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Parcours pédagogique

Le Portrait de profil

« J'ai fait fleur ton portrait en nouant un seul fil— De sorte que ta face est aussi ton profil » (Jean Cocteau)
Par Murielle Luck, professeure agrégée d'arts plastiques
12 min de lecture
Portrait d'Alphonse V
La Renaissance a donné le jour à un langage visuel raffiné où le portrait de profil, issu de l'art monétaire de l'Antiquité, s'est imposé comme une forme d'expression emblématique. En quête de mémoire et de conservation du souvenir des êtres, les artistes de l’époque ont recherché l’expression la plus juste des personnalités ainsi portraiturées.

Loin de simplement représenter une physionomie, le portrait de profil à la Renaissance devient une méditation subtile sur la personnalité et la dignité humaines. L'usage du profil n'est pas le fruit du hasard, mais plutôt une décision délibérée pour explorer la dimension cachée de l'âme. Les grands maîtres exploitent les jeux d'ombre et de lumière, sculptant la forme du visage pour révéler non seulement les traits physiques, mais aussi les caractéristiques intérieures. Le profil devient alors un théâtre qui esquisse un portrait psychologique, suggérant des émotions et des pensées profondément enfouies. Les artistes de la Renaissance transcendent la simple représentation physique, créant des œuvres qui immortalisent l'essence même de l'individu.

Ce parcours propose de revenir sur l'invention du portrait de profil selon le mythe antique de Butades, puis d'explorer cette esthétique propre à la Renaissance, avant d'offrir deux pistes d'exploitation pédagogique exploitables au cycle 3 et au cycle4.
 
Les ressources pour réaliser l'activité

La Renaissance puise son goût du portrait dans l'Antiquité. Pline l'Ancien (23-79 ap. J.-C.) raconte dans son Histoire naturelle un mythe sur les origines du portrait modelé : la fille du potier de Corinthe Butades, est confrontée à la douleur de la séparation quand son bien-aimé s'apprête à partir au loin, peut-être pour toujours. Dans un geste impulsif, elle utilise une lampe à huile pour projeter l'ombre du profil de son amoureux sur un mur et dessiner la silhouette ainsi obtenue. De ce premier portrait, Butades crée ensuite une sculpture en argile. Ainsi, la première sculpture à l’effigie d’un homme serait née d’un premier portrait de profil.

Le mythe de Butades, parfois nommé à tort Dibutade, a connu une fortune certaine à partir de la Renaissance, non sans réinterprétation. Souvent, le nom du potier est attaché à sa fille, à qui est attribuée l'invention du dessin, au contraire du texte de Pline. De nombreuses représentations en sont faites, en peinture, en dessin ou en gravure et le potier et sa fille apparaissent dans des poèmes, comme La Peinture de Charles Perrault. Plusieurs œuvres reprennent aussi le geste de dessiner l'ombre d'un profil sans le contexte initial, comme dans le Robin des Bois  de Douglas Fairbanks. Le mythe de Butades devient ainsi une célébration de la création artistique.

Les ressources pour réaliser l'activité

Dans une quête esthétique et humaniste de la représentation humaine, le portrait de profil offre un inventaire plastique unique aux artistes de la Renaissance. Cette silhouette du visage devient un terrain d'expérimentations où le peintre esquisse l'essence même du sujet. Chaque courbe, chaque jeu d'ombre, constitue un poème visuel, capturant l'instant éphémère où l'âme se dévoile. À travers la captation d'un seul angle, l'image vraie, sans artifice et sans influence du commanditaire, s'impose : connaître son propre profil sans l'aide des artistes n'est pas simple. On est alors surpris par la courbure du nez, la profondeur du front, la saillance du menton, révélant une réalité souvent méconnue.

Plusieurs portraits de profil d’Alphonse V d’Aragon (1416-1458) nous sont parvenus et il est particulièrement intéressant d’en comparer l’intérêt plastique et psychologique au regard des techniques utilisées.

Une plaquette montre Alphonse V d’Aragon de profil sur un bronze patiné de couleur sombre, qui laisse jouer la lumière et creuse les formes en bas-relief. D’inspiration romaine, cette technique trouve ses origines dans les monnaies et autres médailles de l’Antiquité, destinées à diffuser l’image des puissants et ainsi conforter leur pouvoir. Les détails finement ciselés de la coiffure d’Alphonse V d’Aragon sont repris dans les plis de son habit. Au-delà de ces quelques artifices, son profil figé, marqué d’une ride en creux, ajoute de l’intensité à sa psychologie.

Cette plaquette, et les monnaies qui représentent de la même manière le souverain, prennent modèle sur un dessin réalisé à la pierre noire et repris à la plume et à l'encre brune par Antonio Pisanello (1395-1455) vers 1430-1440. La technique le rend plus doux et intime : on retrouve là un des fondements de l’esthétique de la Renaissance par ce nouvel élan naturaliste. Contrairement à la plaquette, le dessin semble représenter un personnage plus jeune, moins marqué par le temps mais gardant une belle assurance.

Ce même roi a également été représenté vers 1455 par un artiste anonyme, peut-être Piero Della Francesca (1412/1420-1492), dans un portrait où la couleur est cette fois-ci intégrée. Le modelé de son visage est créé par les nuances subtiles de tonalités chaudes. Cette représentation de l'homme en majesté, paré de sa couronne, tenant son sceptre et habillé de son armure, ne comporte pas la même volonté naturaliste précédemment observée. C’est un portrait d’apparat, une image communicante du pouvoir royal. Alphonse V d’Aragon n’est plus homme, mais seigneur conquérant et protecteur. Bien que certains traits caractéristiques soient bien marqués, comme le nez busqué, son visage se veut plus lisse, intemporel bien qu’à la fin de sa vie : il mourra trois ans plus tard. A l'inverse, un portrait réalisé dans les mêmes années au bas d'un manuscrit le montre avec des cheveux gris, ses traits affaissés témoignant du passage des ans.

Les ressources pour réaliser l'activité

À la Renaissance, le choix du profil n'est pas fortuit : c'est une déclaration artistique consciente. Non content de faire référence à l'art monétaire et de la médaille antique, il révèle le génie plastique des artistes, qui explorent la dynamique des lignes et la délicate harmonie des formes : une « simple » représentation pour une recherche symbolique complexe.

Dans ce jeu subtil entre réalité et illusion, le portrait de profil à la Renaissance se fait exploration plastique de la psyché humaine. L'art du portrait de profil devient un classique pour véhiculer les valeurs nouvellement définies et les règles revisitées par les précurseurs d’un genre nouveau. Ces portraits sont également des mises en valeur par des décors, des motifs et des cadres qui s’emploient à magnifier personnages ainsi représentés.

Le portrait de Léon X, comme celui de son père Laurent de Médicis, se place dans une veine naturaliste. Le pape est représenté de profil dans une peinture où les traits sont mis en valeur par l’entremise d’une étoffe habilement suspendue, faisant séparation avec un paysage dont on ne distingue qu’un ciel et un sol uniformes, séparés par quelques rochers énigmatiques. Cette passementerie, aux brocarts d’or géométriques, est un premier cadre donné au portrait, décoré de feuillage, le tout faisant directement écho à l’enluminure richement détaillée venant enserrer cette petite composition. Toutes les couleurs utilisées par l’artiste sont une symphonie visuelle à la gloire du personnage. Dans le portrait de Laurent de Médicis, un dispositif très similaire est utilisé ; mais le tissu se transforme en dais et le paysage est davantage masqué par une cloison.

À la Renaissance, de nobles familles marquent particulièrement leur époque par leur influence sur les arts et les lettres. La bibliothèque des Visconti-Sforza devient ainsi un territoire préservé pour les plus beaux témoignages du génie artistique de cette époque. Le Livre d’Heures Visconti, manuscrit enluminé en Lombardie entre 1390 et 1434, contient un profil singulier dans son travail d’enluminure : celui du commanditaire, Jean-Galéas Visconti. Ce profil, mis en lumière par des motifs dorés inspirés des étoffes de l’époque, est cloisonné au cœur d’un oculus semblable à l’astre solaire lui-même, par ses rayons tantôt perçants, tantôt ondulants. Le rouge de l'habit, modestement figuré, est repris dans un premier cercle aux motifs de feuillages, de nuages ou de mouvements de vagues, en de subtils dégradés de couleur. Ce même motif est repris en une sorte d’équivalence négative, dans des nuances de bleu cette-fois, faisant rappel avec l’arrière-plan du portrait.

Lorsque Paolo Uccello croque le portrait de Manuel Chrysoloras de profil, c'est un savant qu'il cherche à mettre en scène. Le corps ou le bonnet sont à peine esquissés, leurs proportions peu naturelles. Le visage, les mains, le livre occupent tout le travail de l'artiste, qui rend d'un trait ferme le profil aqulin, avant de l'adoucir par un délicat travail d'ombrage. La profondeur du vieil érudit transparaît dans ses yeux cernés et sa longue barbe, soigneusement dessinée et enrichie de lavis. Au contraire, les portraits féminins attribués à ce peintre ou à ses suiveurs observent un parti-pris très différent : fond neutre, sur lequel se détache le profil de la jeune femme aux vêtements richement colorés et aux bijoux finement détaillés. La pureté de la ligne, la géométrisation des volumes, la blancheur délicate du teint contrastent avec le soin apporté au rendu de la vêture et de la coiffure, dans une volonté de dépeindre, à travers le modèle, une image de la beauté idéale. Ce traitement se retrouve chez nombre de ses contemporains, comme Ghirlandaio.

Mais il est impossible de parler de la Renaissance sans évoquer son protecteur français en la personne de François Ier (1494-1547), souverain emblématique et mécène. Bien que la mode en soit un peu passée à son époque, ses portraits de profil sont légion, en médaille, mais aussi en peinture (portrait par Titien) et dans des objets d'art. Celui réalisé par le graveur lapidaire Mattéo del Nassaro (1485-1548) vers 1540 dans de l’onyx, renoue avec l’héritage antique des camées, mais aussi de la médaille. Le roi, majestueux, y est représenté en buste, laissant entrevoir une cuirasse inspirée de celle des empereurs romains. C’est un travail minutieux et richement documenté que cette représentation du poitrail du Roi, de trois quarts alors que la tête est de profil ; les atours impériaux reprennent ceux des statues et autres camées antiques comme cette fibule attachant la cape (paludamentum) sur l’épaule ; les rinceaux décoratifs sont inspirés du maniérisme italien. La couronne du monarque n’est pas sur sa tête mais délicatement représentée devant lui, comme un promontoire dont les fleurs de lys viendraient se mélanger aux subtiles entrelacs de son plastron orné d’une tête de Méduse. Pour confirmer les liens avec l’ère romaine et les monnaies, une devise gravée au pourtour, Franciscus Primus Dei gracia Francorum rex (François Ier, par la grâce de Dieu, roi des Francs), complète ce portrait au caractère officiel.

À la Renaissance, les portraits de profil constituent donc un répertoire esthétique varié, où chaque accessoire, chaque vêtement, devient un langage visuel subtil, participant à la construction d'une image réaliste ou intemporelle.

Les ressources pour réaliser l'activité

Questionnements, thèmes et dispositifs

Des questionnements pour problématiser

  • En quoi le portrait peut-il exprimer la personnalité de son modèle ?
  • Comment représenter un portrait expressif, entre forme et figure ?

Des thématiques pour impulser

  • Tirez-vous le portrait !
  • Portrait de profil : voyez votre personnalité en face !
  • Portrait psychologique
  • Un portrait, une émotion

Un dispositif d’apprentissage

À la lumière du vidéo projecteur, d’une lampe directionnelle, du flash d’un téléphone portable… les profils des élèves peuvent être rapidement et efficacement détourés, figurés, représentés en proximité avec le modèle.

Qu'est-ce qu'il y a dans ma tête ?

Principe : réaliser une figure détourée où l’aspect psychologique du sujet est signifié à l’intérieur de la silhouette ou dans l’arrière-plan.

Référence proposée : Louis-Antoine Ponchard (1787-1866), Portrait d'ombre en buste, 1812-1837
« Je m’aperçois soudain que je ne puis me rappeler en réalité aucun détail particulier de votre visage. Seulement votre silhouette, vos vêtements, au moment où vous êtes partie entre les tables du café : cela, oui, je me souviens… » — Franz Kafka, Lettre à Milena Jesenska.

Ce travail en silhouette de Louis-Antoine Ponchard peut servir d’impulsion à la réalisation de portraits de profil. Directement découpé dans un support papier noir, l’art du silhouettiste reste une technique délicate qui trouvera un substitut en utilisant l’ombre projetée. Des contrastes peuvent ensuite être réalisés entre forme et fond, et donner lieu à un travail autour des représentations du caractère de la personne et de son portrait psychologique tel un portrait chinois composé d’images. Des contributions disciplinaires peuvent être envisagées dans la poésie et l’écriture sur soi.

Un profil expressif

Principe : réaliser un profil expressif, traduisant un geste empreint d’une émotion au choix. L’effet du geste et de l’instrument est recherché tout en gardant une intention visant la ressemblance, à la limite parfois de la caricature.

Référence proposée : Victor Hugo, (1802-1885) Profil d'homme tendu en avant, la bouche ouverte (vers 1864-69), dessin à la plume.
« Les grands artistes ont du hasard dans leur talent et du talent dans leur hasard. » Victor Hugo, Océan prose.

Par un geste vif, des outils et techniques variés, un profil peut être tracé, d’abord fidèle à son ombre projetée, puis peu à peu plus expressif dans un écart de ressemblance propice à la transcription d’une émotion. Une série se constituera peu à peu, par images successives dont le processus de production relève du multiple tout en étant une représentation unique et singulière. Calque et transparence peuvent servir ce dispositif, comme par ailleurs un dessin au travers de la vitre d’une fenêtre.

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