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Le rire dans la presse française au 19e siècle

Rébus de la Petite Presse :« C'est samedi 16 courant que commencera dans la petite presse le roman de Paul de Kock Madame Pantalon »
Rébus de la Petite Presse  C'est samedi 16 courant que commencera dans la petite presse le roman de Paul de Kock Madame Pantalon »

Bibliothèque nationale de France

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Malgré le caractère plutôt austère du journal quotidien, une part importante de la presse du 19e siècle vise à amuser le lecteur, voire à susciter de francs rires. Ces rires peuvent être de plusieurs factures : le rire peut se déclencher à partir d’un texte ou d’une image satirique mais un rire fondé sur l’absurde et l’incongru, plus proche de l’humour de notre culture moderne, se développe aussi dans la deuxième moitié du siècle.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux pour l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement.

Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789

Le développement de la presse satirique

L’histoire de la première presse pour rire, la presse satirique, est ancienne. Elle est née lors de la révolution de 1789. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen libère la presse de toute censure : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux pour l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Grâce à cette libération des énergies médiatiques, des dizaines et des dizaines de journaux sont fondés à Paris à partir de l’automne 1789, et parmi eux des petits journaux contestataires, enflammés, engagés, dénonçant tantôt les forces conservatrices et contre-révolutionnaires, tantôt la légitimité des députés. Parmi ces titres, quantité de petites feuilles frondeuses et comiques de toutes obédiences, comme Le Père Duchesne de Jacques-René Hébert, au langage populaire et cru. Mais le premier Empire va étroitement surveiller la presse et Napoléon réduit le nombre des journaux et les réprime surtout dans le même temps grâce à une censure coûteuse et efficace. La presse satirique est étouffée dans l’œuf.

Le Père Duchesne, numéro 25
Le Père Duchesne, numéro 25 |

Bibliothèque nationale de France

Sous la Restauration, régime relativement conservateur mais plus libéral que l’Empire, commence à se développer une petite presse subversive, épigrammatique, très souvent condamnée aussi. Le Nain Jaune qui publie un dessin par mois, est le plus poursuivi et doit s’exiler en Belgique dès 1816. D’autres journaux satiriques (Le Figaro, Le Corsaire, Le Sylphe) vont contribuer par le climat de résistance et le discours agressif qu’ils entretiennent à faire tomber le régime conservateur et très clérical de Charles X en 1830. Leur rubrique d’épigrammes constitue alors un ressort magistral de leur stratégie par le rire. L’épigramme la plus célèbre du Figaro – « M. Roux, chirurgien en chef de l’hôpital de la Charité doit incessamment opérer de la cataracte un auguste personnage » (Le Figaro, 10 août 1829) – vise par exemple à dénoncer par l’ironie et l’ellipse l’aveuglement du roi.

M. Roux, chirurgien en chef de l’hôpital de la Charité doit incessamment opérer de la cataracte un auguste personnage.

Le Figaro, 10 août 1829

Le successeur de Charles X, Louis-Philippe, autorise en retour la complète liberté de la presse. Et au début des années 1830, se développe une petite presse illustrée, inventive, décomplexée avec des titres comme La Caricature et Le Charivari, des dessinateurs comme Honoré Daumier, Gavarni, Traviès, Cham. Ils inventent la mécanique du discours satirique périodique qui est fondée sur des déformations récurrentes et elliptiques du réel qui alimentent le rire. Louis-Philippe, par exemple, est simplement représenté par une poire, une paire de favoris ou un parapluie. La caricature périodique fonde une connivence qui se construit semaine après semaine, grâce une mécanique de la répétition mise en évidence par Henri Bergson dans son essai sur le rire. Elle repose sur une syntaxe narrative, sur des codes propres à des artistes ou à des journaux, sur des symboles plus ou moins collectifs, sur des types comme le Joseph Prudhomme d’Henri Monnier ou le Robert Macaire de Daumier. Ces caricaturistes ont un public connivent qui partage une culture commune de l’humour construite pendant des années.

La Métamorphose du roi Louis-Philippe en poire
La Métamorphose du roi Louis-Philippe en poire |

Bibliothèque nationale de France

À propos de la suppression du cours d’histoire de Michelet sur la Révolution française
À propos de la suppression du cours d’histoire de Michelet sur la Révolution française |

Bibliothèque nationale de France

En 1835, un attentat perpétré par Joseph Fieschi contre le roi Louis-Philippe donne à la monarchie bourgeoisie le prétexte pour museler non pas tant la presse que la presse satirique et notamment la caricature politique. Les images seront dorénavant sous le contrôle de la censure et les caricatures de presse vont être forcées d’abandonner la satire politique pour une satire plus sociale. Le rire, loin d’être un phénomène invariable, se caractérise donc par son historicité. On ne rit pas des mêmes choses au début du siècle et à la fin. L’évolution du rire est notamment liée aux changements de régime politique, aux degrés de libéralisation des mœurs et aux modifications des législations sur la presse mais aussi aux mutations des régimes culturels, des paysages médiatiques et aux positionnements des rieurs journalistiques dans le champ social.

Le rire boulevardier : un rire de connivence ou de résistance ?

Une grande innovation intervient sous le Second Empire avec l’apparition de nouveaux journaux comme le Journal amusant où le rire est recherché pour lui-même. Le syntagme « pour rire » se répand dans les titres et aura une longue postérité : Le Journal pour rire (1848), Almanach pour rire (1850-1905), La vie pour rire (1888), Nouvelles pour rire, journal humoristique, satirique, fantaisiste, amusant (1896).

Le journal amusant
Le journal amusant |

© Bibliothèque nationale de France

Se développent la bande dessinée ou le comic strip sous des plumes comme celles de Cham ou de Bertall, ainsi que l’industrie du mot d’esprit. Dans cette culture du rire, la parodie a une grande importance comme le montrent par exemple le développement des salons comiques (les comptes rendus humoristiques des salons de peinture) et des journaux pastiches.

Nous ne vous demandons que le droit de rire un peu ! c'est la consolation des pauvres et toute la vengeance des vaincus.

Jules Vallès dans le Figaro, 23 novembre 1865

Ce rire léger et boulevardier se propage dans un contexte général de censure. Les journaux dans la suite des dispositions prises par le décret organique du 17 février 1852 sont largement contrôlés. Le rire constitue alors un exutoire à la dictature du régime impérial. La blague devient l’unique moyen d’expression. Jules Vallès explique dans Le Figaro, le 23 novembre 1865 : « Nous ne vous demandons que le droit de rire un peu ! c'est la consolation des pauvres et toute la vengeance des vaincus. Le droit de rire, s'il vous plait ! de rire de l'un, de l'autre ; de celui-ci, de celui-là ; de vous, de moi ! Nous tirerons sur tout le monde […] On a assez d'armes contre nous, nous n'en demandons qu'une, qui sera notre baïonnette, l'ironie ». Quelques opposants comme Jules Vallès, Henri Rochefort ou André Gil tentent effectivement de mobiliser le rire pour résister. Ainsi La Lune publie sur deux pages le 17 novembre 1867 un grand portrait de Rocambole, le héros-bandit des romans-feuilletons de Ponson du Terrail… avec les traits de Napoléon III. Suspendu en décembre 1867, la Lune reparaît sous le titre de… L’Eclipse. Mais malgré ces quelques traces de comique engagé présentes notamment dans les dernières années plus libérales de l’Empire, l’ensemble des pratiques témoigne plutôt d’un rire peu corrosif, essentiellement social et qui fonctionne comme une catharsis à l’aporie historique vers laquelle courent la France et son Empire.

Un marché du rire en pleine expansion

Après la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, le rire peut se développer sans contrainte et sans censure, notamment dans le domaine de l’image politique. En quelques années, toute une nouvelle génération de caricaturistes de grand talent émerge avec Forain, Willette, Léandre, Steinlen, Hermann-Paul, Ibels, Albert Guillaume. Cette caricature va jouer un rôle clé lors de l’affaire Dreyfus et dans le combat anticlérical au moment de la séparation de l’Église et de l’État. Ainsi, L’Assiette au beurre sort son premier numéro le 1er avril 1901 et apporte une vision corrosive de l’actualité. Antimilitariste, elle dénonce les armées au moyen d’images choc, stigmatise les abus de pouvoir dans la police, le pouvoir conservateur de la justice. Elle mène aussi par la caricature un combat violent contre l’église, sans nuances et sans tact.

Parallèlement, le rire journalistique s’organise pour tenter de lutter contre la déperdition d’énergie et d’esprit que constituent le mot pour rire ou la mystification, pour les rentabiliser au maximum. Se développe donc un véritable marché du rire qui va aboutir à la professionnalisation du milieu des humoristes. L’exemple le plus éclatant est le journal Le Rire, hebdomadaire illustré publié à partir du 10 novembre 1894. Dans le premier numéro, Le Rire part à la recherche de talents avec cette promesse : « Ceux qui enverront des choses vraiment gaies et neuves seront couverts d’or ».

Le Chat noir
Le Chat noir |

Bibliothèque nationale de France

De plus en plus dans les années 1880-1890, des petits journaux littéraires s’associent avec des scènes de cabaret sous l’impulsion de groupement d’artistes : Les Hydropathes, les Hirsutes, le Chat Noir, La Plume, Lutèce. Les mots sont moins improvisés ou ils avouent le caractère orchestré qu’ils ont toujours eu. La poésie humoristique, le monologue comique se développent dans les cabarets avant d’être repris dans la petite presse. L’intermédialité caractérise ces professionnels du rire qui savent s’exprimer sur scène, dans les journaux puis dans des livres où ils recueillent leurs bons mots. Parallèlement les journaux quotidiens s’ouvrent à l’histoire drôle qui trône au milieu des colonnes d’information en première page et s’attachent des humoristes (Jules Renard, Alphonse Allais) pour des rubriques drôles. Il s’agit donc d’un rire de moins en moins exclusif : compris de tous, il s’adresse à tous.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Pastiches de presse, présentée à la BnF du 4 avril 2023 au 29 octobre 2023.

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