’arrêter le cours du temps, représenté par Saturne
Mercure tente d’arrêter le cours du temps, représenté par Saturne

Bibliothèque nationale de France

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Quand l’univers a-t-il été créé ? Qu’y avait-il avant ? Peut-on considérer que le temps se déroulait déjà ? Et dans ce cas, quand le temps commence-t-il ? Se poser la question des origines revient à entrer dans un territoire de paradoxes – et cela, que l’on soit un moine du 12e siècle ou un physicien du 21e.

Le paradoxe du temps avant le temps

Si l’on veut considérer la création du monde comme un événement, cela implique de la situer au sein de l’écoulement du temps, de lui assigner une date. Si l’on conçoit le temps comme une entité linéaire, comme c’est le cas en Occident, on est alors inévitablement amené à s’interroger sur l’existence et la signification d’un « avant ». Mais si le temps existait avant la création du monde, il ne fait pas lui-même partie du monde. Conception difficile à soutenir…
 

Un traité de l’Hexaméron
Un traité de l’Hexaméron |

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Les penseurs médiévaux qui déjà s’étaient penchés sur ce paradoxe avaient donc dû opter pour une création simultanée du monde et du temps. Ainsi, saint Ambroise, évêque de Milan au 4e siècle, écrit dans son Hexaméron : « C’est au commencement du temps que Dieu a créé le Ciel et la Terre. Car le temps existe depuis qu’existe ce Monde, il n’existait pas avant le Monde. »
Au début du 13e siècle, Guillaume d’Auvergne approfondit le raisonnement en s’appuyant sur des considérations analogues concernant l’espace : « De même que le Monde n’a pas de dehors, n’a pas d’au-delà, puisqu’il contient et embrasse toute chose, de même le temps, qui a commencé à la création du Monde, n’a pas d’auparavant ni de précédemment, puisqu’il contient en lui tous les temps qui sont ses parties. Celui qui pose cette question : Avant le commencement du temps, y a-t-il eu quelque chose ? alors que le mot avant implique l’idée de temps, fait exactement comme s’il demandait : Dans le temps qui a précédé le commencement du temps, quelque chose a-t-il existé ? »

Comment ils signifiaient le monde
Comment ils signifiaient le monde |

Bibliothèque nationale de France

Ces interrogations sont restées les mêmes aujourd’hui, et les questions : « Qu’y avait-il avant le big bang ? » et « Dans quoi l’Univers se dilate-t-il ? », reviennent plus simplement à demander : « Y avait-il du temps avant le temps ? » et « Y a-t-il un espace en dehors de l’espace ? ».

La physique moderne, en identifiant l’Univers avec l’espace-temps, lève toute ambiguïté : la création du monde ne peut être envisagée comme un phénomène temporel.

Le temps de la Création

Mais jusqu’aux premières versions de la cosmologie quantique, la plupart des réflexions cosmogoniques ne pouvaient être menées que dans une perspective temporelle. C’est le cas par exemple, dans le contexte chrétien, d’une question fondamentale, corollaire de celle de la Création : Dieu a-t-il créé le monde instantanément ou par étapes successives ? Là encore, les différents récits des Écritures invitent à deux interprétations possibles. La plus répandue découpe la Création en six jours, l’hexaméron (du grec hexa, « six » et hêmera, « jour ») auxquels s’ajoute un jour de repos.

Création du ciel
Création du ciel |

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Création de la végétation
Création de la végétation |

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L’autre interprétation, celle d’une Création instantanée, fut notamment soutenue par deux savants d’Alexandrie : Philon le Juif, un contemporain de Jésus, et Origène, qui vivait au 3e siècle. Comment la course du temps pouvait-elle avoir commencé avant que n’apparaissent, au quatrième jour, les deux « horloges astronomiques » que sont le Soleil et le Lune ?

Certains philosophes chrétiens tentèrent de concilier ces deux points de vue apparemment antagonistes. Saint Thomas d’Aquin, par exemple, avança que Dieu aurait créé la substance des choses en un instant, mais qu’il aurait mis six pleines journées pour accomplir le travail plus lent de séparation, de mise en forme et d’ornementation.

Scènes de la Génèse
Scènes de la Génèse |

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Là encore, cette conception semble anticiper les visions modernes puisque les divers modèles de Big Bang font commencer l’histoire de l’Univers avec l’apparition d’une entité matière-espace-temps, suivie d’une phase de différenciation (matière et rayonnements, interactions fondamentales…). À partir de là, les théories cosmologiques rendent compte de la lente et progressive structuration de la matière, depuis une « soupe de quarks » indifférenciée jusqu’à la formation d’objets complexes (galaxies, étoiles, planètes…), mais elles reconnaissent leur impuissance à parler de l’origine primordiale.

Les limites de la science

Chronico : Le Génie du temps
Chronico : Le Génie du temps |

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Ces questions cosmologiques agitent encore aujourd’hui bien des esprits, dans un cadre conceptuel néanmoins très différent, celui des modèles de Big Bang. Ceux-ci sont souvent considérés – à tort – comme décrivant l’origine de l’Univers. En réalité, s’ils en décrivent l’évolution depuis un passé très reculé puisqu’on l’évalue à une quinzaine de milliards d’années, ils ne prétendent pas y voir un « temps zéro », ni a fortiori une origine ou une création. Les conditions extrêmes dans lesquelles la genèse de l’espace, du temps, de la lumière et de la matière aurait pu se dérouler restent inaccessibles à l’investigation scientifique.

La reconstitution du passé cosmique se heurte tout d’abord aux limites de l’observation, due à la non-transparence de l’Univers durant son premier million d’années. Les scientifiques peuvent néanmoins reconstituer cette époque primitive en s’appuyant notamment sur les connaissances acquises dans le domaine des particules élémentaires. Les grands accélérateurs fournissent en effet une information sur le comportement de ces particules aux énergies très élevées correspondant aux conditions de l’Univers primordial. On peut recréer en laboratoire les conditions qu’a connues l’Univers un millième de milliardième de seconde (100-12 s) après le début de son expansion, quand il se présentait comme une « soupe » de quarks et d’électrons.

Mais les accélérateurs, et la physique qu’ils mettent à l’épreuve rencontrent évidemment une limite expérimentale. Pour reconstituer les époques encore plus primitives, les physiciens ne peuvent que tenter d’imaginer le comportement des particules à très haute énergie. Il s’agit alors de spéculations plus que de théories, dont on ne peut tester, en l’absence d’expériences, que la cohérence logique.

Comment et par quelles figures ils signifiaient l’âge et le cours du temps (dragon)
Comment et par quelles figures ils signifiaient l’âge et le cours du temps (dragon) |

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Enfin, un éventuel « temps zéro », qui correspondrait à une température infinie, reste inaccessible. La physique est totalement impuissante à décrire les phénomènes pour des températures dépassant une limite de 1032 degrés, appelée « température de Planck ». À cette température, les énormes énergies mises en jeu produisent des effets au cœur même de la structure de l’espace et du temps, rendant tout calcul physique impossible dans le cadre des théories actuellement développées. Cette limite théorique, véritable barrière de la connaissance, interdit d’accéder à un passé trop lointain. L’histoire intelligible du monde ne débute donc pas au temps zéro, mais à la fin de cette « ère de Planck », soit 10-43 seconde (un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde) plus tard. D’avant ce « temps de Planck », au-dessus de la température de Planck, la physique ne peut rien dire.

La disparition du temps ?

Le philosophe mathématicien Leibniz, contemporain de Newton, s’éleva contre les idées d’espace et de temps en tant qu’entités absolues prônées par ce dernier. Par des arguments d’ordre philosophique, il soutint que l’espace et le temps n’existaient qu’en relation avec la matière. Deux siècles plus tard, le philosophe Ernst Mach reprit les idées de Leibniz, et c’est en partie sous son influence qu’Einstein bâtit l’édifice de la relativité générale où espace, temps, matière et lumière sont inextricablement liés.

Figure des tourbillons célestes
Figure des tourbillons célestes |

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Aujourd’hui, certains physiciens cherchent à éliminer purement et simplement le temps de leurs théories. Car le temps c’est le changeant, le variable, tandis que la physique prétend à l’immuable, à l’invariant. Son but n’est-il pas, en effet, d’extraire des lois éternelles, c’est-à-dire affranchies du temps, à partir de phénomènes passagers ?

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion des expositions « Figures du ciel » et « Couleurs de la Terre » présentées à la Bibliothèque nationale de France en 1998 et 1999.

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