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L’univers en expansion

Naissance du Big Bang
La constellation d’Andromède
La constellation d’Andromède

Bibliothèque nationale de France

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Au 20e siècle, de nouvelles observations montrent que l’univers est bien plus vaste que ce que l’on imaginait. Par ailleurs, les théories de la relativité et de la physique quantique introduisent des concepts révolutionnaires conduisant à repenser la géométrie de l’espace et l’organisation de la matière.
À la fin du 19e siècle, l’astronome Camille Flammarion s’exclame, observant l’amas de nébuleuses regroupées dans la constellation de la Vierge : « Le nombre de nébuleuses éclipse celui des étoiles ! Que de questions se lèvent en présence de cette richesse ! Chacune de ces taches laiteuses est-elle vraiment un système solaire en création ? Sont-elles perdues au fond de l’infini, à une distance incommensurable au-delà des étoiles ? Sont-elles mélangées avec les soleils qui trônent dans cette étendue ? Seraient-elles plus proches de nous que les étoiles ? »
La deuxième de ses hypothèses, selon laquelle certaines nébuleuses spirales sont des galaxies à part entière, prélude à la révolution cosmologique du 20e siècle.

Naissance de la cosmologie au 20e siècle

Dans le premier quart du siècle, la cosmologie, c’est-à-dire l’étude de la structure de l’Univers dans son ensemble, devient une discipline scientifique à part entière, grâce à la conjonction d’une avancée théorique – la théorie de la relativité générale – et des résultats des observations astronomiques à signification cosmique.

Un renouveau théorique

Albert Einstein énonce en 1905 la relativité de l’espace et du temps, appelée aujourd’hui relativité restreinte. Il y énonce la fameuse loi E=mc² reliant la masse de tout corps à son énergie et à la vitesse de la lumière – une constante absolue. En 1916, la relativité générale propose un nouveau cadre pour comprendre l’univers. Einstein assimile la gravitation non à des forces, mais à une « courbure » de l’espace et du temps engendrée par les corps massifs. L’univers, ainsi modelé par la gravitation, tissé par la lumière, courbé par la matière, devient « élastique ».

R. Smith, le Professeur Langevin et Albert Einstein
R. Smith, le Professeur Langevin et Albert Einstein |

Bibliothèque nationale de France

Parallèlement, la physique quantique se met en place dans les années 1920-1930 pour rendre compte des phénomènes microscopiques. Tout au long du siècle, les deux théories progressent indépendamment l’une de l’autre. C’est d’ailleurs l’impossibilité de concilier la physique quantique avec la relativité qui limite notre capacité à reconstruire le passé très lointain de l’univers. En effet, plus on remonte dans le passé de l’univers tel que le décrivent les modèles relativistes de Big Bang, plus les conditions physiques nécessitent de faire appel à la théorie quantique.

Une nouvelle vision de l’univers

Région centrale de la nébuleuse d’Andromède
Région centrale de la nébuleuse d’Andromède |

Bibliothèque nationale de France

Observant les étoiles depuis 1914, l'Américain Vesto Melvin Slipher mesure la vitesse de la nébuleuse d'Andromède par rapport à celle de la Terre, et observe un décalaage dans le rayonnement de certains atomes, ce qui lui permet d'émettre l'hypothèse d'un éloignement des galaxies. Un peu plus tard, Edwin Hubble, utilisant le plus puissant télescope de l’époque, nouvellement installé au mont Wilson, accomplit en 1925 un pas décisif : ayant pu mesurer les éloignements des nébuleuses spirales, il établit qu’il s’agit d’autres systèmes d’étoiles analogues à notre propre Galaxie. Avec son collègue Humason, il établit une relation qui lie distance et vitesse de fuite des galaxies. Ce mouvement de fuite ne sera compris que lorsque la communauté scientifique admettra une idée fondée sur la relativité générale, initialement proposée par le mathématicien russe Alexandre Friedmann en 1922 et par le physicien belge Georges Lemaître en 1927 : l’espace entier se dilate au cours du temps, en un mouvement d’expansion qui entraîne l’ensemble des galaxies.

L’espace se dilate globalement, sans être lui-même contenu dans autre chose. Du point de vue des observations, l’expansion se manifeste par le « décalage vers le rouge » des galaxies, ce qui signifie que les galaxies s’éloignent avec une vitesse proportionnelle à leur éloignement. Cette expansion s’opère en tout point d’un espace (fini ou infini), et non pas depuis un centre localisé (à cet égard, l’analogie souvent utilisée du ballon que l’on gonfle est trompeuse). Il ne s’agit pas d’un mouvement général de la matière dans un cadre géométrique fixe, mais d’une dilatation de ce cadre lui-même, du « tissu » élastique de l’espace-temps.

Mirage gravitationnel

Naissance du Big Bang

Toujours au début des années 1930, Georges Lemaître (1894-1966) franchit un pas supplémentaire et ose une hypothèse encore plus audacieuse : si l’Univers se dilate aujourd’hui, n’a-t-il pas été beaucoup plus petit et plus dense dans le passé ? Soucieux de lier les nébuleuses aux atomes, Lemaître s’appuie sur les nouvelles connaissances de la physique atomique et des phénomènes radioactifs : « Une cosmogonie vraiment complète devrait expliquer les atomes comme les soleils. » Dans un lointain passé, l’Univers doit avoir été condensé, dans un état singulier, sous forme d’un « atome primitif » qu’il conçoit comme un « quantum » unique en faisant référence à la physique quantique, alors balbutiante.

Mirage gravitationnel dans l’amas de galaxie Abell 2218
Mirage gravitationnel dans l’amas de galaxie Abell 2218 |

Wikimedia commons 

« Nous pouvons concevoir que l’espace a commencé avec l’atome primitif et que le commencement de l’espace a marqué le commencement du temps », ajoute-t-il. Lemaître développe cette idée capitale dans L’Expansion de l’espace, ouvrage publié en français en novembre 1931. Selon lui, l’histoire cosmique commence par une expansion de type explosif, issue de la désintégration radioactive d’un atome-univers. Lemaître utilise l’image poétique du « feu d’artifice », pédagogiquement contestable car à la source d’un malentendu constamment reconduit par la littérature de vulgarisation ; le Big Bang y est en effet très souvent présenté – à tort – comme une explosion ponctuelle de matière dans un espace extérieur. Par la suite, désintégration et fractionnements successifs ont façonné l’Univers tel qu’il est maintenant.

Une idée qui fait son chemin

L’idée est au départ très mal reçue par la communauté des physiciens. Pourtant, l’expression « Big Bang », débarrassée de son sens péjoratif, passe à la postérité grâce à un Américain d’origine russe, ancien étudiant de Friedmann : George Gamow.

Principes de cosmogonie rationnelle : coupe de l’atome cosmique
Principes de cosmogonie rationnelle : coupe de l’atome cosmique
Lemaître imaginait l’Univers beaucoup plus dense dans le passé ; Gamow précise qu’il devait être également plus chaud. Il prédit l’existence d’un vestige refroidi de cet Univers chaud primitif, sous forme d’un rayonnement radio aux caractéristiques précises. Ce rayonnement est détecté en 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson. Lemaître, atteint d’une leucémie, n’apprend que quelques jours avant sa mort la découverte de ce rayonnement fossile qu’il appelle élégamment l’« éclat disparu de la formation des mondes ». Selon son secrétaire Odon Godart, il accueille la nouvelle avec ces simples mots : « Je suis content, maintenant, au moins, on en a la preuve. » Le fait est que l’hypothèse de l’atome primitif devenait enfin, sous le nom plus médiatique de Big Bang, une théorie physique. Quelques années supplémentaires seront nécessaires pour qu’elle reçoive ses titres de noblesse.

La théorie des quanta

Temps éternel ou futur fini ?

Sur la question du futur fini ou infini dans les modèles de Big Bang, la différence se joue dans la quantité moyenne de matière contenue dans l’univers. En dessous d’un certain seuil critique de densité, l’espace est hyperbolique ; au-dessus, il est sphérique – n’étant euclidien qu’à la frontière exacte.
Les conséquences sont considérables : si l’espace est sphérique, l’univers est fini dans l’espace et « fermé » dans le temps, c’est-à-dire qu’après la phase actuelle d’expansion il entrera en contraction et son histoire s’achèvera dans un « Big Crunch ». S’il est de type euclidien ou hyperbolique, l’univers est « ouvert » dans le temps, c’est-à-dire que son expansion se poursuivra éternellement. Mais on ne sait plus dans ce cas si l’espace est fini ou infini, car la question de la finitude ou de l’infinitude de l’espace relève non pas de la relativité générale, mais d’une branche de la géométrie appelée topologie.

Les mesures actuelles suggèrent que la densité réelle est en-dessous de la densité critique, auquel cas nous serions bien dans un univers en expansion perpétuelle. Mais on a aussi repéré de vastes quantités de matière « sombre », et il n’est pas impossible que celle-ci soit suffisamment abondante pour « fermer » l’univers. C’est l’une des grandes questions de la cosmologie d’aujourd’hui.

La Cosmographie universelle de tout le monde...
La Cosmographie universelle de tout le monde... |

Bibliothèque nationale de France

Sur le passé de l’univers, tous les modèles possèdent un « temps zéro » qui marque le début de l’expansion cosmique. C’est, en fait, une extrapolation mathématique conduisant à une « singularité », c’est-à-dire une température, une densité et une courbure de l’espace infinies. Le physicien sait pertinemment que le modèle de Big Bang stricto sensu cesse d’être valide sous de telles conditions. Il faudra réviser toutes nos théories pour mieux cerner le début de l’expansion cosmique (il n’est même pas certain que cela soit possible). Le Big Bang, aujourd’hui, ce n’est donc pas le « temps zéro » ni le début d’une « gigantesque explosion », comme on le lit trop souvent, mais une phase très ancienne de l’univers, lorsque ce dernier était extrêmement chaud et dense. On a acquis aujourd’hui la preuve expérimentale que l’univers a effectivement été chaud et dense dans son passé, sans avoir nécessairement connu un « début ».

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion des expositions « Figures du ciel » et « Couleurs de la Terre » présentées à la Bibliothèque nationale de France en 1998 et 1999.

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