Shiva, Brahmâ et Indrâ

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Shiva sur le mont Kailasa
Shiva et Parvati sont assis sur le mont Kailasa, leur demeure (montagne de rochers blancs) avec, devant eux, Nandi, couché. Ils sont encadrés par Narada, mains jointes, muni d’une vina, et par le gandharva Tumburu (corps vert à tête de cheval), également mains jointes en anjali, qui porte sur l’épaule une sorte de tambura pourvu d’une calebasse.
Ce petit album fut acquis comme étant l’œuvre d’un brahmane appelé « Sami » (Svami), qui ne fut peut-être pas un grand artiste, mais qui était sûrement un érudit. Ce nom n’est probablement pas son patronyme réel, car ce terme de respect signifie « maître ». Grand connaisseur de la religion et de l’iconographie hindoues, il a peint, dans leur infinie variété, les dieux et déesses – avec leurs avatars, leurs véhicules et leurs parèdres – du panthéon hindou. La première partie du volume est plus précisément consacrée aux avatars de Vishnu et aux cérémonies et lieux consacrés au vishnuïsme, tandis que la seconde se concentre sur Shiva et les multiples divinités de l’univers shivaïte.
Grand dessin avec inscriptions :
En bas : « Narader / Caÿlasson, Paradis de chiven / tombouren » ;
Sur le côté et en haut, (même texte repris deux fois) : « Le Caïlasson est la demeure de Chiven, c’est une montagne d’argent, la Déesse Parvadi son épouse est à coté de lui / le bœuf qui est à leurs pieds est Darma devedé qui veut dire Dieu des Vertus, qui s’est déguisé en bœuf afin de toujours / Servir de monture à Chiven. la figure qui a une tête de Cheval est tounbourou un des Deverkels, et / l’autre est Narader grand pénitent, l’un et l’autre excellent a jouer des / instrumens. »
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Le cas de Shiva
Il est des formes de pluralité d’une même figure divine qui sont indépendantes du temps et plus difficiles à formuler : la parèdre de Shiva est tantôt étroitement accolée à son époux (au point parfois de former avec lui un corps unique partagé en une moitié masculine et une féminine, c’est Shiva en tant que Ardhanarîshvara), tantôt autonome, souveraine, manifestant sa terrifiante puissance sous les traits de Durgâ ou de Mahîshâsuramardinî.

Shiva Ardhanarishvara
Shiva androgyne, debout en samabhanga sur un piédestal, est représenté moitié homme en tenue d’ascète, et moitié femme, vêtu d’un élégant sari rouge. Sa main droite tient le mriga et la gauche une fleur de lotus, tandis que ses deux autres mains sont en abhaya et varada mudra. Il symbolise l’union de Shiva (la substance) et de Shakti (l’énergie) qui est le fondement de toute création. C’est une autre façon de représenter le linga et le yoni.
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Shiva Ardhanarishvara
Shiva pour moitié homme et pour moitié femme : la partie gauche, masculine, est blanche et la partie féminine, à droite, est verte. Un temple, à Tiruchengodu, dans le district de Namakkal, est dédié à cette forme de Shiva.
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À la différence de Vishnu, Shiva n’a pas d’avatar. En revanche il est fréquemment représenté avec cinq faces : chacune figure un aspect de sa personne, un des domaines de sa puissance et correspond à un de ses noms. Notons que le tout de ce Shiva quintuple est nommé Îshâna, « seigneur », ce qui est aussi le nom associé à la cinquième de ses faces, celle qui, dans les litanies, est donc nommée en dernier. Une autre de ses faces, associée au nom Vâmadeva, en deuxième position dans l’énumération, est affectée à Shiva en tant qu’il prend conscience de son identité avec Brahmâ. Ce Shiva polycéphale nous donne donc à voir le jeu inlassablement repris de l’un qui subsume le multiple, du même qui se retrouve dans l’autre.

Shiva Panchanana
Le terme Panchanana, qui signifie « Le Seigneur aux cinq visages », désigne Shiva en tant que seigneur des cinq éléments, des cinq organes des sens, des cinq points cardinaux (Est, Sud, Ouest, Nord, plus le zénith), ainsi que des cinq races humaines mythiques.
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Durga Mahishasuramardini
Durga tue le démon Mahisha sous la forme d’un buffle.
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La cinquième tête de Brahmâ

Brahma
Brahma, premier dieu de la trinité hindoue, aux quatre têtes, tient dans l’une de ses quatre mains le livre des Veda.
Ses trois autres mains font les gestes de trois mudra : à gauche le vitarka mudra, le pouce et l’index forment un anneau, signe de sagesse. Une autre main levée, paume vers l’avant effectue le abbaya mudra, geste de bénédiction et d’apaisement, tandis qu’une troisième main, en position du varada mudra est prête à exaucer les vœux.
Brahma est considéré comme l’énergie de création qui permet au monde de parvenir à l’état manifesté. Les mythes abordent cette fonction sous deux aspects : d’un côté, Brahma crée l’univers sous sa forme matérielle primitive. C’est Hiranyagarbha, l’œuf d’or, resplendissant comme mille soleils, la matrice universelle, l’œuf cosmique. Cet “œuf” se divise aussitôt et sa partie supérieure forme le Ciel tandis que sa partie inférieure forme la Terre.
Une autre version de la légende narre comment Brahma déposa une graine dans l’eau. Celle-ci en germant, se transforma en un immense œuf d’or (Brahmanda) qui, ayant mûri mille ans, se sépara en deux parties, révélant Brahma et sa Shakti Sarasvati. De l’une des moitiés de l’œuf, Brahma fit les sept étages du monde supérieur, de l’autre, les sept étages du monde inférieur.
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Brahma, le créateur monté sur un cygne
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Or Brahmâ, précisément, apparaît toujours dans les images des albums qui nous occupent comme un dieu à quatre têtes qui regarde simultanément les quatre points cardinaux ; ou encore, ces têtes représentent les quatre Veda. Une légende veut cependant qu’à l’origine Brahmâ ait eu cinq têtes, mais que Shiva, irrité, lui en ait coupé une. Les têtes multiples de Brahmâ, la mutilation de Brahmâ par Shiva, c’est là un motif qui remonte au Veda. Nous lisons dans les textes de la prose védique (notamment Aitareya-Brâhmana III 23) que le dieu créateur Prajâpati, ayant créé sa fille, se mit à la poursuivre de ses assiduités, au grand scandale des autres dieux ses fils.
Pour empêcher leur père d’aller plus loin, ils décident de le transpercer, mais ne trouvent personne parmi eux qui soit prêt à faire ce geste ; ils fabriquent donc un nouveau dieu en prélevant, dans la collection de corps que possède chacun d’eux, ceux qui sont les plus féroces et en les rassemblant en un seul : c’est le terrible Rudra, préfiguration du Shiva de l’hindouisme classique. Rudra accomplit sa tâche. Arrêté dans son élan, Prajâpati laisse s’écouler son sperme, que les dieux recueillent et dont ils feront naître l’homme, l’espèce humaine.

Sarvatomukha
Sarvatomukha signifie « qui regarde dans toutes les directions ».
Inscription : Brahma où Brouma Dieu créateur / avant sa Punition.
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Brahma
Brahma, personnification du brahmane et principe créateur, possède quatre têtes couronnées qui lui permettent de veiller sur les quatre orients et également sur les quatre Veda. Il a aussi quatre mains. Dans l’une il tient les Védas, dans une autre un chapelet dont les grains symbolisent le temps. Ses deux autres mains font les gestes de l’apaisement et du don.
Son véhicule est une oie, symbole de la connaissance. Son épouse est Sarasvati, qui passe aussi pour être sa fille. Malgré son importance hiérarchique, Brahma est peu vénéré par les hindous. Un seul grand temple lui est dédié à Pushkar dans le Rajasthan.
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Dans les Purâna (notamment Matsya-Purâna III 32 ; Bhâgavata-Purâna III), Sarasvatî, la fille de Brahmâ, est la Parole védique personnifiée. À peine est-elle sortie de lui que Brahmâ, la voyant, est troublé puis saisi d’admiration et de désir : « Ah ! quelle beauté, quelle beauté ! » Les fils de Brahmâ s’indignent : « Mais c’est notre sœur ! » Brahmâ n’entend pas leurs protestations, il ne quitte pas des yeux sa fille qui tourne respectueusement autour de lui et s’incline devant lui ; il ne cesse de s’exclamer : « Ah ! quelle beauté, quelle beauté ! » Pour ne pas donner l’impression qu’il la suit du regard, il se dote de quatre têtes, une pour chaque point cardinal, chacune portant des marques différentes de sa passion (joues pâles, lèvres tremblantes…) Enfin, quand Sarasvatî, ayant achevé sa circumambulation, s’élève vers le ciel, Brahmâ se donne une cinquième tête qui couronne les quatre autres et regarde le zénith. Brahmâ réussit à éloigner ses fils, leur confiant diverses tâches de création, et finit par épouser cette fille tant aimée. Fin heureuse, mais qui ne va pas sans perte : Shiva tranchera cette cinquième tête.
Les mille yeux d’Indra
Un autre détail iconographique nous permet de saisir la propension des dieux singuliers à se donner ou à porter sur eux les marques de la pluralité, signes de leur pouvoir ou du moins de leur désir d’ubiquité : Indra est sahasrâksha, il a mille yeux, répandus sur tout le corps. Amoureux de la nymphe Tilottamâ, Indra la regarde avec tant d’intensité que des yeux lui poussent sur tout le corps. Selon une autre légende, Indra, alors qu’il venait de faire l’amour avec Ahalyâ, fut surpris par son époux, le redoutable ascète et « voyant » védique Gautama, qui le maudit : désormais Indra aurait sur le corps mille vulves ou images de vulve ; à la suite d’un accommodement, ces vulves devinrent des yeux, Indra devint donc netrayoni, marqué par des vulves qui sont des yeux.

Indra fait pénitence dans le tapovana
Indra, le dieu aux mille yeux, assis dans la forêt au milieu de bambous et autres plantes (dessinés à l’encre), fait pénitence dans un bois d’ascèse (tapo, pénitence ; vana, forêt) en attente de la mort de Shurapadma.
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Provenance
Ce contenu a été conçu pour l'exposition Miniatures et peintures indiennes (2010).
Lien permanent
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