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Les récits homériques, de la parole aux écrits

Démodocos, l’aède des Phéaciens, chante la gloire des héros
Démodocos, l’aède des Phéaciens, chante la gloire des héros

© Bibliothèque nationale de France

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Les poèmes homériques ont longtemps été transmis par tradition orale avant d’ête transcrits par écrit, leur permettant de traverser les siècles. L’histoire de leur transmission reste cependant pleine d’incertitudes.

Il est communément admis aujourd’hui que les poèmes homériques ont leur origine dans la tradition orale. L’Odyssée elle-même témoigne de l’existence d’une poésie orale en Grèce antique : deux aèdes, Phémios à Ithaque et Démodocos chez les Phéaciens, chantent la geste des héros au cours de banquets.

« Apothéose d’Homère »
« Apothéose d’Homère » |

Bibliothèque nationale de France

Ulysse chez les Phéaciens
Ulysse chez les Phéaciens |

© Bibliothèque nationale de France

Des traces de cette poésie orale ont été mises en évidence dans le texte d’Homère. Les plus saisissantes sont la répétition de « formules » attachées à la description d’un événement ou d’un personnage ; ainsi, pour le lever du jour, dans l’Odyssée : « lorsque parut la fille du matin, l’aube aux doigts roses » ; dans l’Iliade, après le discours d’un héros : « il dit et stimule la fougue et l’ardeur de tous », lorsqu’un héros est touché par l’ennemi, il « tombe avec fracas », « ses armes sonnent », « l’ombre couvre ses yeux », etc. Dans les deux poèmes, le nom des héros et des dieux est très souvent suivi par une « épithète de nature » : les « Achéens chevelus » ou « aux bonnes jambières », les « Troyens dompteurs de cavales », « Achille aux pieds rapides » ou « aux pieds infatigables », « le divin Achille », « l’industrieux Ulysse », « Ulysse aux mille ruses », « Hector au casque étincelant », « Nestor, le vieux meneur de chars », « Diomède au puissant cri de guerre », « Zeus, l’assembleur de nuées », « Zeus porte-égide », « Héra, la déesse aux bras blancs », « Arès fléau des mortels », « Athéna aux yeux pers », « Poséidon, l’Ébranleur du sol ».

Les travaux de Milman Parry1, philologue américain d’expression française, tendent à démontrer que ces formules constituent une sorte de catalogue qui fournit des hémistiches tout faits, facilitant l’improvisation et la mémorisation – des sortes de moyens mnémotechniques. Parry et son collègue Albert Lord enregistrèrent en Yougoslavie un grand nombre de longs poèmes récités par des chanteurs populaires, souvent analphabètes, et observèrent, à plusieurs années d’intervalle, le même recours aux formules, et, autour, un texte variant quelque peu.

De la parole aux écrits

Les plus anciens manuscrits qui nous ont transmis le texte grec de l’Iliade et de l’Odyssée – texte à la base des traductions que nous lisons aujourd’hui – remontent au 9e siècle après J.-C. On a retrouvé aussi de nombreux papyrus, dont les plus anciens sont du 3e siècle avant J.-C., mais les textes en sont très fragmentaires. En l’état actuel, on sait peu de choses sur l’histoire de la transmission entre ces papyrus et les manuscrits médiévaux.

Le texte de référence

L’une des plus anciennes éditions de l’Odyssée
L’une des plus anciennes éditions de l’Odyssée |

© Institut de papyrologie

L’écriture des chants épiques oraux a été mise en rapport avec le développement de l’écriture alphabétique grecque. Avant le Moyen Âge, c’est à Alexandrie aux 3e et 2e siècles avant J.-C. que se situe la première étape importante dans l’histoire de la transmission du texte. La « vulgate alexandrine » a probablement pour source l’édition établie à Athènes, selon la tradition antique, sous les Pisistratides, au 6e siècle avant J.-C.

Les modalités de cette « fixation » à Athènes et les hypothèses sur les étapes qui l’ont précédée restent des plus controversées. Selon le dialogue pseudo-platonicien Hipparque (4e siècle avant J.-C.), le fils de Pisistrate, Hipparque, en aurait ordonné la récitation aux rhapsodes chaque année à la fête des Panathénées. Ceux-ci devaient les réciter « les uns après les autres, sans interruption ». Cicéron lui-même rappelle cette tradition et insiste sur le rôle de Pisistrate comme premier rassembleur des textes homériques. Une autre hypothèse est avancée : les Homérides de Chios, une communauté de rhapsodes qui chantaient Homère et prétendaient descendre du poète, auraient conservé un texte de référence dont ils auraient remis une copie aux Athéniens.

L’île de Chio : une des patries présumées d’Homère
L’île de Chio : une des patries présumées d’Homère |

© Bibliothèque nationale de France

L’étude des textes homériques en langue originale

Homère est l’éducateur des Grecs. Les petits Grecs apprennent à lire dans ses poèmes ; l’Iliade et l’Odyssée faisant partie de la culture de base, on se préoccupe de s’assurer de l’authenticité du texte. Les premiers à travailler sur le texte lui-même sont les Alexandrins. Au début du 3e siècle avant J.-C., Zénodote d’Éphèse, poète épique et grammairien, premier bibliothécaire d’Alexandrie et précepteur des enfants de Ptolémée Ier, est l’auteur de la première édition critique des poèmes homériques. Cette édition nous est connue par les commentaires d’Aristarque de Samothrace (début du 2e siècle avant J.-C.).

Table iliaque Veronensis II
Table iliaque Veronensis II |

© Bibliothèque nationale de France

Table iliaque dite « de Zénodote »
Table iliaque dite « de Zénodote » |

© Bibliothèque nationale de France

La bibliothèque d’Alexandrie avait recueilli de nombreuses copies du texte homérique provenant de régions variées, dont Athènes. On suppose que Zénodote a choisi une version de référence qu’il aurait corrigée par des emprunts à d’autres manuscrits. Les philologues modernes pensent que le texte de référence est l’édition établie sous Pisistrate. On a longtemps pensé que la division en vingt-quatre chants datait de cette époque, mais il semblerait qu’elle soit plus ancienne. C’est ce que tendent à montrer l’étude des transitions d’un chant à l’autre, qui présentent une grande cohérence, ainsi que le témoignage de deux des plus anciens papyrus d’Homère. L’un de ces papyrus, conservé à la Sorbonne, paraît confirmer, par un signe dans la marge, l’antériorité de cette division.

Table iliaque Veronensis I
Table iliaque Veronensis I |

© Bibliothèque nationale de France

Dans l’Occident latin, l’aristocratie romaine adopta l’éducation grecque, et les écoles romaines imitaient les écoles hellénistiques. Homère fut donc étudié dans le texte original jusqu’à la disparition de l’usage du grec, progressive à partir du 3e siècle après J.-C.

Les éditions critiques latines

Priam, Pâris et Déiphobe partent pour la XIe bataille
Priam, Pâris et Déiphobe partent pour la XIe bataille |

© Bibliothèque nationale de France

Le Moyen Âge occidental connut Homère par des textes latins, comme l’Ilias latina, sorte de résumé en vers composé sous Néron (1er siècle), les Periochae, attribuées à Ausone (4e siècle), l’Éphéméride de la guerre de Troie, attribué à Dictys de Crète, l’Histoire de la destruction de Troie, attribuée à Darès de Phrygie (sans doute écrite au 5e ou 6e siècle). On ne sait s’il a existé des équivalents de l’Ilias latina pour l’Odyssée. Les récits de la guerre de Troie de Dictys et Darès suscitèrent de nombreuses chroniques et œuvres d’imagination. À la fin du 12e siècle, Benoît de Sainte-Maure s’en inspira pour écrire son poème Roman de Troie (plus de 30 000 vers), qui obtint un très gros succès en Europe, et même jusqu’en Grèce byzantine où pourtant s’était maintenue l’étude des textes homériques en langue originale. C’est le roman en vers le plus diffusé au 13e siècle. Il fut abondamment copié, remanié, transcrit en prose, présenté en mystères…

Les premières traductions latines des poèmes homériques

La Renaissance redécouvre Homère par des sources byzantines. Les premiers humanistes italiens reviennent aux sources. En 1353, l’ambassadeur de Byzance offre à Pétrarque un manuscrit grec des œuvres d’Homère, que le poète se désespère de ne pouvoir lire : « Ton Homère est muet pour moi, ou plutôt c’est moi qui suis sourd devant lui. Cependant, je me réjouis de sa seule vue et souvent, le serrant dans mes bras, je dis en soupirant : “Ô grand homme, avec quelle passion je t’écouterais ! " » (Lettres familières, XVIII, 2).

L’Odyssée
L’Odyssée |

Bibliothèque nationale de France

Première traduction latine de l’Iliade
Première traduction latine de l’Iliade |

© Bibliothèque nationale de France

Pétrarque, aidé de Boccace, parvint à faire traduire l’Iliade par le moine calabrais Leonzio Pilato (1359). En 1366, la traduction de l’Iliade est terminée, celle de l’Odyssée ne le sera jamais. « C’est moi le premier, qui, chez moi, ai entendu de la bouche de Léonce l’Iliade traduite en latin. C’est moi encore grâce à qui les livres d’Homère ont été lus en public », écrira Boccace, dans sa Généalogie des dieux païens, où il se vante d’avoir, à ses propres frais, fait « revenir en Étrurie les livres d’Homère et quelques autres livres grecs, qui depuis de longs siècles l’avaient quittée pour n’y plus revenir ».

D’autres traductions partielles d’Homère apparaissent au 15e siècle. En 1474 est imprimée une traduction latine des seize premiers chants de l’Iliade, effectuée en 1444 par Lorenzo Valla, d’après laquelle seront réalisées les premières traductions françaises. La première édition en grec des œuvres d’Homère – édition princeps – est imprimée à Florence en 1488.

Notes

  1. L’Épithète traditionnelle chez Homère, 1928

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