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Le pastiche de presse, un objet humoristique bien identifié ?

Le Journal des Merdeux
Le Journal des Merdeux

Bibliothèque nationale de France

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Parfois dévalué, le pastiche peut s’apparenter à un hommage ou à un exercice de style. Il a le plus souvent une portée humoristique, voire satirique. On parle alors de parodie, terme utilisé dans le langage courant comme un synonyme de pastiche. Lorsque la presse écrite est devenue à la fin du 19e siècle le premier média de masse, elle a constitué un terrain de jeu de prédilection pour le pasticheur… et n’a plus cessé de l’être jusqu’à aujourd’hui.

Détourner un objet du quotidien

La Presse, l’un des premiers quotidiens populaires en France fondé par Émile de Girardin en 1836, marque le début de l’ère médiatique. Le journal s’impose alors progressivement dans notre quotidien grâce à de nouveaux modèles économiques et au progrès technique. Une alphabétisation accrue et une législation plus favorable ont également contribué à une diffusion plus large de la presse auprès de l’ensemble de la population. Le journal n’est plus seulement une publication éphémère qui informe et divertit. Il représente des lectorats, des tendances idéologiques ou encore des modes. La lecture de la presse, dans l’espace privé ou public, devient dans ce cadre, le sujet de nombreuses illustrations. Le journal est à ce point entré dans le quotidien qu’il est parfois même utilisé comme motif imprimé pour la mode.

Portrait de lecteur
Portrait de lecteur |

Bibliothèque nationale de France / Collection particulière

Le détournement de la presse s’intègre dans une pratique du pastiche beaucoup plus large et répandue dans tous les domaines artistiques, notamment la littérature, la peinture, la musique, la chanson ou le spectacle vivant. Au 19e siècle, le pastiche s’étend aux nouveaux arts et médias comme le cinéma, la bande dessinée, les émissions télévisuelles ou radiophoniques.

 Dessin pour Le Rire, n°406
 Dessin pour Le Rire, n°406 |

Bibliothèque nationale de France

Reconnaître un pastiche de journal

Cette fausse presse comique se divise en deux catégories. Soit elle détourne un journal existant, soit elle imagine un journal fictif qui s’approprie les codes d’un type de presse sans faire référence à un titre en particulier. Reproduisant au moins une page entière du journal, ce genre de pastiche est hybride, à la fois littéraire, typographique et iconographique. Son but premier est de déclencher immédiatement complicité puis rire. En effet, le lecteur n’est pas dupé et ne s’attend pas à être informé. Passé le premier effet de surprise, il saisit les références et l’absurdité du propos grâce à des marqueurs qui rendent le doute impossible. À quoi le reconnaît-on ? Un pastiche se signale par certains indices dès le bandeau : des informations farfelues, une numérotation ou une date aberrante, des mots déformés ou une devise inventée.

Le pastiche doit se distinguer clairement d’un faux qui est fabriqué avec l’intention de duper, comme les canards, les fausses nouvelles, les canulars, le plagiat ou encore la contrefaçon. C’est toujours la connivence avec le lecteur qui différencie le pastiche de presse d’autres catégories de faux journaux qui ont pour objectif de tromper le lectorat.La loi sur la propriété intellectuelle et artistique de 1957 (reprise dans le Code de la propriété intellectuelle de 1992) protège les auteurs de pastiches d’éventuelles poursuites dès lors qu’il y a une intention comique évidente et une absence de confusion avec l’original. Elle précise aussi qu’ils ne doivent pas dénigrer l’œuvre première ni nuire à son auteur. Depuis cette loi, les termes « pastiche » ou « parodie » et la mention du créateur sont nécessaires pour éviter toute accusation de parasitisme. Dans certains cas, notamment à l’heure du numérique, les frontières restent floues. La diffusion virale supprime souvent les mentions des sources et sort ainsi le pastiche de son contexte de publication.

Les ressorts du comique

Réussi, le pastiche de presse  déclenche un rire de connivence, sous réserve que le pasticheur et le lecteur aient bien les mêmes références. Il y a tout d’abord un effet comique visuel. Le pastiche conserve en effet suffisamment de références à la maquette d’origine pour que celle-ci soit reconnaissable et que le décalage soit repéré. Cette incongruité crée au premier regard un effet de surprise, puis une fois décodée, elle devient risible.

Le Journal des Merdeux
Le Journal des Merdeux |

Bibliothèque nationale de France

Certaines thématiques outrancières comme la dérision du sacré, le grivois, le scatologique ou le pornographique sont fréquemment utilisées. Le trait est exagéré, parfois provocateur ou politiquement incorrect. Les ressorts sont les mêmes que ceux de la caricature et cumulent des procédés variés : changement de registre ou de niveaux de langue (humour noir, burlesque, grotesque, antiphrase, démesure jusqu’au carnavalesque) ; jeux sur les mots (à-peu-près, contrepèterie, calembour, mot-valise) et altérations des mots (anagramme, ajout ou substitution de lettres).

Les titres inventés, qui se moquent d’un type de presse, font référence à un lectorat auquel personne ne souhaiterait s’identifier : Le Cocu, Le Journal des Merdeux. Le pasticheur s’empare alors du « programme » ou de la « profession de foi », présent dans tout premier numéro d’un véritable journal.

De la maquette aux rubriques

Tous les éléments qui constituent l’identité visuelle du journal sont potentiellement détournés : mise en page, manchette, titres, textes, signatures, logos. Tout en faisant référence à la maquette originale, le pasticheur laisse place à son imagination et à sa créativité en jouant sur la typographie, l’emplacement des rubriques, jusqu’aux ornements graphiques de séparation des articles.

La ligne éditoriale, deuxième signe distinctif d’un journal, est également détournée. Ainsi, les textes pastichent le style des articles (éditorial, reportage, interview, etc.) et de certains journalistes. L’ensemble est mis en valeur par des illustrations et des légendes décalées (dessins, caricature, photographie, photomontage). Les signatures des journalistes et des dessinateurs, lorsqu’elles sont travesties, restent reconnaissables.

Pourri Moche
Pourri Moche |

© Jalons

Le traitement du texte lui-même emprunte aux caractéristiques du pastiche littéraire : il s’agit d’imiter le style d’un modèle. La plupart du temps, le journal parodique accentue la dimension absurde ou aberrante des propos.

Le principe du détournement est visible dès le titre et contamine ensuite toutes les rubriques, usant ainsi du comique de répétition. C’est le décalage entre le véritable journal et le journal factice (qui représente un monde inversé ou carnavalesque) qui crée la distance humoristique. Chaque composant de ce faux-semblant, même déformé à l’excès,  réfère aux fondamentaux de la presse censée rendre compte du réel.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Pastiches de presse, présentée à la BnF du 4 avril 2023 au 29 octobre 2023.

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