Un sens au-delà des mots

Ce superbe exemple d’écriture cursive pourrait dater du milieu du 8^e siècle. Les graphies sont très encrées, nerveuses, fluides et d’une grande densité ; certains feuillets de ce papier très fin et de bonne qualité, de couleur bise, sont légèrement teintés en rose. Si les sûtras de Dunhuang sont majoritairement calligraphiés dans un style régulier, d’autres mêlent les écritures régulière, courante et cursive. La cursive, l’un des styles favoris des Tang, est généralement conçue comme un mode d’expression personnelle, plutôt non conformiste, ou tout au moins non institutionnelle. Style d’abord à usage sténographique, il fut réservé aux commentaires plutôt qu’aux sûtras eux-mêmes, et, par souci de rapidité, aux textes pris en note.


 

« Le bodhisattva Avalokitesvara, pratiquant la profonde prajnaparamita, vit clairement que les cinq agrégats sont entièrement vides et passa au-delà de toutes souffrances. Sariputra ! La matière n’est pas différente du vide, le vide n’est pas différent de la matière, la matière est donc le vide, et le vide est la matière. »

C’est ainsi que débute le Soutra du cœur, le plus court des Soutras bouddhiques, composé de 260 caractères. Le texte en fut traduit par Xuanzang, un des moines les plus célèbres, le 8 juillet 649. D’un accès relativement facile, il a souvent fait l’objet de copies aux mises en pages singulières. Plusieurs rouleaux du 10^e siècle en montrent des exemples étonnants sous forme de calligrammes. Vu dans son ensemble, le calligramme représente une pagode dite stoupa à cinq étages. Le stoupa est une construction destinée à abriter les reliques du Bouddha, qu’il s’agisse de son corps ou de ses paroles contenues dans les soutras. Dans le Soutra du lotus, il est dit que les textes sont des reliques du corps du Bouddha et que leur présence devrait être précisément marquée par un stoupa dont la construction ou le dessin sont également des actes méritoires.
Ce texte représente l’essentiel de l’enseignement du Grand Véhicule. Il recueille l’enseignement sur la vacuité du bodhisattva Avalokitesvara – devenu Guanyin en Chine et nommé dès le début du texte Guanzizai pusa –, qu’il transmet à l’arhat Sariputra.

Le soutra est ici une structure placée sur une haute plateforme, sur laquelle se trouve la statue ou la relique sacrée. Cette base est surmontée de cinq toitures qui correspondent à cinq étages. Les 260 caractères du texte doivent être psalmodiés en suivant le pointillé rouge. Le premier caractère est Guan, en bas à droite de l’effigie de Guanyin doublement nimbée, assise sur un trône de lotus. La divinité teintée en bleu est nichée dans l’axe central du monument. Le texte en son exacte moitié culmine au sommet du stoupa à l’endroit où est placé le 130^e caractère, la particule négative wu, omniprésente dans ce soutra et étonnamment tracée en style sigillaire. Le dernier caractère inscrit en plus petit corps revient au point de départ. Le titre lui-même est disposé sur 3 colonnes également reliées par un tracé rouge en pointillé qui forme un dais comme il en existe au-dessus des effigies bouddhiques.

Les trous percés aux quatre coins de la feuille sont vraisemblablement des traces de fixation au mur ; une frise décorative encadre les parties supérieure et inférieure.
Ce calligramme oblige à une lecture dynamique par son guidage en pointillé rouge, tantôt en diagonale, tantôt en ligne droite qui signale le chemin assez escarpé, sans doute au sens propre et au sens figuré, que l’adepte doit suivre dans son initiation. La forme s’accorde ici au contenu, ce parcours invitant le fidèle à sortir du cheminement mental ordinaire.
 

Le dessin figurant sur ce manuscrit est un talisman destiné à être reproduit, selon l’explication qui en est donnée, sur du bois de sophora. Bien qu’il existât à l’époque des Sui (581-618) des exemples de gravures de sceaux magiques sur bois, ce modèle de talisman n’était peut-être destiné qu’à la copie sur planchette. Différentes techniques de copies, notamment à main levée, permettaient de reproduire des charmes et ne devaient être effectuées qu’avec le plus grand soin par des personnes habilitées et selon un processus ritualisé.

Le Rouleau complet des esprits protecteurs du foyer, titre inscrit à la première colonne du document, réunit une série de talismans protecteurs de l’habitat destinés à contrecarrer tous les malheurs de la vie quotidienne. Sorte d’assurance multirisque complète, cette planche fournit le mode d’emploi des divers talismans sacrés, à enterrer, à coller aux pieds des lits ou sur les portes, voire à avaler. Elle mêle d’un même trait de pinceau l’écriture ordinaire, l’écriture talismanique et des dessins figuratifs servant le même propos apotropaïque, répartis sur neuf colonnes. À partir de la droite, on dispose d’un talisman à tête humaine contre les cent démons et les dix mille malheurs, à placer aux quatre coins de la maison. À la colonne suivante, le talisman divin de Guan Gongming pour chasser les démons, etc., à coller sur la porte. La planche reproduit encore un talisman pour l’amour conjugal et un autre pour la tranquillité d’esprit ; un talisman d’exorciste figurant des têtes et des personnages où le caractère « démon » est inscrit trois fois ; une série de talismans à usages domestiques multiples, attribués à Dong Zhong, qu’il convient de transcrire sur des planchettes et d’enterrer aux quatre coins de l’habitat pour un profit maximal ; trois talismans, dont le dernier pour un accouchement facile, à coller au pied du lit ; en bas, un talisman à avaler pour un couple sans enfant ; un talisman présentant une série de dessins figuratifs, dont un dragon, à disposer chez soi ; un autre près du foyer ; un talisman de l’arbre sacré avec invocation aux quatre esprits de la maison ; enfin, à la dernière colonne, l’esprit de l’arbre figuré par un personnage mains jointes suivi d’un texte mentionnant Confucius et Lü Cai, enfin un talisman destiné au voyageur.