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La censure des livres et son contournement au 18e siècle

Élémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde
Élémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde

© Bibliothèque nationale de France

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La librairie française est soumise au régime de la censure préalable exercée par la direction de la Librairie. Ce service dépend du chancelier qui rend compte directement au roi. La censure après parution, prononcée par le Conseil d’État ou par divers tribunaux, se manifeste par une condamnation publique et l’envoi au bûcher des livres prohibés dont la vente est interdite sous peine de lourdes sanctions.

L'apparition de l'éditeur

Fiche de police d’Arouet de Voltaire
Fiche de police d’Arouet de Voltaire |

Bibliothèque nationale de France

À la veille de la Révolution, environ 150 villes de France possèdent au moins une imprimerie. Mais l'essentiel de la production imprimée initiale se concentre à Paris, les imprimeurs provinciaux vivant en grande partie de réimpressions, licites ou non (contrefaçons), et de publications d'intérêt local. La profession de libraire se sépare souvent de celle d’imprimeur. On distingue en outre le libraire d’assortiment, l’équivalent de notre libraire actuel, et le libraire de fonds qui se charge en plus de solliciter les auteurs, de lire et éventuellement de publier les manuscrits qu’on lui apporte.
L’apparition de l’éditeur tel qu’on le connaîtra au 19e siècle date de la seconde moitié du siècle. Le plus représentatif de ces hommes est Charles-Joseph Panckoucke.
À la même époque, se dégage la figure de l’éditeur scientifique dont le prototype est Denis Diderot, directeur, auteur, correcteur et éditeur de l’Encyclopédie. Beaumarchais joue aussi ce rôle pour la publication des œuvres de Voltaire puis de Rousseau.

Contrôles et condamnation

Les livres autorisés paraissent avec une permission scellée, dite « permission du Grand Sceau », étendue aux réimpressions en 1701, ou éventuellement un privilège qui confère le monopole commercial de l’exploitation d’un ouvrage à un libraire pendant un certain nombre d’années – généralement entre trois et cinquante ans.
La multiplication des éditions clandestines et des contrefaçons étrangères conduit à la mise en place en 1709 par l’abbé Jean-Paul Bignon – que son oncle le chancelier Louis Phélypeaux de Pontchartrain avait nommé directeur de la Librairie en 1699 –, du système dit de la permission tacite.
Le texte de la permission n’est pas publié en tête de l’ouvrage qui peut porter une fausse adresse à l’étranger. C’est ainsi que L’Esprit des lois de Montesquieu paraît en 1748 avec l’adresse Genève alors qu’il est imprimé à Rouen.

Le nombre de permissions tacites ne cesse d’augmenter : de 6 par an pendant la décennie 1719-1729, elles passent à 178 entre 1764 et 1786. En effet, le pouvoir royal se trouve confronté à un dilemme : censurer largement et ruiner le commerce du livre en France, ou tolérer et laisser passer des écrits non conformistes.
Des registres de ces permissions tacites sont conservés dans les archives de la chambre syndicale des libraires de Paris, conservées au département des Manuscrits.

Il arrive que la censure assure le succès d’un livre. Les registres et la correspondance de la Société typographique de Neuchâtel montrent que les titres les plus demandés sont les « livres philosophiques », la pornographie et les chroniques scandaleuses de la Cour.

Vue de la Bastille de Paris, de la porte St-Antoine, et d’une partie du faubourg
Vue de la Bastille de Paris, de la porte St-Antoine, et d’une partie du faubourg |

Bibliothèque nationale de France

Éditions clandestines

Les éditions clandestines se multiplient : un véritable piratage s’organise par le biais d’entreprises installées aux frontières, telle la Société typographique de Neuchâtel, ou même dans le royaume, grâce, notamment, à l’utilisation de presses portatives. Des réseaux clandestins efficaces se développent que les opérations policières ne parviennent pas à démanteler.

Émile, ou de l’Éducation
Émile, ou de l’Éducation |

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De 1750 à 1800, il est probable que plus de la moitié des livres français ont été publiés hors de France. Près des deux tiers des livres imprimés l’ont été sans privilège ni permission tacite, voire en violation d’une interdiction.
Le pouvoir royal s’efforce de s’assurer le monopole d’une censure que revendiquent aussi la Sorbonne, l’Église catholique et les parlements. Cette rivalité gêne la politique des directeurs de la Librairie qui, en général, sont plutôt ouverts aux idées nouvelles.
De 1750 à 1763, le directeur de la Librairie est Chrétien-Guillaume Lamoignon de Malesherbes (1721-1794). Sa politique consiste à tolérer ce qu’on ne peut efficacement interdire. Il facilite ainsi la publication des premiers volumes de L’Encyclopédie allant jusqu’à prévenir Diderot que ses manuscrits vont être saisis et à les cacher chez lui. Mais en 1758, « l’affaire du De l’Esprit » le met en difficulté. Un censeur royal a accordé trop vite son approbation au livre du très matérialiste Helvétius d’où scandale, condamnation par le parlement de Paris et l’Église et retrait obligé du privilège dans des conditions très humiliantes pour le censeur et l’administration de la Librairie en général. Une période de relative sévérité s’ouvre alors, qui s’achève dans les années 1780. L’Émile de J.-J. Rousseau est condamné en 1762 par l’archevêque de Paris.
Dans la décennie 1780, 40 % des prisonniers de la Bastille s’y trouvent pour un délit en rapport avec le livre.

Élémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde
Élémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde |

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Il arrive que la censure assure le succès d’un livre. Les registres et la correspondance de la Société typographique de Neuchâtel montrent que les titres les plus demandés sont les « livres philosophiques », la pornographie et les chroniques scandaleuses de la Cour.

Les manuscrits clandestins

Manuscrit autographe du « Testament du curé Meslier »
Manuscrit autographe du « Testament du curé Meslier » |

Bibliothèque nationale de France

Les manuscrits clandestins existent depuis le 16e et surtout le 17e siècle. Ce sont d’abord des textes protestants puis jansénistes et, enfin, « philosophiques » c'est-à-dire plus ou moins déistes, panthéistes, matérialistes ou athées.
Au début du 18e siècle, ils sont l’œuvre d’amateurs comme le curé Meslier alors que, dans le même temps, circulent des traités émanant des cercles philosophiques de la capitale tels les traités de Fontenelle.
Le plagiat est courant : on traduit des auteurs anglais sans les citer, on compose de nouveaux traités en recollant des extraits de textes antérieurs, on signe du nom d’un auteur connu, Bayle ou Spinoza par exemple, on truffe le manuscrit de vraies et fausses citations.
Le marquis d’Argens (auteur de Thérèse philosophe) est un spécialiste de ce genre d’exercice et Sade fera de même. D’où la difficulté des attributions.
Même lorsque le texte clandestin est imprimé, les deux systèmes de diffusion, imprimée et manuscrite, coexistent. Si le manuscrit précède en principe l’imprimé, il peut aussi lui survivre, voire lui succéder. Dans ce cas il permet la modification du texte figé par l’impression ; ces modifications peuvent être le fait de l’auteur, du copiste ou du lecteur.

Les manuscrits clandestins témoignent alors de l’évolution d’une pensée collective et peuvent donner lieu à une forme originale de génétique textuelle. On s’interroge enfin sur la diffusion de ces textes, soit qu’ils demeurent cachés par leur auteur, tel le curé Jean Meslier, ou lus à quelques intimes, prêtés, circulant d’un lieu à l’autre et éventuellement reproduits dans un but de diffusion plus large. Ils n’apparaissent évidemment pas dans les inventaires après décès mais on les retrouve chez les collectionneurs ou dans les bibliothèques. On estime qu’entre 1690 et 1760, environ 2 000 manuscrits de ce genre portant sur 250 textes circulent.
Par ailleurs, en dehors des questions de censure, le manuscrit continue de servir à la circulation des textes, parallèlement à l'imprimé, pour des raisons de coût et de censure. La main-d'œuvre, moins spécialisée, est moins onéreuse, le matériel – une table, une plume, un encrier et des feuilles – est plus facile à installer et à dissimuler qu'une presse, même portative.

Les « nouvelles à la main »

Manuscrit autographe corrigé de La Religieuse
Manuscrit autographe corrigé de La Religieuse |

© Bibliothèque nationale de France

Il faut aussi évoquer les gazettes manuscrites ou « nouvelles à la main », depuis celles de la très jansénisante « paroisse Doublet », du nom de la salonnière, amie de Bachaumont chez qui elles s’écrivaient, jusqu’à la Correspondance littéraire dirigée par Grimm avec l’appui de Diderot et de Mme d’Epinay de 1753 à 1773 et poursuivie par Jacob-Henri Meister jusqu’en 1813.
Aristocratique et sélective, elle était destinée aux princes « éclairés » de l’Europe du Nord : Catherine II était abonnée depuis 1762. Plus de 3 600 textes importants y parurent, dont 600 environ sont restés inédits. C’est ainsi que Diderot, pris par L’Encyclopédie et las des persécutions, ne fait plus rien paraître après 1754, publiant ses œuvres (soit environ 60 % de l’ensemble) dans la Correspondance littéraire. « Éditée » à une quinzaine d’exemplaires seulement, la Correspondance littéraire était recopiée et diffusée plus largement.

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