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De l’âge d’or de la presse aux réseaux sociaux

Le Cafard acharné
Le Cafard acharné

© Jalons

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La naissance du pastiche de presse est presque concomitante de la naissance de la presse elle-même. Néanmoins, en traversant les siècles, le format s'est adapté aux évolutions du genre.

Rire avec la censure au 19e siècle

Parce qu’elle représente une forme de pouvoir, la presse a été l’objet de contrefaçons humoristiques dès La Gazette de Théophraste Renaudot (1631), créée en France par privilège du Roi. Si aux 17e et 18e siècles, quelques pastiches reproduisent l’ensemble d’un journal, c’est dans la seconde moitié du 19e siècle que cette pratique se propage de manière exponentielle. Jusqu’au début de la Troisième République dans les années 1870, les journaux sont contraints par la censure. Parallèlement au développement de la presse, cette surveillance va accroître la créativité et l’inventivité de nouveaux titres satiriques, caractérisés par un ton insolent et provocateur. En effet, même après la loi sur la liberté de la presse de 1881, la censure reste active aussi bien pour le dessin que pour les œuvres considérées comme licencieuses.

Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays lointains
Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays lointains |

Bibliothèque nationale de France

Journal de la cour du palais
Journal de la cour du palais |

Bibliothèque nationale de France

Le premier moyen de contournement de la censure utilisé par les journaux satiriques est de contester la grande presse monarchiste ou impériale sans cibler explicitement le pouvoir. Un second contournement de la censure consiste à atténuer la portée politique par le biais de la satire de mœurs, reprenant des thématiques à la mode comme le macabre ou la représentation de types sociaux. Le goût pour la physionomie des figures urbaines rejoint celui des physiologies, à l’image du succès des recueils illustrés Les Français peints par eux-mêmes (Curmer, 1840-1842) ou Le Diable à Paris (Hetzel, 1945-1946). Le journal s’intègre ainsi dans cette culture du parodique qui multiplie les personnages caricaturaux - tel Robert Macaire présent dans le Carnaval de Paris ou dans les séries de dessins de Charles Philipon et d’Honoré Daumier - ensuite relayée par les chansonniers dans les cabarets et les revues chantées de fin d’année. Comme l’ensemble de la presse satirique, les pastiches jouent sur des titres provocateurs et des pseudonymes fantaisistes. Ces pastiches de presse sont d’ailleurs très souvent publiés dans les journaux comiques.  Ils jouent sur les formats autant que sur l’humour de répétition, créant ainsi une complicité avec les lecteurs.

« Le Drapeau blanc », Le Grelot, n°134
« Le Drapeau blanc », Le Grelot, n°134 |

Bibliothèque nationale de France

Rires de groupe à la Belle Époque

Le pastiche est l’activité d’un groupe plus que d’une rédaction. Ces réseaux de sociabilité gravitent autour de nombreux cercles littéraires et artistiques, des Zutistes et Hydropathes jusqu’aux Hirsutes, Fumistes et Incohérents. Le pastiche de presse n’est qu’une des nombreuses activités de ces collectifs spécialistes de la dérision qui participent notamment aux journaux Le Tintamarre, Le Rire et Le Chat noir. L’hebdomadaire Le Tintamarre est créé en 1843 par Jules Lovy et Auguste Commerson qui se partagent le pseudonyme de Joseph Citrouillard. Il est dirigé à partir de 1872 par Léon-Charles Bienvenu, dit Touchatout, auteur du Trombinoscope et grand pasticheur de romans-feuilletons. Son sous-titre « critique de la réclame, satire des puffistes » vise les publicités mensongères et les tromperies des charlatans.

Photographie de l’atelier Nadar
Photographie de l’atelier Nadar |

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À Montmartre, de nombreux cabarets portent des noms fantaisistes forgés dans le même esprit que les titres des pastiches : l’auberge Au Rendez-vous des voleurs (1860) qui deviendra Le Cabaret des Assassins (1869) puis Au Lapin Agile (1880) ; La Taverne du Bagne (1883) et Le Casino des Concierges (1893) de Maxime Lisbonne ou encore les cabarets à thèmes comme L’enfer et Le Ciel (1892) d’Antonin Alexander et son concurrent Le Cabaret du Néant.

En 1881, Rodolphe Salis fonde le cabaret Le Chat noir puis le journal du même nom l’année suivante. La tradition du carnaval et des cortèges est transposée dans ce cabaret qui donne à voir et à entendre tout type d’œuvres : poésie, monologue, chanson, peinture, dessin, théâtre d’ombres. C’est la grande époque des fumistes, dont les chefs de file sont Arthur Sapeck et Alphonse Allais. Le Rire, lancé en 1894, poursuivra cette tradition, en particulier sous la direction de Gaston de Pawlowski. Ce titre, l’un des plus représentatifs de la Belle Époque, ouvre ses pages à plusieurs tendances politiques, par l’entremise de son propriétaire l’éditeur Félix Juven, républicain dreyfusard.

« Revue noire, Revue rose », Le Rire, n°270
« Revue noire, Revue rose », Le Rire, n°270 |

© ADAGP, 2023

Pastiches en temps de guerre

La censure, réinstaurée durant les deux guerres mondiales, freine la production de détournements satiriques dans la première moitié du 20e siècle. Si la majorité des pastiches servent la propagande officielle, certains d’entre eux sont diffusés clandestinement et deviendront par la suite célèbres. L’humour à l’œuvre singe et dénigre l’ennemi. Dès août 1914, la déclaration d’état de siège entraîne un contrôle préalable de la presse par le ministère de la Guerre. Cette censure s’accompagne  du soutien patriotique des patrons de presse et des directeurs des principaux journaux. Au début du conflit, l’héroïsme de l’armée française est exalté, ses pertes minorées et l’ennemi est moqué pour sa lâcheté ou sa cruauté. La germanophobie se retrouve dans les pastiches publiés pendant le conflit et après la défaite allemande.

« Le Communiqué de 3 heures », La Baïonnette, n°61
« Le Communiqué de 3 heures », La Baïonnette, n°61 |

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Deux journaux satiriques de renom naissent pendant cette période : Le Canard enchaîné et L’Os à moelle. Lancé pendant la Première Guerre mondiale en réaction à la censure et très critique envers le « bourrage de crâne » Le Canard enchaîné revendique ironiquement la publication de fausses nouvelles. À partir des années 1920, il publie régulièrement des pastiches, souvent en lien avec l’actualité politique. Après une interruption subie de juin 1940 à septembre 1944, il continuera à publier des pastiches en usant de son humour à la fois sarcastique et bon enfant. L’Os à moelle, créé par Pierre Dac en mai 1938, présente à ses débuts toutes les caractéristiques du pastiche mais s’en éloigne rapidement pour devenir un journal satirique à part entière.

« Tadeblag Zeitung », Fantasio, n°218
« Tadeblag Zeitung », Fantasio, n°218 |

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L'Os à moelle, n°1
L'Os à moelle, n°1 |

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La censure est à nouveau instaurée en septembre 1939, avant même que la presse ne soit totalement contrôlée par l’occupant nazi et par le régime de Vichy à la suite de l’armistice de juin 1940. Si des contrefaçons sont publiées pour tromper le lectorat en diffusant fausses informations et nouvelles démoralisantes, occupants et résistants usent chacun de leur côté du pastiche. Cet artifice leur permet ainsi de diffuser leurs idées, en faisant passer leurs détournements pour des journaux autorisés.

À partir des années 60 : un renouveau ?

À partir des années 1960, trois acteurs se démarquent : Hara-Kiri, Actuel et Jalons. Ils poursuivent la tradition du pastiche avec des détournements de plusieurs pages, voire de journaux entiers, portés par un humour corrosif.

Un jour, nous decidâmes de faire des quatre pages centrales une parodie, fidèle d’aspect à s’y tromper, d’un des grands journaux francais. Ils y passèrent à peu près tous : Le Parisien demeure, Plouc-Match, Le Chacheur franchais, L’Epique, L’Express, Sombre-dimanche… Cela dura quelques années, et puis cela nous amusa moins, alors nous laissâmes tomber.

Cavanna, Bête et Méchant, 1981

Lancé en septembre 1960, Hara-Kiri, dont l’équipe est emmenée par François Cavanna et le Professeur Choron ; renouvelle le genre satirique. Irrévérencieux et s’appuyant sur des procédés graphiques novateurs, le mensuel propose différentes rubriques telles que des fausses publicités, des cadeaux farfelus, des romans-photos graveleux et une série de parodies de journaux. Ces dernières, constituées de deux à quatre pages le plus souvent estampillées « L’atelier de faux », sont publiées à partir du cinquième numéro jusqu’à la fin 1964. Vingt titres d’informations générales et spécialisées sont détournés : presse à scandale, actualités sportives, médicales, cinéma, faits divers, loisirs, bricolage…

Fanzine de jazz à son lancement en 1967, Actuel s’ouvre progressivement au rock et aux thématiques sociétales jusqu’à sa reprise par Jean-François Bizot en 1970 qui en fait le titre emblématique de la contre-culture post-68. Entre 1974 et 1975, l’équipe réalise près de cinquante parodies des principaux journaux de l’époque. La presse conservatrice est malmenée, tout comme la presse alternative. Le mensuel poussera l’exercice jusqu’à l’auto-pastiche.

Influencé par Actuel, le « groupe d’intervention culturelle » Jalons, spécialisé dans les canulars et les performances humoristiques, crée de 1985 à 2012 des pastiches d’une dizaine de quotidiens et de magazines. Le Monstre, parodie du Monde, est leur première création. Menés par Basile de Koch, leur « président à vie », les Jalons sont les pasticheurs les plus jusqu’au-boutistes. Leurs réalisations, qui respectent la pagination des originaux, sont vendues de manière indépendante en kiosque auprès de leurs modèles.

Le Cafard acharné
Le Cafard acharné |

© Jalons

L’ère numérique : tous pasticheurs ?

Aujourd’hui, la pratique du pastiche de presse, toujours aussi vivante, n’est plus réservée aux seuls professionnels et s’est déplacée sur le web et les réseaux sociaux. Avec le numérique et grâce aux outils informatiques, chaque internaute un peu habile devient créateur et diffuseur de contenus. Tout le monde peut désormais proposer un regard humoristique et satirique sur une actualité avec une très grande réactivité. En parallèle, des sites spécialisés dans la publication de fausses actualités parodiques se multiplient. Certains connaissent un grand succès, notamment Le Gorafi, au point que l’expression « Le monde se gorafise » est entrée dans le langage courant. Ils reprennent la structure et les codes des sites d’informations du web 2.0 : rubriquage, importance de l’image et des contenus multimédias, écriture web, commentaires, présence sur les réseaux sociaux. Certains de ces pure players se spécialisent dans le détournement de l’actualité locale ou sportive.

Qu’il s’agisse de pastiches de journaux postés sur les réseaux sociaux ou d’actualités absurdes publiées sur des sites spécialisés, ces contenus sont par la suite largement partagés. Cette viralité numérique les coupe de leur contexte de publication. Relayés sans source, ils risquent d’être mal interprétés et se transforment en fausses informations. Il arrive aussi qu’ils soient exploités à des fins militantes, en contradiction avec les intentions initiales de leur auteur.

Si la production contemporaine est majoritairement numérique, elle s’inspire toujours de la presse papier et la publication imprimée perdure. Cette vitalité du pastiche de presse montre à quel point l’objet « journal » reste important dans nos représentations et souligne l’efficacité toujours vivace du  détournement comme moyen d’expression.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Pastiches de presse, présentée à la BnF du 4 avril 2023 au 29 octobre 2023.

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