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Mouvements de la mer et création littéraire

Genèse, 50 photographies sur des thèmes d’Amers choisis par Saint-John Perse
Genèse, 50 photographies sur des thèmes d’Amers choisis par Saint-John Perse

© Bibliothèque nationale de France

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Les mouvements de la mer ont inspiré maints poètes et romanciers. Description de la houle, tempêtes intérieures et exaltation de l'immensité parcourent les pages d'Homère, de du Bellay, de Baudelaire ou de Tristan Corbière, tandis que d'autres adoptent les rythmes de l'Océan dans leur prose et leurs vers.

Les écrivains ont longtemps adopté une approche descriptive de la houle, des marées, des écueils et des vagues. Ancrés dans une tradition antique ayant pour modèle Homère ou Virgile, ils étaient avant tout spectateurs des mouvements de la mer, à l’image de Joachim Du Bellay (Les Regrets) :

Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté,
Tu regardes la mer, et vois en sûreté
De mille tourbillons son onde renversée.
À l’époque romantique ce thème est repris et devient métaphore ou rythme poétique et musical et certains auteurs n’hésitent plus à s’embarquer pour vivre pleinement la mer.

De la mer idéalisée…

À la fin du 18e siècle, certains auteurs, comme Chateaubriand, évoquèrent les tempêtes de la vie à travers celles de l’océan, se démarquant ainsi du modèle antique. La mer devint alors le miroir de l’âme du poète, rythmée comme une respiration profonde. Pour Lord Byron (Childe Harold),

Il existe un monde où nul ne pénètre,
Non loin des abysses et de ses mélodies,
Au cœur du tumulte.

Charles Baudelaire a volontiers assimilé dans ses vers, par exemple dans "L’homme et la mer" (Les Fleurs du mal), les mouvements de la mer à ceux de l’âme :

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Naufrage de Virginie
Naufrage de Virginie |

Bibliothèque nationale de France

Abandonnant toute intention anecdotique et descriptive, Arthur Rimbaud, dans Le Bateau ivre, rassembla impressions et émotions :

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Tandis que, chez Émile Verhaeren (« Au bord du quai », dans Les Villes tentaculaires), c’est le corps qui se fait pélagien :

La mer ! La mer !
[…]
Ma peau, mes mains et mes cheveux
Sentent la mer
Et sa couleur est dans mes yeux ;
Et c’est le flux et le jusant
Qui sont le rythme de mon sang.

Pour d’autres écrivains, il ne suffit pas de faire de la mer le théâtre de son vague à l’âme, explorée dans l’ambiance feutrée de son cabinet d’écriture. C’est le cas de Tristan Corbière, qui dans « Le naufrageur » (Les Amours jaunes) invite à s’amariner, à prendre la mer et à s’imprégner de l’onde amère :

– Et qu’il vente la peau du diable !
Je sens ça déjà sous ma peau.
La mer moutonne !… Ho, mon troupeau
[…]
Sautez sous le Hû !… le Hû des rafales,
Sur les noirs taureaux sourds, blanches cavales !

Dans un autre poème du même recueil, « La fin », qu’il écrit « à bord », il oppose une réponse violente à « Oceano nox » (Les Rayons et les Ombres) de Victor Hugo, « terrien parvenu » :

Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle.
Henry Jacques (Chansons de la mer), pour sa part, fustige les poètes casaniers et rejette la virtuosité de l’art :
Poètes de tous poils dont les pieds ont des bottes
Dont l’aile est repliée au mitan des capotes,
[…]
Nous chanterons d’instinct, toute âme, toute chair,
N’importe la musique et n’importe le vers :
La Mer !

Mais la rudesse de ce vécu exprimée par un refus crispé et ironique du lyrisme peut-elle caractériser tous les états de la mer ?

Quand les mouvements de la mer deviennent rythme et musique

Vers 1880, au point d’interférence du symbolisme et de l’impressionnisme, un même renouveau de sensibilité inspira poètes, artistes et musiciens. À une époque où Jules Verne déclarait « Je n’aime que la liberté, la musique et la mer », Claude Debussy renonça à ses aimables mélodies pour composer ses « magies liquides », selon le mot de Charles Baudelaire.

Parmi ces auteurs, certains se sont attachés à restituer rythme et musique marins. Saint-Pol Roux, venu s’installer au manoir des Boultous, à Camaret, face à l’Océan, évoqua la fureur de la mer, « masse mouvante avec, pour âme, cette lame sourde jaillissant en lave d’un puits abyssal » (« Aux pêcheurs de Camaret »). Au milieu des orgues océanes, le poète développa une sensibilité musicale retranscrite dans les Litanies de la Mer : il déploya « les ailes immenses de la liberté [du verbe] conquise par-dessus les rythmes inlassables de la Mer, sa sœur librement éternelle ». Il créa ainsi un nouveau langage, une matière sonore, mobile, fluide dont le jaillissement est plein de force.

Quant à Paul Valéry, il préféra le visage d’une mer « toujours recommencée » souriante et féconde à celui de la mer déchaînée et dévastatrice. Dans Le Cimetière marin, il imposa une nouvelle amplitude mélodique et rythmique : « peu à peu des mots flottants s’y fixèrent » et la longueur d’onde s’adapta. Se dégagea alors une sensualité marine avec une palette sonore.

Genèse, 50 photographies sur des thèmes d’Amers choisis par Saint-John Perse
Genèse, 50 photographies sur des thèmes d’Amers choisis par Saint-John Perse |

© Bibliothèque nationale de France

À l’image de Saint-John Perse se vantant de pouvoir transcrire « un chant de mer comme il n’en fut jamais chanté, et c’est la mer en nous qui le chantera : la mer, en nous portée » (Amers), de nombreux auteurs ont voulu apporter leur touche personnelle à l’évocation des mouvements de la mer.

Comme Paul Claudel, qui s’est plu à souligner sans cesse la parenté entre sa parole et le mouvement de la mer, tous ces auteurs visent à la poésie sonore en s’appuyant sur le rythme lancinant et envoûtant des mouvements de l’océan « qui chante et chante et chante ainsi qu’un grand poète », selon la formule de Guillaume Apollinaire (« Océan de terre », dans Calligrammes).

Des auteurs contemporains, comme Alain Robbe-Grillet, se revendiquent toujours du « chant de [leurs] anciens compagnons d’armes », Gérard de Nerval, Lautréamont, Tristan Corbière et Paul Valéry. Ainsi dans Les Derniers Jours de Corinthe, Robbe-Grillet salue ce « vieil océan aux vagues de cristal » et dévoile l’influence des mouvements de la mer sur son travail d’écriture :

Même si je ne suis pas à ma table, leurs figures mouvantes ne cessent de me hanter […]. C’est en moi comme les mouvements ressassés, prévisibles, sans cesse imprévus, de l’eau profonde qui enlace, gifle, submerge, met à nu […] puis caresse doucement les roches de granit rose, ruisselantes, polies par les remous frangés d’écume.

C’est ainsi que dans le paysage mouvant de la création littéraire rugit toujours le râle obsédant de la mer.

Provenance

Cet article provient du site La Mer, terreur et fascination (2005), réalisé en partenariat avec la ville de Brest dans le cadre du pôle associé Océanographie.

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