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Le journal, un magasin d’images

L’illustration dans la presse au 19e siècle
Madame Anastasie
Madame Anastasie

© Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
L’usage massif des images constitue l’une des principales évolutions de la presse du 19e siècle. Satiriques, pittoresques ou informatifs, les dessins de presse façonnent la culture de masse, jusqu’à l’arrivée de la photographie.

Puissance de la presse illustrée

Lucide et avisé, Baudelaire savait que son siècle avait le « culte des images », dont les formes se renouvelaient, la production s’industrialisait et la circulation s’intensifiait, au point qu’en 1871, saisi par sa massification inédite, Rimbaud en évoquait les « ruissellements fastidieux ». L’image plane et industrielle, démocratique voire vulgaire, régna en effet sur le 19e siècle qui, à distance des hiérarchies culturelles, l’investit de multiples missions, où se côtoyaient des fonctions anciennes et des vocations nouvelles : propagande religieuse ou politique, vulgarisation, réclame, divertissement… Reproductible, au sens où Walter Benjamin a défini ce régime de la fin de l’unicité de l’œuvre d’art, l’imagerie produite mécaniquement se caractérisa par une perte d’aura, selon une substitution de la « valeur d’exposition » à la « valeur cultuelle », devenant ainsi l’emblème d’une « culture de l’immédiatement visible » qui renversa la soumission historique de l’image au texte, suscita de nouveaux « voisinages » et réévalua le statut de l’illustration. Celle-ci, dans le livre et surtout dans la presse, devint un mode de diffusion des connaissances et des opinions – une explication et une critique du monde –, à laquelle on prêta un pouvoir d’information et de conversion.

L’Assiette au beurre
L’Assiette au beurre |

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Une spectaculaire évolution des techniques d’impression

« Dans l’histoire de l’illustration, le fait essentiel du 19e siècle est certainement son introduction dans les journaux », comme l’ont relevé les historiens.

Les enjeux consistaient d’un côté à allonger les tirages et, de l’autre, à imprimer simultanément le texte et l’image. Les presses mécaniques de Koenig et Bauer, qui révolutionnèrent le modèle gutenbergien, équipèrent les imprimeries parisiennes dès la fin des années 1820, mais leur rendement demeura inférieur à l’accroissement effréné du lectorat. À la fin de la monarchie de Juillet, les presses à réaction, élaborées par Joly puis perfectionnées par Marinoni et Gaveau, multiplièrent par quatre la vitesse d’impression. L’adjonction de la vapeur et la mise au point de la rotative permettant d’imprimer sur papier continu augmentèrent encore les tirages. L’industrialisation de la fabrication des papiers et des encres, au mitan du siècle, ouvrit davantage de perspectives techniques, dont l’illustration de presse bénéficia amplement.

Pour pourvoir le public le plus large possible en images, il fallut donc disposer de procédés inusables, aisés à graver et rapides à imprimer. Les techniques anciennes du bois gravé et de la gravure sur cuivre furent ainsi progressivement supplantées par de nouveaux procédés plus ou moins satisfaisants d’un point de vue économique, technique ou visuel, qui rivalisèrent tout au long du siècle, sans qu’aucun ne parvînt jamais à s’imposer sur le marché de l’image imprimée. En 1809, Senefelder défendit la facilité d’exécution et le faible coût de la lithographie. Mais cette technique contraignait l’illustration au hors-texte, comme dans Le Nain jaune (1815) – Cauchois-Lemaire y publia une caricature anonyme par livraison – ou dans La Mode (1829) d’Émile de Girardin. Plus solide que la gravure sur bois de fil, la gravure sur bois de bout envahit la presse illustrée au tournant des décennies 1830 et 1840. Manufacturée et peu onéreuse, elle était d’une qualité médiocre, mais d’une impression facile, car les blocs de bois gravés s’inséraient dans les formes typographiques. Cette technique autorisait à la fois l’abondance des images dans une même page et leur imbrication dans le texte, transformant « l’espace de la lecture » en un « espace de spectacle », selon la distinction établie par Michel Melot. Les procédés par électrolyse galvanoplastique, visant à obtenir des clichés en relief, gravés chimiquement sur métal, furent aussi l’objet d’expérimentations, pour que le trait du dessin équivaille au trait typographique.

Dans leur profusion, les procédés paniconographiques de clichage mécanique, mis au point entre 1840 et 1860, contribuèrent à l’essor de la presse illustrée, en privilégiant le dessin linéaire en noir et blanc malgré leur difficulté à traduire les nuances et les modelés de gris. Ils préfigurèrent les techniques photomécaniques de la fin du 19e siècle – en particulier la photogravure tramée qui apparut vers 1880 – en réalisant l’unité du texte et de l’image et en supportant de forts tirages. En moins d’un siècle, les journaux illustrés s’imprimèrent de quelque 3 000 exemplaires (Le Charivari en 1866) à plus de 100 000 (Le Journal illustré en 1900).

Cartes promotionnelles à collectionner
Cartes promotionnelles à collectionner |

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Les conditions techniques furent donc réunies, au cours du 19e siècle, pour que la presse illustrée accessible aux élites entre dans la culture de masse. Dans la France post-révolutionnaire, entrepreneurs, faiseurs d’opinions et hommes politiques – ils étaient souvent proches et parfois les mêmes – comprirent que la presse concurrencerait le livre, en conquérant un lectorat d’autant plus large qu’elle intervenait rapidement et qu’elle agissait dans le temps et dans l’espace. En effet, le journal informe et commente l’actualité qu’il modèle. Il agrège ou divise des opinions, en même temps qu’il les façonne selon un « complexe et polyphonique système d’interlocution » entre les auteurs et les lecteurs. Avec l’adjonction de l’illustration, le pouvoir médiatique du journal fut intensifié  : à la périodicité et la fréquence réitérative du support s’adjoignaient les pouvoirs de la représentation comme substitut donné de la réalité, davantage accentués par les procédés techniques de la reproductibilité. Cette puissance de la presse illustrée fut crainte par le pouvoir politique qui, tout au long du 19e siècle, rectifierait le libéralisme par des mesures de censure ou de restriction de l’expression publique.

Rabelais
Rabelais |

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Le Gaulois
Le Gaulois |

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Le Temps
Le Temps |

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L’Intransigeant
L’Intransigeant |

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La censure contournée

Si les mesures juridiques contribuèrent à réprimer l’expression publique et à restreindre l’illustration périodique et plus particulièrement l’image satirique, elles ne parvinrent jamais à « étouffer la liberté de la presse lithographique », pour reprendre ici les mots de Philipon.

À l’inverse, les contraintes furent souvent détournées par les directeurs de journaux et leurs dessinateurs qui, au lieu de les subir passivement, y virent des possibilités de renouvellement de leurs pratiques. Au slogan initial du Charivari  « Chaque jour un nouveau dessin » –, on adjoignit aussitôt : « quand la censure le permet ». C’est sous l’effet de la loi « scélérate » de 1835 que Philipon élabora une nouvelle formule éditoriale stabilisée en 1839 dans Le Charivari : satire assagie, humour allégé, grand format et lithographies rubriquées tout au long de la semaine – critique de théâtre le lundi, dessin de genre ou de mœurs le mardi, dessin d’art le mercredi, critique de mode le jeudi, portrait-charge le vendredi, dessin d’actualité le samedi – et caricature dominicale. « Depuis que les lois de septembre ont soumis le dessin à la censure, nous avons mis toute notre application à compenser les pertes de la caricature politique par l’extension que nous avons donnée à la caricature de genre, qui touche par tant de côtés à la politique », observait Le Charivari en 1841. Philipon avait compris que la satire sociale lui permettrait de s’attaquer non plus directement au pouvoir mais, en biaisant, à ses soutiens et ses intérêts politiques ou économiques incarnés par le Robert Macaire de Daumier, le Mayeux de Charles-Joseph Traviès ou le Joseph Prudhomme d’Henry Monnier, consacrés par Champfleury comme des « démolisseurs de la bourgeoisie ».

L’Éclipse
L’Éclipse |

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Honoré Daumier
Honoré Daumier |

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Fort de l’expérience de cette mutation de la presse satirique en presse comique, Philipon fonda Le Journal pour rire (1848), un périodique illustré, d’un nouveau genre – « Journal d’images, journal comique, critique, satirique, lithographique, etc. » dit son sous-titre –, à vocation divertissante, allouant une place importante à l’image qui n’était plus reproduite dans un espace réservé, mais disséminée dans l’ensemble des pages de texte imprimées au format in-folio. « J’ai vu les journaux de mon temps et j’ai pensé au Journal pour rire. C’est une spécialité qui manque à la presse, laquelle pourtant, que je sache, ne manque pas de spécialités. Non que tous les journaux ne soient un peu pour rire, mais c’est sans le faire exprès […]. Le Journal pour rire, au contraire, s’est imposé la mission d’égayer son siècle qui s’ennuie, et d’entretenir ses compatriotes dans un état de jovialité permanente, très favorable à la santé. Le Journal pour rire ne ressemble ni à L’Illustration, ni au Charivari, ni à La Silhouette, ni à feu La Caricature, ni à aucun des carrés de papier illustrés, dans les rangs desquels il s’enrôle. Il est sans analogue dans la presse […] », argua Philipon lors du lancement de ce « journal à images » qui devint Le Journal amusant en 1856 et servit de référence à la petite presse illustrée, comique et parfois frivole, du Second Empire.

« Oh elle est délicieuse… »
« Oh elle est délicieuse… » |

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Publication de la condamnation du Charivari
Publication de la condamnation du Charivari |

Bibliothèque nationale de France

L’illustration, « vaste annuaire » et « miroir fidèle »

Si l’image périodique – principalement d’esprit satirique pendant la première moitié du 19e siècle – véhiculait un discours surveillé et contraint par la censure, et qu’elle pouvait être à ce titre indirecte et allusive, voire hermétique, elle procédait plus largement de la poétique de l’inventaire, de la caractérisation ou de la classification, de l’esthétique naturaliste et de la description physiologique, au moment où étaient en vogue à la fois les voyages pittoresques et les physiologies illustrées.

Madame Anastasie
Madame Anastasie |

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Le journalisme de l’avenir
Le journalisme de l’avenir |

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Le programme inaugural du Charivari, dans son prospectus de lancement, ouvrait cette perspective documentaire : « la reproduction […] des modes les plus nouvelles et les plus élégantes ; des costumes les plus pittoresques ; des pièces en vogue ainsi que des scènes les plus remarquables […] ; de sites, de monuments, de paysages auxquels un événement quelconque viendrait attacher un intérêt de circonstance ; de scènes de mœurs ; d’esquisses des principaux tableaux des musées publics et particuliers […] ; de l’aspect des séances les plus intéressantes des deux Chambres avec la physionomie, la pose, les tics, les gestes et en un mot toutes les habitudes parlementaires des divers orateurs ; et enfin des portraits d’acteurs, d’actrices, d’artistes en renom, de savants, de littérateurs, d’hommes politiques, de ministres, de diplomates, de pairs, de députés, de princes, de rois, de tout personnage qui, à tort ou à raison, soit en France soit à l’étranger, éveillera un moment la curiosité ». Les genres de l’image satirique sont présents – le portrait-charge, dont le succès s’amplifiera sans relâche jusque sous la IIIe République grâce à Roubaud, Nadar ou André Gill, de même que la caricature de types et de mœurs popularisée par les séries de Daumier, Gavarni ou Cham – et ils côtoient, dans une commune économie informative, le portrait de l’homme du jour, la gravure de reportage, l’illustration d’actualité (littéraire, artistique, musicale, théâtrale) ou de feuilleton, la planche technique ou scientifique, le croquis d’audience…

Lecture des ordonnances royales limitant la liberté de la presse au jardin du Palais-Royal
Lecture des ordonnances royales limitant la liberté de la presse au jardin du Palais-Royal |

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Aspirant à être « un vaste annuaire où seront racontés et figurés, à leurs dates, tous les faits que l’histoire contemporaine enregistre dans ses annales […], en un mot, un miroir fidèle où viendra se réfléchir, dans toute son activité merveilleuse et son agitation si variée, la vie de la société au dix-neuvième siècle […] », L’Illustration, lancée en 1843 par Alexandre Paulin avec Adolphe Joanne et Édouard Charton, sur le modèle de The Illustrated London News (1842), fit du rapprochement d’images hétérogènes la ligne force de sa formule éditoriale. Cette esthétique de l’image spectaculaire, parfois même sensationnaliste, fut bientôt adoptée par la presse populaire, aux ambitions éducatives ou vulgarisatrices – dans Le Journal illustré, La Presse illustrée, La République illustrée, Le Monde illustré, L’Univers illustré, Le Tour du monde –, divertissantes ou édifiantes, comme dans les suppléments illustrés de L’Intransigeant, L’Écho de Paris, Le Petit Journal ou Le Petit Parisien. Ces journaux employaient des équipes de dessinateurs et de graveurs : au Journal illustré (1864), le principal illustrateur fut Henri Meyer, assisté du graveur généraliste Fortuné Méaulle ; Charles Fichot et Oswaldo Tofani se spécialisèrent, l’un dans l’image panoramique, en double page ou en dépliant, l’autre dans l’image de fait divers dramatisé.

La Foire aux idées, dessinée par Bertall, professeur de prothèse comique
La Foire aux idées, dessinée par Bertall, professeur de prothèse comique |

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Du dessin à la photographie

Les photographes détrônèrent les illustrateurs dès la fin du 19e siècle : la première photographie à paraître dans un journal fut le reportage consacré par Nadar au chimiste Chevreul dans Le Journal illustré (1886) ; L’Illustration recourut à la photographie (1896) et Le Miroir, fondé en 1912 et « entièrement illustré par la photographie », joua souvent avec la capacité de cette image à faire l’événement. Dans L’Éducation sentimentale, Flaubert décrit Frédéric Moreau en proie à une caricature du Charivari qu’« il examina, jusque dans les grains du papier » : en ce siècle encore marqué par le sensualisme, qui accordait à l’image le pouvoir d’impressionner son spectateur en imprimant son esprit et en façonnant ses attitudes par imprégnation, l’illustration de presse était considérée dans toute sa réversibilité, comme un moyen d’instruction ou un mode de corruption, s’installant « facilement dans le souvenir ».

Portrait de Michel-Eugène Chevreul
Portrait de Michel-Eugène Chevreul |

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Inondations à Paris
Inondations à Paris |

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Ainsi un législateur avertissait-il les nouveaux préfets du Second Empire dans une circulaire : « Parmi les moyens employés pour ébranler et détruire le sentiment de réserve et de moralité qu’il est essentiel de conserver au sein d’une société bien ordonnée, la gravure est un des plus dangereux. C’est qu’en effet la plus mauvaise page d’un livre a besoin de temps pour être lue. Tandis que la gravure offre une sorte de personnification de la pensée, elle lui donne du relief, elle lui communique en quelques façons le mouvement et la vie, présentant ainsi spontanément dans une traduction à la portée de tous les esprits, la plus dangereuse de toutes les séductions, celle de l’exemple. »

Saisie des presses au National, le 27 juillet 1830
Saisie des presses au National, le 27 juillet 1830 |

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Provenance

Cet article provient du site Presse à la Une (2012), réalisé en partenariat avec le CLEMI et l’AFP.

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