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La liberté de la presse à travers les siècles

Descente dans les ateliers de la liberté de la presse
Descente dans les ateliers de la liberté de la presse

© Bibliothèque nationale de France

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Pour mieux comprendre les différentes expressions de la presse, il semble nécessaire d'avoir un panorama global de l'évolution de ses libertés. 

Jusqu’à 1789

La question de la liberté d’expression de la presse, et partant de son indépendance, se pose dès 1631, avec l’apparition du premier périodique en France, La Gazette, de Théophraste Renaudot. L’hebdomadaire répond en effet à la volonté du pouvoir – Richelieu, en l’occurrence – de disposer d’un outil permettant d’exercer une action continue sur le public lettré, alors que le pays s’engage dans la guerre. Pour éviter toute concurrence, Louis XIII dote La Gazette d’un privilège royal de paraître et d’éditer qui lui donne une position de monopole en matière d’information politique. D’autres journaux existent bien, mais restent cantonnés à la littérature et aux sciences.

La Gazette
La Gazette |

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Journal de Paris
Journal de Paris |

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Révolution française

Rompant avec la censure qui caractérise la monarchie absolue, la Révolution française érige la liberté d’expression en un principe fondamental et l’inscrit à ce titre dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, en son article 11. Cette liberté nouvelle provoque l’explosion de la presse : 166 journaux politiques apparaissent en 1789.

Droits de l’Homme et du Citoyen
Droits de l’Homme et du Citoyen |

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Acteurs des combats politiques de l’époque, les journalistes sont aussi victimes des persécutions qui l’accompagnent à partir de 1792. La liste des journalistes exécutés, assassinés, proscrits est longue. On peut citer parmi tant d’autres Desmoulins, Brissot, Fabre d’Eglantine, Hébert, Marat, Rivarol.

Directoire et Premier Empire

Avec le Directoire (1797-1798), commence une longue période durant laquelle le pouvoir entend mettre la presse au pas. Surveillés par la police, des journaux sont suspendus ou supprimés. Le Directoire impose aussi le timbre fiscal sur chaque exemplaire du journal, brimade financière destinée à freiner l’essor de la presse. Mais Napoléon Bonaparte, pour qui la presse n’est qu’un moyen de propagande, va plus loin encore. Le 17 janvier 1800, en un seul décret, le Premier Consul supprime 50 journaux à Paris : il n’en reste alors plus que 13. Napoléon rétablit progressivement la censure, chaque journal se voyant affecter un censeur qu’il doit lui-même rétribuer (comme sous l’Ancien Régime), et continue son épuration : à Paris, en 1811, n’existent plus que 4 journaux, du reste confisqués à leurs propriétaires : Le Moniteur (transformé en journal officiel, dès décembre 1799), Le Journal de l’Empire, La Gazette de France et Le Journal de Paris. Et si l’Empereur épargne les journaux des départements, c’est parce qu’ils permettent de répercuter les décisions des  préfets et les textes officiels.

Restauration et Monarchie de Juillet

Le retour de la monarchie offre un répit à la presse. La censure est officiellement supprimée par Louis XVIII, comme l’autorisation de paraître ou l’impôt très lourd sur les bénéfices instauré par l’Empire. Mais, dès avril 1820, le ministère de l’Intérieur crée une commission de censure et exige que les textes des journaux lui soient soumis douze heures avant leur impression. Le cautionnement est un autre moyen de pression : tout journal doit verser une somme qui doit couvrir les frais de justice, en cas de poursuites. La perversité du principe est limpide : il suffit au pouvoir d’attaquer un journal devant les tribunaux pour assécher ses  finances et le contraindre à la disparition.

Monté sur le trône en 1824, Charles X se montre d’abord libéral mais, en juillet 1830, son président du Conseil, Polignac, propose une législation répressive que les journaux considèrent comme un véritable coup d’Etat contre la presse. Aussitôt, 48 journalistes et gérants de journaux se réunissent dans les locaux du National (dirigé par Adolphe Thiers) et signent un appel à la résistance qui déclenche la révolution des « Trois Glorieuses » et, par ricochet, la chute de Charles X.

Lecture des ordonnances royales limitant la liberté de la presse au jardin du Palais-Royal
Lecture des ordonnances royales limitant la liberté de la presse au jardin du Palais-Royal |

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Arrivé au pouvoir, le nouveau monarque, Louis Philippe, signe une Charte qui proclame : « la censure ne pourra jamais être rétablie ». Certains journaux dits « libéraux », profitant, de la liberté d’expression retrouvée, ne cessent d’attaquer le roi. La tolérance du pouvoir montre vite ses limites et les caricaturistes qui osent brocarder Louis Philippe sont poursuivis en justice et parfois jetés en prison (comme Daumier). Finalement, en septembre 1835, le régime choisit la répression. La loi considère désormais comme un « attentat à la sûreté de l’Etat », passible de 5 à 20 ans de prison, le simple fait de se qualifier « républicain ». Les tribunaux peuvent suspendre tout journal qui aurait été condamné. Dans ces conditions, la prudence prévaut et les journaux d’opposition qui veulent survivre n’ont d’autre choix que de s’autocensurer.

Deuxième République et Second Empire

A la suite de la révolution de 1848, qui amène la Deuxième République, la liberté d’expression est rétablie et toutes les mesures de contrainte qui pèsent sur la presse sont abolies. En quelques semaines, 300 journaux paraissent à Paris, et presque autant en province. Mais l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte met fin à l’euphorie. L’étau se resserre sur les journaux jusqu’au décret de février 1852 qui impose l’autorisation préalable à la parution et met en place un système d’avertissements : au bout de deux avertissements, la publication est suspendue ; au bout de trois, il est supprimé. En 1868, cependant, l’Empereur assouplit une partie de la législation contraignante. Le résultat est immédiat : en un an, sont créés 140 journaux.

Troisième République

Néanmoins le tournant majeur est pris au lendemain de la chute du Second Empire, avec l’instauration de la Troisième République, en septembre 1870. En un mois, toutes les contraintes imaginées depuis un siècle pour tenir les journaux volent en éclats. Il faut cependant quelques années encore pour que la République s’affirme définitivement. Les républicains, alors, font du libre accès des citoyens à l’information un principe sacré du régime qui se traduit, le 29 juillet 1881, par la loi sur la liberté de la presse. Résolument libérale, elle protège la liberté d’informer jusqu’à nos jours. Les seules limites à l’expression de la presse sont la diffamation et la diffusion de fausses nouvelles.

En un mois, toutes les contraintes imaginées depuis un siècle pour tenir les journaux volent en éclats.

Par la suite, la loi se durcit. En 1894, notamment, après la vague d’attentats anarchistes et l’assassinat du Président Sadi Carnot, sont votées des mesures (qualifiées par ses ennemis de « lois scélérates ») qui sanctionnent la presse d’extrême gauche. Les journaux antimilitaristes sont ainsi poursuivis et parfois interdits. Mais, dans l’ensemble, l’ère qui s’ouvre est celle d’une totale liberté, dès lors que la loi est respectée. Cette liberté peut s’accompagner de violence, mais, même rudement attaqués, les hommes politiques, qui en sont souvent la cible, n’osent pas poursuivre les journaux devant les tribunaux, ne voulant pas apparaître comme « liberticides ».

Pendant la Grande Guerre, la censure est rétablie et les journaux doivent soumettre leurs épreuves avant parution. Il s’agit alors pour le gouvernement d’empêcher la diffusion d’informations qui pourraient servir les intérêts de l’ennemi. La presse, dans l’ensemble, accepte les lourdes contraintes de la censure dans le contexte de guerre, à condition qu’elle ne concerne que le domaine militaire et diplomatique. Mais la tentation est grande pour le pouvoir d’aller au-delà en sanctionnant la critique politique de la conduite de la guerre, ce qui provoque la fureur de nombreux journalistes, comme Clemenceau.

Quatrième puis Cinquième République

Avec la République, la liberté de la presse devient une vertu cardinale de la démocratie. A la Libération, les journaux qui ont accepté de paraître sous le contrôle de l’occupant sont interdits, ce qui revient – cas unique en Europe -, à supprimer la quasi-totalité de la presse quotidienne. Sous les IVe et Ve République, l’expression de la presse est libre, exception faite du temps de la guerre d’Algérie, marquée par de nombreuses saisies administratives de journaux opposés à cette guerre, et des attaques contre la presse satirique (interdiction de Hara-Kiri Hebdo, procès intentés par l’Armée contre Charlie Hebdo…). La loi de 1881 est aussi plusieurs fois aménagée, notamment pour mieux lutter contre les discriminations et la haine raciale (lois de 1972 et de 1990).

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