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Formes et couleurs du monde médiéval

Les mappemondes
Mappemonde de Lambert de Saint-Omer
Mappemonde de Lambert de Saint-Omer

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Tout comme nos planisphères actuels, la mappemonde médiévale est une représentation codifiée du monde. Formes, couleurs et orientation mettent autant en image des connaissances scientifiques qu’une spiritualité chrétienne.

De la mappa à la mappemonde

À l’origine, le mot mappa servait à désigner un morceau d’étoffe, une serviette, une nappe et plus précisément encore le chiffon qui donnait le signal de départ des jeux du cirque. À partir du 9e siècle, le mot devait s’appliquer à la représentation graphique du monde, passant de la désignation du support à celle du contenu. Ainsi de nombreux catalogues de bibliothèques font allusion à ces « mappemondes », sans doute des « cartes », rouleaux de parchemin conservant la représentation du monde, dont la plupart sont aujourd’hui disparus. Enfin, en s’élargissant à partir du 11e siècle, l’expression désigne indifféremment, et non sans équivoque, autant la description littéraire que la représentation figurée. Outre Pierre de Beauvais, c’est sous le terme de « mappemonde » que Hugues de Saint-Victor et plus tard Paulin de Venise nous ont transmis leurs ouvrages traitant de la description du monde.

Formes, couleurs, orientation

Les trois modèles

Mappemonde partagée en zones climatiques
Mappemonde partagée en zones climatiques |

Bibliothèque nationale de France

Octavianus Augustus tenant un globe tripartite
Octavianus Augustus tenant un globe tripartite |

Bibliothèque nationale de France

On a coutume de regrouper les mappemondes en trois grandes familles : les mappemondes hémisphériques, les œcuméniques et celles de type « mixte ».

Les mappemondes hémisphériques représentent l’un des hémisphères dans son entier, généralement l’hémisphère supérieur, comprenant non seulement la région habitable connue, au nord, mais également la partie continentale habitable inconnue qui se trouve au sud de l’équateur. Les mappemondes œcuméniques, en revanche, ne s’intéressent qu’au seul espace habité par les hommes : l’œkoumène des Grecs, l’orbis terrae des Romains, ce que l’on appelle au Moyen Âge nostra habitatio. Le plus souvent sous forme d’un schéma réduit à son expression la plus simple, une figure en TO.

Cette image simple est cependant hiérarchisée : l’Asie, par son étendue, deux fois supérieure à celle des autres parties, et par sa situation à la fois orientale et sommitale, occupe une position dominante. Elle joue un rôle privilégié, parfois souligné dans le graphisme de son nom. Tandis que l’Afrique – déclarée dès le 5e siècle par Orose « plus petite et inférieure en tout » – occupe chichement un peu moins de la moitié de la partie inférieure.

Mappemonde d’Ebstorf
Mappemonde d’Ebstorf |

Bibliothèque nationale de France

Cette figure élémentaire très répandue voisine avec d’autres images plus élaborées, où la forme traditionnelle du TO tend à disparaître, à s’estomper derrière la complexité du tracé, tandis que les légendes et les vignettes occupent une place de plus en plus importante. À l’intérieur des trois parties du monde viennent s’ajouter, « ramassés sur une seule page : les régions, les provinces, les îles, les villes, les déserts, les marais, les mers, les montagnes, les fleuves ». Les montagnes sous forme de chaînes ou de massifs constituent comme l’ossature de la terre. Les fleuves sont signifiés par deux traits parallèles, souvent coloriés, en vert ou en bleu, surdimensionnés. Des vignettes urbaines, sous forme de tours, de murailles ou d’églises, évoquent les cités comme autant d’empreintes de l’homme sur la terre, jusqu’aux hommes eux-mêmes, présents dans leur diversité et leur étrangeté.

Enfin, il existe une troisième catégorie, intermédiaire, que l’on pourrait qualifier de mappemondes mixtes, où se combinent la forme hémisphérique et la configuration de l’œkoumène. Ce type est extrêmement répandu au 12e siècle. On en trouve de nombreux exemples dans le Liber floridus de Lambert de Saint-Omer et dans les manuscrits des œuvres de Guillaume de Conches.

Des images peintes ou coloriées

Mappemonde de Lambert de Saint-Omer
Mappemonde de Lambert de Saint-Omer |

Bibliothèque nationale de France

Les mappemondes sont parfois rehaussées de couleurs, bien que leur emploi ne soit pas systématique et qu'il n'existe pas véritablement de « système » de couleur signifiant.
L’Océan et les mers – qui communiquent toutes avec lui, y compris la mer Caspienne que l’on prend jusqu’au 13e siècle pour un golfe de l’Océan septentrional – sont souvent peints en vert. Si la mer Rouge prend la couleur de son nom, ce n’est pas, précisent les auteurs, que ses eaux soient rouges – l’eau est un élément incolore – mais simplement parce que la terre alentour est rouge – de corail ou de minium c’est selon – et communique sa couleur aux eaux. L’eau douce des fleuves est parfois soulignée de bleu, les montagnes coloriées en brun, voire en rouge.

Des images orientées

Mappemonde de Pietro Vesconte
Mappemonde de Pietro Vesconte |

Bibliothèque nationale de France

Les mappemondes proposent des images, plus ou moins complexes, le plus souvent orientées au sens propre, c’est-à-dire tournées vers l’est. Cette direction cardinale, celle du soleil levant, était peut-être celle des mappemondes romaines. Elle va prendre peu à peu une signification symbolique par association de l’orient avec la localisation du Paradis terrestre, mais surtout, comme l’explique au 12e siècle Honorius Augustodunensis, par assimilation du soleil levant au Christ, véritable Soleil, vraie lumière, au moment où les églises tournent également leur chœur, lieu de la transsubstantiation, de la présence réelle du Christ ressuscité, vers l’est, vers l’orient. Cette direction orientale, pour être la plus fréquente, n’est cependant pas hégémonique. Il existe de nombreuses mappemondes, surtout parmi les mappemondes hémisphériques, orientées au nord. D’autres, peut-être sous l’influence de la cartographie musulmane, sont orientées au sud.

La géométrie du monde

La « forme de la terre », la « forme du monde », relève de la géométrie. La Terre tout entière est une sphère, ce dont nul ne doute au Moyen Âge, dans les milieux cultivés au sens large. Les auteurs de textes en langues vernaculaires le démontrent dès le 13e siècle, comme Brunetto Latini dans Li Livres dou tresor, ou Gossuin de Metz dans l’Image du monde.

La forme du monde

La création du monde selon la Chronique de Nuremberg
La création du monde selon la Chronique de Nuremberg |

Bibliothèque nationale de France

Par quoi il apparaît que la Terre est ronde
Par quoi il apparaît que la Terre est ronde |

Bibliothèque nationale de France

Dans la sphère du monde, du cosmos, le globe terrestre ne représente qu’un point, le point central, à la fois au centre et au lieu le plus bas de l’univers.

Division de la terre entre les fils de Noé
Division de la terre entre les fils de Noé |

Bibliothèque nationale de France

Quant à la terre habitée, elle n’occupe sur l’ensemble de la sphère terrestre qu’à peine un quart de l’espace. Le plus souvent, elle est représentée par un orbe, un cercle, un O, par commodité ou par souci de perfection. Comme l’indiquait déjà Macrobe dans le Commentaire du Songe de Scipion, sa forme véritable est celle d’une chlamyde, plus étendue d’est en ouest que du nord au sud. C’est ainsi que la représentent, aux 12e et 13e siècles, certaines mappemondes du Liber floridus ou, au 14e siècle, celles qui accompagnent le Polychronicon du moine anglais Ranulph Higden. Cette terre habitée peut également être figurée sous les traits d’un carré évoquant les quatre points cardinaux, comme sur un certain nombre de schémas courants dans les manuscrits des Étymologies d’Isidore de Séville.

Mappemonde du Beatus de Saint-Sever
Mappemonde du Beatus de Saint-Sever |

Bibliothèque nationale de France

La mesure du monde

Les dimensions de cette terre habitée sont depuis longtemps relevées. Depuis l’expérience d’Ératosthène, chacun sait que la circonférence de la Terre est de 252 000 stades, ou encore 180 000 selon Polémée. Chacun se plaît à rapporter ces mesures, voire à les concilier. Plus encore, certains auteurs vont jusqu’à préciser l’étendue, non seulement de la terre habitée, mais celle de chacune des trois parties du monde. Ainsi Dicuil, un Irlandais qui vivait à la cour de Louis le Pieux, dans son Liber de mensura orbis terrae, rédigé en 825, rapporte : « Cette partie de la terre dont je parle et qui est nôtre, qui semble flotter sur le grand Océan qui l’entoure, a été évaluée, dans sa plus grande longueur, d’est en ouest, c’est-à-dire depuis l’Inde jusqu’aux Colonnes consacrées à Hercule à Gadès, à 6 630 milles, comme le rapporte Artémidore. » Le même auteur qui, peu après, évalue la largeur de la Terre du sud au nord à un peu moins de la moitié, c’est-à-dire 3 348 milles.

Selon La Cosmographia de Julius Honorius, datée du 4e ou du début du 5e siècle après J.-C., et d’après un texte anonyme du Pseudo-Aethicus, un peu plus tardif, ces mesures auraient été calculées par de savants géomètres envoyés par Jules César à partir de 44 av. J.-C. dans les quatre directions cardinales : Nicodèmos ou Nicodoxus en orient, Didymos en occident, Theudotos ou Theodotos vers le nord et Polyclitus au midi. Prendre ainsi la mesure du monde est une opération hardie qui se serait étendue entre 44 av. J.-C. et 1er ou 10 après.

Une représentation biblique de la Terre : La mappemonde d’Hereford
Une représentation biblique de la Terre : La mappemonde d’Hereford |

Bibliothèque nationale de France

Ce récit est repris au Moyen Âge, avec différents aménagements, notamment sur la mappemonde d’Ebstorf : Une mappemonde est la « forme du monde », telle que Jules César, le premier, en fit prendre la mesure par des émissaires envoyés à travers toute la terre. Ces émissaires sont représentés sur la mappemonde de Hereford.

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