Le serpent Shesha

Bibliothèque nationale de France
Anantashayana
Forme de Vishnu, plongé dans la méditation et couché sur le serpent d’éternité Ananta, qui se trouve dans le temple Govindaraja, à l’intérieur du sanctuaire de Chidambaram. Ce grand centre de pèlerinage du Tamil Nadu est situé à cinquante kilomètres de Pondichéry, sur la rivière Vellar. Chidambaram est l’un des lieux les plus sacrés du shivaïsme car c’est là que Shiva effectua la danse de la félicité (ananda-tandava) sur le corps du nain Apasmara (l’homme sans mémoire). On y adore donc Shiva sous la forme du Nataraja, le danseur cosmique.
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Il faut maintenant aborder ce qui est plus qu’un détail, un motif récurrent de la cosmologie hindoue : très souvent Vishnu est représenté à proximité d’un énorme cobra polycéphale, dont chacune des têtes est pourvue d’un capuchon déployé. C’est le serpent Shesha, dont le nom signifie « Reste ». Il est appelé aussi Ananta, « Sans fin ». Ce serpent symbolise la réserve d’être qui demeure une fois que les mondes avec leurs habitants ont été formés, extraits des eaux cosmiques primordiales. À ce titre il est aussi le point d’appui, la base sur laquelle repose le cosmos, ou la terre, qu’il soutient et entoure de ses anneaux innombrables.

Utsavamurti de Vishnu assis sur le serpent Shesha
Vishnu est assis en lalitasana sur les anneaux du serpent Shesha. Les cinq têtes dressées du naga, déployant leur capuchon, forment un dais au-dessus du dieu.
Inscription : « 5e jour le s. / Vichenou porté sur le serpent adisechen le soir du 5e / jour de la fête du tirounalei »
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Krishna couché sur le serpent Shesha est salué par une orante
Krishna (Vishnu) est couché sur Shesha (Ananta) ; à gauche, une femme vêtue d’un sari rayé et d’un choli à pois, a les mains jointes levées (anjali) en signe d’adoration.
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Inversement, quand un cycle cosmique se termine, l’univers n’est pas à proprement parler anéanti, mais il subit une sorte de résorption (pratisamcara) ou de dissolution dans le liquide informe antérieur à toute origine : le serpent Reste demeure lui aussi, portant sur ses anneaux le dieu Vishnu plongé dans un sommeil yogique. Du nombril de Vishnu endormi surgit un lotus et, de ce lotus, apparaît Brahmâ le dieu créateur, qui va donc procéder à la re-création du monde. C’est un thème essentiellement vishnuite abondamment illustré dans la sculpture et la peinture. Il donne lieu dans les textes à toute sorte d’amplifications poétiques et de spéculations philosophiques.

Bhagavat, plongé dans le sommeil de la méditation
Vishnu (Bhagavat) repose sur une feuille, flottant sur la mer d’éternité et de son nombril sort un lotus duquel naît Brahma. Vishnu porte des bijoux et il est coiffé d’une tiare. La mer ponctuée de poissons et autres monstres marins n’est pas sans rappeler certains bas-reliefs de Hampi.
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Il faut noter aussi que le courant Shivaïte de l’hindouisme ne manque pas de marquer la présence et la prééminence de Shiva dans tout le processus : c’est Shiva qui se charge de tous les cataclysmes, de toute les violences de la destruction, mais en outre, au même titre que Vishnu, il domine tout l’ensemble et la vie et la mort de l’univers ne sont que des moments de sa danse cosmique.
Pour en revenir aux images de nos albums, il est remarquable que l’association de Vishnu et de Shesha est si étroite que l’on voit Shesha abritant Vishnu de ses capuchons même quand Vishnu est représenté bien éveillé en son palais céleste, en conversation avec ses interlocuteurs divins ou ses dévots : Shesha est ici comme un emblème, un attribut permanent de Vishnu.

Vishnu, surmonté du serpent Ananta, assis entre ses parèdres Lakshmi et Bhudevi, réside au Vaikuntha
Vishnu, entre deux parèdres, est surmonté de Shesha, le naga à cinq têtes ; agenouillée, Ila lui masse la plante du pied gauche, tandis que quatre enfants de Brahma (Sanaka, Sananda, Sanatana et Sanatkumara) le saluent.
Les légendes concernant la vie de Krishna, avatar de Vishnu, sont innombrables et sont décrites dans le Bhagavata Purana, le Mahabharata, le Harivamsha, le Vishnu Purana, le Gitagovinda, sans compter d’autres textes moins connus et toutes les légendes locales.
La constitution de ces volumes par Porcher des Oulches s’est échelonnée sur une trentaine d’années : c’est l’œuvre d’une vie. Depuis les guerres de conquêtes mogholes dans le Deccan et la chute des dynasties chiites, nombre de familles de peintres qui travaillaient à Bijapur ou Golconde vers la fin du 17e siècle ont émigré vers l’est, sur la côte de Coromandel, et se sont converties à un art plus populaire. À ses débuts, Porcher résida dans l’actuel Andrah Pradesh. Dans cette région, notamment à Palakolu, non loin de Masulipatam où il fut chef du comptoir dès 1732, des artistes produisaient des kalamkari, grandes peintures narratives sur tissu servant de support iconographique aux conteurs qui se déplaçaient de village en village. Le style de ces peintures est dense, car le peintre doit raconter toute une épopée sur une seule draperie. Porcher a probablement fait appel à ces artistes. Après être revenu en France (1738-1740), il fut renvoyé en Inde et placé à la tête du comptoir de Karikal de 1754 à 1759. Là, il fit travailler des artistes qui, dans cette région riche en sanctuaires, produisaient des images pieuses à destination des pélerins.
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À un autre niveau, plus humble, de la mythologie, Shesha apparaît comme un serpent parmi d’autres, à vrai dire le plus sage et le plus puissant d’entre eux, le plus vertueux aussi : dans ses austérités ascétiques il se concentre sur le dharma, sur les observances rituelles et morales qui assurent l’ordre du monde, et Brahmâ justement lui confie la tâche d’être le point d’appui de la terre.
Shesha reproche à ses congénères serpents de se quereller sans cesse avec les oiseaux, qui ont à leur tête Garuda, monture et messager de Vishnu. Ce sont précisément les vertus de Shesha, ses rapports si étroits avec Vishnu et aussi avec Brahmâ, qui sauvent, de justesse, les serpents de l’extermination totale à laquelle ils s’exposent du fait, entre autres causes, de leurs relations hostiles avec les oiseaux. Une manière commode d’entrer dans cette histoire compliquée, dont plusieurs moments sont illustrés dans les albums de la BnF, est de résumer le récit-cadre du Mahâbhârata. L’épopée en effet commence par une sorte de hors-texte : le récit des circonstances dans lesquelles elle fut récitée pour la première fois.

Le serpent Sankarshana détruit l’univers par le feu
Inscription : « Le Serpent adysechen vomissant Son feu qui brûle tous les globes. C’est le serpent qui servit de Corde pour / faire mouvoir la montagne Mondaragueri dans la mer de lait, lorsque les deverkels et les Achouren voulurent avoir l’Amourdou. »
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Provenance
Ce contenu a été conçu pour l'exposition Miniatures et peintures indiennes (2010).
Lien permanent
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