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Les langues turques et leurs diverses écritures

Recueil de poésies turques
Recueil de poésies turques

© Bibliothèque nationale de France

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La multiplicité des graphies utilisées pour noter les langues turques témoigne de leur histoire et de leurs migrations depuis l'Asie Centrale.

Ce n'est qu'après de longues péripéties et de longs tâtonnements que la plupart des langues du monde se trouvent aujourd'hui liées à un système d'écriture. Langues et écritures entretiennent des relations complexes ; un même système peut noter plusieurs langues (ainsi le persan ou le malais s'écrivent avec l'alphabet arabe), tandis qu'une même langue peut être transcrite grâce à plusieurs systèmes d'écriture, comme lorsqu'un texte en langue chinoise est écrit avec des caractères latins. L'histoire des peuples montre qu'ils ont fréquemment utilisé plusieurs systèmes d'écriture pour transcrire leur langue. La plupart ont dû choisir parmi des systèmes déjà existants, en procédant par étapes.

Caractères runiformes et chinois

Ce passage d'une écriture à une autre s'inscrit dans l'histoire des peuples turcophones au fur et à mesure de leur longue migration d'est en ouest depuis l'Asie centrale. Issus de la région de l'Altaï, et du nord de l'actuelle Mongolie, les Turcs ont établi dès le 6e siècle, dans la vallée du fleuve Orkhon, l'empire des « T'ou Kiue » (552-744), laissant gravées dans la pierre des inscriptions en caractères runiformes en l'honneur de leurs princes, Kül Tegin et Bilge Khan, qui ont été déchiffrées pour la première fois par V. Thomsen en 1894. On connaît avant cela des textes prototurcs, datant du 4e siècle, notés avec des caractères chinois.

Caractères dérivés de l'araméen

Plus tard, les Turcs ouïgours (dont il subsiste de nos jours une branche dans le Sin-Kiang), établis autour de leur capitale Karabalghasun sur le haut fleuve Orkhon (744-840) et convertis au manichéisme depuis 762, adoptèrent par cet intermédiaire l'écriture sogdienne, elle-même dérivée de l'araméenne, qui est devenue ensuite celle des Mongols et des Mandchous.

En effet, à la suite de divers mouvements religieux et politiques et de l'établissement de courants commerciaux, l'écriture araméenne avait fini par atteindre l'Asie au-delà de l'Iran ; l'écriture sogdienne qui en est dérivée y fut utilisée par des populations de langue indo-européenne aussi bien que de langue altaïque comme le turc. Elle s'écrivait de droite à gauche ou verticalement.

La langue sogdienne elle-même était devenue une langue de relation en Asie centrale, important foyer du bouddhisme et du manichéisme pendant plusieurs siècles. Les Ouïgours ont emprunté cette écriture sous des formes peu modifiées. Des caractères typographiques en bois, dont certains sont conservés au musée Guimet à Paris, ont été utilisés pour imprimer des textes bouddhiques en langue ouïgoure. Chaque caractère reproduit non pas une lettre mais des morceaux de mots, un morphème lexical ou grammatical. Ces pièces de bois ont été trouvées dans l'une des grottes de Dun-huang et seraient les plus anciens caractères typographiques à nous être parvenus.

Caractères brâhmî et tibétains

L'écriture brâhmî qui a accompagné l'expansion du bouddhisme vers l'est a été adoptée aussi par les Turcs ouïgours établis dans la région de Turfan, à partir du 9e siècle.

Certains textes turcs ont même été transcrits avec des caractères tibétains. Au 9e siècle, tandis qu'à l'est les Kirghiz fondent dans le Turkestan chinois le royaume de Qotcho (840-1240), des vagues successives d'autres peuples turcophones se sont engagés vers l'ouest ; pour ceux des Turcs qui se sont islamisés aux 9e-10e siècles au contact des pays musulmans, sur la frontière iranienne d'abord puis plus à l'ouest, leur langue a été désormais transcrite en caractères arabes, grâce à un alphabet aménagé : ajout par exemple des consonnes qui n'existent pas en arabe comme le /p/. S'étendant sur une grande aire géographique, les langues turques ont aussi été transcrites au cours des temps à l'aide d'autres alphabets, comme le grec, les caractères hébraïques, l'arménien, le cyrillique et l'alphabet latin, même avant le début du 20e siècle. Au contact de l'Empire russe, de nombreuses populations turcophones durent adopter les caractères cyrilliques.

Caractères latins

De nos jours, un grand nombre de langues turques d'Asie centrale s'écrivent encore avec ces caractères, comme l'ouzbek, le kirghiz, l'azéri, le kazakh. Depuis la réforme de Mustafa Kemal Atatürk en 1923-1928, le turc de Turquie s'écrit en caractères latins, qui conviennent mieux à une langue qui compte huit voyelles (pour trois notées par l'alphabet en caractères arabes).

Provenance

Cet article provient du site L’aventure des écritures (2002).

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