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Manger en chrétien

Le repas monastique
Le repas monastique

Bibliothèque nationale de France

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Au Moyen Âge, l’Église chrétienne encadre la quasi-totalité de la population du royaume de France, à l’exception des communautés juives et « hérétiques ». Si aucun aliment n’est interdit au fidèle, tout chrétien doit conformer son alimentation à certaines prescriptions, notamment des périodes de jeûne régulières, afin de faire pénitence et d’assurer son Salut.

Au Moyen Âge, l’Église chrétienne encadre la quasi-totalité de la population du royaume de France, à l’exception de petits noyaux hérétiques – mais qui se veulent chrétiens – et de communautés juives au fort particularisme alimentaire. En théorie, aucun aliment n’est interdit dans l’absolu au fidèle : les tabous concernant le porc ou d’autres espèces animales que définissait l’Ancien Testament ont été abolis depuis longtemps et la papauté a fini par abandonner aussi la prohibition du sang et des viandes dans lesquelles le sang est resté. En revanche, tout chrétien doit conformer son alimentation à certaines restrictions, qui ont pour but sa pénitence, c’est-à-dire finalement son Salut.

Jeûner pour assurer son Salut

Le jeûne est fort ancien dans le christianisme : Jésus lui-même, selon les Évangiles, ne l’a-t-il pas pratiqué pendant 40 jours et 40 nuits au désert ? Il s’agit d’un acte de pénitence, que l’Église peut d’ailleurs imposer aux fidèles qui ont commis de graves péchés. Il est obligatoire lors des périodes de préparation aux grandes solennités religieuses, où l’on doit vivre à la fois sobrement et chastement, ces deux formes d’abstinence étant étroitement associées dans l’esprit des théologiens. Mais jeûner totalement pendant plusieurs semaines n’est pas possible. C’est pourquoi l’on autorise un repas qui doit être unique et se prendre au coucher du soleil. Durant le Moyen Âge, l’heure de ce repas théoriquement unique se déplace progressivement vers le milieu de la journée. Dans les monastères, on prend l’habitude d’interrompre des après-midi restés bien longs par une légère collation, appelée ainsi d’après le texte pieux qu’on y lit à cette occasion (les Collationes de Jean Cassien).

Le jeûne de saint Nicolas
Le jeûne de saint Nicolas |

Bibliothèque nationale de France

Le poisson, nourriture d’abstinence

La poissonnière
La poissonnière |

© Bibliothèque nationale de France

Le jeûne consiste surtout à se priver de certains aliments, essentiellement la viande et les graisses animales, ainsi que, selon les époques ou les lieux, les laitages ou les œufs : les jours où ces restrictions s’appliquent peuvent être donc qualifiés de « maigres ». Le poisson, dont la nature froide interdit de déclencher l’ « incendie de la luxure », paraît tout indiqué comme nourriture d’abstinence. Il est possible qu’ait joué aussi sa fonction symbolique dans le christianisme primitif : en ces temps de persécution, le motif du poisson était le moyen caché de montrer le Christ, parce que le mot Ichthus ( « poisson » ) rassemble l’initiale des termes grecs composant la formule : « Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur » (Iesous Christos Théou Uios Sôter).

De longues périodes de privations

Depuis les premiers siècles du christianisme, l’Église a progressivement défini les circonstances où les chrétiens doivent s’abstenir de certaines nourritures. Destiné à préparer les fidèles à la fête majeure célébrant la Résurrection, le carême (du latin quadragesima, c’est-à-dire période de 40 jours) commence en Occident au milieu de la septième semaine avant Pâques, le mercredi dit des Cendres. S’y ajoute le vendredi – et souvent le samedi – de chaque semaine ; les dévots jeûnent aussi le mercredi. L’abstinence s’applique lors des veilles de fêtes, qui peuvent être plus ou moins nombreuses selon les diocèses. Enfin, au début de chaque saison de l’année (les « Quatre-Temps » ), quelques jours sont jeûnés. Au total, c’est entre 100 et 200 jours par an (selon les années, les lieux et la piété de chacun) que l’on ne peut manger ce que l’on désire, soit entre le quart et la moitié de l’année.

Le combat de Carême et de Charnage

L’alternance entre jours gras et jours maigres est au cœur de l’expérience alimentaire médiévale. Les livres de cuisine proposent souvent des versions de leurs plats de viande pour les « jours de poisson » ou le carême ; certains adaptent même des pâtés au fromage conçus pour les jours maigres, en ne leur donnant qu’une « saveur » de fromage qui les rend savoureux mais permet de les consommer en carême. Toutefois, les rigueurs du carême sont bien moins grandes pour les riches qui se font alors servir des poissons frais, fort coûteux, et les pauvres, qui doivent se contenter de harengs fortement salés, de purée de pois et de soupe claire. Les farces carnavalesques du combat entre Carême et Charnage (c’est-à-dire « Jour de chair » ) traduisent bien cette tension en faisant s’affronter les bataillons d’ingrédients gras et d’aliments maigres. Dans la Bataille la plus ancienne, qui date du 13e siècle, les « gras », victorieux, exilent Carême pendant toute l’année, sauf durant les six semaines et trois jours formant la « quarantaine ».

La vendeuse de harengs
La vendeuse de harengs |

 Bibliothèque nationale de France

Tourner le carême

Castor
Castor |

Bibliothèque nationale de France

Échapper au carême n’est permis qu’aux jeunes enfants. Les malades peuvent aussi recevoir le « conseil (...) de dîner par nécessité urgente », précisent des statuts synodaux du 13e siècle : le danger d’une mort rapide par affaiblissent l’emporte ici sur les rigueurs de la loi, et le même raisonnement s’applique bien évidemment en cas de famine. De manière plus subtile, certains animaux, parce qu’ils semblent tenir à la fois de la viande et du poisson, sont admissibles en carême. C’est le cas du castor, amphibie, dont la queue, qui reste dans l’eau, est assimilable à du poisson : rien d’étonnant à ce qu’il ait pu jouer un rôle dans la nourriture des moines qui sont, eux, soumis à une abstinence perpétuelle. Quant à la bernache, petite oie sauvage d’Arctique qui hiverne sur les côtes de la mer du Nord, on la croit née par génération spontanée, à partir d’un arbre d’où elle tombe à l’eau, ou bien encore à partir des coquillages formés sur le bois en putréfaction qui flotte dans la me : ce volatile réussit donc l’exploit d’apparaître au choix comme un fruit ou comme un fruit de mer !

Provenance

Cet article provient du site Gastronomie médiéval (2002). ­

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