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Le déchiffrement de l’écriture nahuatl

Codex Testeriano
Codex Testeriano

© Bibliothèque nationale de France

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Alors que la langue nahuatl est bien connue, l’écriture reste de nos jours en grande partie indéchiffrée. Retour sur les éléments qui rendent ce travail des philologues particulièrrement difficile.

Actuellement, il n’est pas possible de lire entièrement les documents pictographiques écrits en écriture traditionnelle nahuatl ou aztèque.

On peut s’étonner de ce fait quand on sait que cette écriture était utilisée au moment de la conquête espagnole du Mexique, dans le premier quart du 16e siècle, et que de très nombreux aspects de cette civilisation du haut plateau central sont connus en détail. La langue nahuatl classique, par exemple, avec les dictionnaires et les grammaires établis par divers religieux et un corpus de textes important, peut être apprise par tous ceux qui le souhaitent. Pour l’écriture, il en va autrement car d’une part ses supports privilégiés - papier, parchemin ou tissu - ont été détruits systématiquement par les conquérants et par les vicissitudes du temps, et d’autre part les religieux, qui ont réalisé un travail remarquable sur la langue, ont délibérément fait le silence sur l’écriture.

Ce silence a longtemps pesé et il a fallu attendre le siècle dernier pour voir apparaître les premières études portant spécifiquement sur ce thème.

Lire une écriture présuppose un certain nombre de conditions : il faut connaître les signes qui la composent et les relations qui les unissent à la langue. Ceci établi, on peut déterminer la syntaxe graphique, c’est-à-dire l’organisation générale des images, et la mettre en perspective avec la syntaxe de la langue. Il convient d’établir un dictionnaire des signes et de dégager une grammaire pictographique. Il y a donc deux étapes principales, la seconde ne pouvant véritablement prendre corps qu’à l’achèvement de la première. Ceci doit être complété par une étude de la civilisation, car l’écriture aztèque ne transcrivait pas seulement la langue nahuatl mais aussi des contenus.

Si on peut encore parler de « déchiffrement », c’est parce que la première étape n’est toujours pas accomplie. À l’heure qu’il est, personne ne connaît exactement le nombre d’éléments graphiques qui composent cette écriture, et la relation à la langue des éléments connus n’est pas toujours fermement établie.

Pourtant, depuis le siècle dernier, d’importants travaux précurseurs ont été accomplis par des spécialistes comme A. Peñafiel, Ch. Dibble, R. Barlow, H. Prem. Mais il a fallu attendre les travaux de J. Galarza pour qu’un travail systématique soit entrepris. Cette systématisation est actuellement poursuivie par un certain nombre de chercheurs des deux côtés de l’Atlantique, qui mettent à profit les outils informatiques pour réaliser une nouvelle sorte de dictionnaire répondant aux nécessités de cette écriture.

Personnage aztèque
Personnage aztèque
Le trait commun à tous ces documents est qu’ils sont écrits à l’aide d’images qui sont elles-mêmes composées d’éléments figuratifs. Les images sont de deux sortes : celles dont la composition est conforme à la réalité - personnages divins ou non et paysages - et celles, nommées glyphes, dont les éléments ne sont pas soumis au réel pour s’associer et qui sont généralement plus petites que les précédentes.

L’image d’un seigneur, teuctli, extrait de la Matrícula de Huexotzinco, figure un personnage masculin. Le signe teuczol, qui associe teuctli « seigneur » et zolin « caille », est ce que la tradition méso-américaine nomme un glyphe. En l’occurrence, il s’agit plus précisément d’un glyphe anthroponymique, c’est-à-dire transcrivant le nom d’un personnage.

Tête d’oiseau
Tête d’oiseau
En allant du haut vers le bas, on constate que l’image du personnage est constituée d’un certain nombre d’éléments : un ornement de tête, une coiffure, un visage, deux vêtements, un siège, deux pieds. Toutes ces parties sont placées là où elles se trouvent dans le monde réel. Le glyphe, lui, est composé de seulement deux éléments. Le premier est déjà connu, c’est l’ornement de tête du personnage. Le second est la tête d’un oiseau, une sorte de caille.

xiuhuitzolli, « diadème »
xiuhuitzolli, « diadème »
Le premier élément se nomme xiuhuitzolli « diadème ». C’est une sorte de coiffe qui était portée par les seigneurs. En nahuatl, « seigneur » se dit teuc(-tli), et c’est cette valeur que récupère l’élément lorsqu’il est utilisé dans un glyphe comme celui de teuczol.

zolin, « caille »
zolin, « caille »
Le second élément est zolin « caille », dont seule la tête aux taches caractéristiques est figurée.

Ce sont les glyphes qui présentent le rapport le plus étroit avec la langue nahuatl. Ce sont les images dont l’étude est la moins difficile et la plus assurée. En effet, dans un certain nombre de documents, des gloses nahuatls en caractères latins sont associées aux glyphes, ce qui permet d’établir la relation entre les éléments et les parties de langue qu’ils transcrivent.

Identifier les éléments qui composent les glyphes et les personnages puis établir leur lecture est donc la première tâche du déchiffrement de l’écriture aztèque.

Cette identification est favorisée par le fait que les images sont de caractère figuratif. Dans la plus grande partie des cas, il est possible de reconnaître ce qui est figuré et donc de formuler une hypothèse de lecture. On identifie bien l’oreille dans le glyphe nacaztli et le poisson dans le glyphe michin.

Cependant, figuratif ne signifie pas nécessairement que le point de vue adopté sera toujours le même. Ainsi, l’abeille xicotli, suivant le peintre-écrivain, peut être représentée de profil ou en plan.

Si le plus souvent les éléments se laissent reconnaître, comme ixtelolotli « œil », ce n’est pas toujours le cas. Une simplification peut les rendre presque abstraits, tout au moins à nos yeux du 21e siècle. Ainsi, le glyphe ilhuicatl pour « ciel » ou encore le glyphe cozamalotl, qui n’est pas spontanément associé à son sens d’ »arc-en-ciel ».

Cuauhtli, « aigle »
Cuauhtli, « aigle »

La reconnaissance des éléments est parfois rendue peu évidente par l’emploi de la partie pour le tout. Un même élément cuauhtli « aigle » peut être traduit par la représentation soit de l’animal entier, soit de sa tête, ou encore par le dessin caractéristique de ses plumes.

On rencontre aussi le procédé inverse du tout pour la partie. Par exemple, un homme entier est figuré alors que seule sa bosse est lue dans le glyphe tepotzotli « bossu ».

tepotzotli, « bossu »
tepotzotli, « bossu »

Parfois, la reconnaissance des éléments est rendue moins évidente quand l’écrivain a recours au procédé de l’intégration, qui consiste à inclure un élément dans un autre en le remplissant partiellement ou totalement.

Dans l’exemple du glyphe petlatl + calli « palais », l’élément petlatl « natte », qui est un attribut du pouvoir, est intégré à l’élément calli « maison ».
À l’heure actuelle, environ 800 éléments constitutifs de cette écriture ont été isolés.

Provenance

Cet article provient du site L’aventure des écritures (2002).

Lien permanent

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