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La ponctuation vue par les écrivains

Diderot, Mallarmé, Aragon, Perec : les écrivains se sont rapidement emparés des signes de ponctuation et ont su en jouer avec virtuosité.

Les premiers signes de ponctuation datent du 3e siècle avant notre ère et furent inventés par les directeurs de la célèbre bibliothèque d’Alexandrie. Inséparable des usages typographiques et culturels d’une époque, la ponctuation est inséparable aussi des questions de mises en page.

Pour L’Encyclopédie de Diderot, dont l’article « Ponctuation » est un véritable traité, elle est « l’art d’indiquer dans l’écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant » La ponctuation marque donc le rythme de la lecture, mais aussi le mode de l’écriture.

La ponctuation est un ensemble de signes qui ne se lisent pas à proprement parler, qui ne se prononcent pas, mais qui pourtant s’entendent par les silences et les changements de ton qu’ils signifient et qu’une lecture à haute voix actualise. Parfois, pourtant, la ponctuation peut être verbalisée dans un certain nombre de locutions familières : « entre parenthèses » « un point, c’est tout » « point final ».

La fonction stylistique et grammaticale, oratoire et écrite des signes de ponctuation est essentielle. C’est pourquoi il est si important que les imprimeurs et éditeurs soient fidèles à la ponctuation des auteurs, ce qu’ils ne sont presque jamais. Déjà en 1871 George Sand s’en plaignait, d’autant que pour elle la ponctuation, c’est l’homme tout entier : « On a dit "le style, c’est l’homme". La ponctuation est encore plus l’homme que le style. La ponctuation, c’est l’intonation de la parole, traduite par des signes de la plus haute importance. Une belle page mal ponctuée est incompréhensible à la vue ; un bon discours est incompréhensible à l’oreille s’il est débité sans ponctuation, et désagréable si la ponctuation est mauvaise. »

Si la ponctuation est le style, elle devrait donc être fidèlement reproduite dans les textes édités. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Ainsi, Kundera critique les éditeurs français de Kafka qui introduisent dans le texte une ponctuation que l’auteur n’a pas prévue ; il rappelle que Le Verdict a été écrit en une seule nuit, sans interruption, et que « ce long souffle se reflète dans la ponctuation » : le manuscrit ne présente que des articulations affaiblies, presque pas de point-virgule, aucun deux-points, et supprime même les virgules que la syntaxe habituelle de l’allemand exige.

Dans un texte poétique, la ponctuation marque l’oralité, la gestuelle ; elle a une fonction oratoire et non seulement grammaticale. Apollinaire supprime sur les épreuves du volume la ponctuation de ses poèmes d’Alcools ; les mêmes poèmes publiés auparavant en revue étaient ponctués. En revanche, le poète ne supprime pas la majuscule, qui, ainsi, joue le rôle du point. Cette suppression de la ponctuation entraîne une certaine ambiguïté de lecture, donc un enrichissement du sens.

Aragon explique et justifie ce rejet de la ponctuation dans la poésie : « J’aime les phrases qui se lisent de deux façons et sont par là riches de deux sens entre lesquels la ponctuation me forcerait à choisir. »

Restif de la Bretonne, écrivain polygraphe et typographe, proposait quant à lui toute une série de nouveaux signes de ponctuation expressive pour traduire l’excès sentimental du 18e siècle : « le point précipitatif, le point retentissant, l’indignatif et l’attendrissant » devaient permettre de mieux traduire le ton et le débit du discours, tout en remplaçant de trop nombreuses parenthèses explicatives dans les romans et les pièces de théâtre. Nodier a, dans une biographie parodique intitulée Moi-même, écrite en 1800 et publiée en 1921 pour la première fois, utilisé toutes les ressources de la ponctuation et rien qu’elle dans son chapitre IX, « Le meilleur du livre » écrit l’auteur, pour transcrire le désordre des ébats amoureux du héros :

Le meilleur du livre

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Dans W ou le souvenir d’enfance de Perec, trois points de suspension enfermés entre des parenthèses se trouvent seuls, au milieu d’une page entièrement blanche, face à une autre page blanche (ni l’une ni l’autre ne porte de numéro), ces deux pages séparant les deux parties du récit. Petite île noire au milieu du silence, image de ce qu’ « il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. Elle s’appelle W ». Le prière d’insérer, rédigé par Perec lui-même, souligne le sens de cette étrange signalisation :

« L’un de ces textes appartient tout entier à l’imaginaire : c’est un roman d’aventures, la reconstitution, arbitraire mais minutieuse, d’un fantasme enfantin évoquant une cité régie par l’idéal olympique. L’autre texte est une autobiographie : le récit fragmentaire d’une vie d’enfant pendant la guerre, un récit pauvre d’exploits et de souvenirs, fait de bribes éparses, d’absences, d’oublis, de doutes, d’hypothèses, d’anecdotes maigres. Le récit d’aventures, à côté, a quelque chose de grandiose, ou peut-être de suspect. Car il commence par raconter une histoire et, d’un seul coup, se lance dans une autre : dans cette rupture, dans cette cassure qui suspend le récit autour d’on ne sait quelle attente, se trouve le lieu initial d’où est sorti ce livre, ces points de suspension auxquels se sont accrochés les fils rompus de l’enfance et la trame de l’écriture. »

Provenance

Cet article provient du site L'aventure des écritures (2002).

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