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François Ier, roi chevalier

L’adoubement de François Ier par le chevalier Bayard
L’adoubement de François Ier par le chevalier Bayard

Bibliothèque nationale de France

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L’engagement de François Ier, en 1515 comme en 1525, permet la construction d’une image de roi chevalier le distinguant de ses rivaux Henri VIII et Charles Quint, qui n’ont guère paru sur les champs de bataille. Paradoxalement, cette promotion de l’image chevaleresque est le résultat de la défaite plutôt que de la victoire.

La scène apocryphe de l’adoubement

L’échec de Pavie alimente une monopolisation royale de l’imaginaire chevaleresque où ne restent au roi que la vie et l’honneur. Les récits de 1515 n’évoquent pas l’adoubement de François Ier à Marignan. La première mention n’apparaît qu’en… novembre 1525, sous la plume de Symphorien Champier, qui fait alors paraître Les Gestes ensemble la vie du preulx chevalier Bayard. Il y rapporte que le roi demanda à Bayard de le faire chevalier à l’issue de la bataille. Aucun roi n’avait jusqu’alors réclamé ce rituel. Remettant au monarque une épée, Bayard déclara : « Sire autant vaille que si estoit Roland ou Olivier, Godefroy ou Baudoin son frère, certes vous estes le premier prince que oncques fist chevalier. Dieu veuille qu’en garde ne prenez la fuite. » L’épisode de 1515 justifie ainsi la capture de 1525. Cet adoubement explique pourquoi le roi ne pouvait fuir. Et la vie de Bayard (mort en avril 1524) est justement publiée l’année de la défaite, montrant que, dans le succès comme dans l’échec, le roi reste un nouveau Roland.

Un nouveau Roland

Vaincu par le nombre, le monarque s’est en effet rendu et a eu la vie sauve dans l’honneur. Nul n’a fait le reproche à François Ier d’avoir préféré la vie, car il s’est bien battu. Guillaume Crétin a chanté, dans des vers alors restés manuscrits, la vaillance d’un souverain qui fut « pris non en lasche fuyant mais comme un preux ». Des chansons composées en 1525 chantent « le noble roy François sur tous les seigneurs du monde plus gentil et courtois », nouvel Hector et nouveau Roland. Le souverain a ratifié cette dernière analogie dès son retour en France en mars 1526, lorsque, de passage à Blaye, il fit ouvrir le tombeau que, depuis le 12e siècle et La Chanson de Roland, on disait être celui du neveu de Charlemagne.

La bataille de Marignan
La bataille de Marignan |

© Photo RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Ce rapprochement entre les chevaliers des chansons de geste et le roi défait se retrouve aussi dans les publications réalisées dans le camp des vainqueurs. Plus tard, Brantôme dira que les Espagnols ont finalement mieux parlé du roi que les Français. Un ami de Machiavel, Francesco Vettori, va plus loin en estimant qu’un capitaine qui organise bien la bataille, qui se bat avec intelligence et vaillance, n’est pas à blâmer s’il échoue. En 1532, dans son épopée chevaleresque Roland furieux, dont le succès sera européen, l’Arioste, devenu pro-impérial comme son maître, le duc de Ferrare, évoque néanmoins la défaite française en vantant la vaillance du souverain. Honneur au vaincu, en quelque sorte. Car en ce début de 16e siècle où la « chevalerie » désigne l’élite nobiliaire qui fait la guerre, le résultat des combats sert à jauger le grand capitaine plus que le chevalier. Celui-ci se distingue avant tout par ses qualités individuelles, sa vaillance, son courage et ses prouesses. Rien alors d’incompatible entre la défaite et l’héroïsation chevaleresque.

Médaille de François Ier invaincu
Médaille de François Ier invaincu |

© Bibliothèque nationale de France

César présentant l’épée et le caducée à François Ier
César présentant l’épée et le caducée à François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

L’infortune et les coupables

Le roi comme sa mère ont très vite expliqué l’échec par l’infortune, et cette interprétation sera longtemps défendue par la diplomatie française. Voilà un lieu commun réhabilité par l’humanisme qui permet d’écrire une histoire sans fin, instable et contingente. L’infortune permet aussi de faire l’économie de la responsabilité du monarque et dédramatise la déroute et la captivité, en privant l’événement de tout caractère providentialiste. Car ce que la fortune défait, elle peut le refaire. Il est, par conséquent, vain de chercher une signification à l’événement, comme le fait Charles Quint, qui voit dans la victoire survenue le jour de son anniversaire une manifestation providentielle de Dieu en sa faveur. Le roi endosse aussi la posture du chevalier abandonné et trahi par les siens afin de mieux apparaître comme celui qui a le monopole de la gloire : il ne la partage qu’avec les morts, comme La Palisse ou La Trémoille, dont des chansons louent la loyauté. « Honneur aux vaincus et honte aux fuyards » est un lieu commun des chroniqueurs, déjà employé pour expliquer Crécy ou Poitiers. Des chants dénoncent donc les gens déshonnêtes qui ont mal conseillé et, plus encore, délaissé et trahi le roi. Rien n’est pourtant moins vrai. Mais cette défection de chevaliers fuyards s’incrusta dans la mémoire. Le monarque lui-même alimente cette idée dans ses poésies écrites en captivité, qui circulent sous forme manuscrite. Florange, qui était à Pavie, avoue que « si tous ceulx qui estoient avec lui eussent faict comme luy, ses besoignes se fussent mieulx portées ». Jean Bouchet estime qu’il y a eu plus de noyés que de tués à Pavie, c’est-à-dire plus de lâches morts que de sacrifices héroïques. Dans Gargantua, au chapitre XXXIX, Rabelais donnera une fortune littéraire à cette dénonciation des « fuyards de Pavyee qui ont abandonné leur prince alors qu’il est plus honorable mourir vertueusement bataillant que vivre fuyant villenement ». Si défaite de la chevalerie il y eut alors à Pavie, elle est plus morale que technique. Pavie a en effet permis de promouvoir une entreprise de captation de l’héroïcité chevaleresque par le roi et pour le roi. Seuls sont glorieux ceux qui se sont sacrifiés pour celui qui, en captivité, incarne une royauté elle aussi sacrificielle.

L’affaire de Pavie vient jeter une ombre sur l’image traditionnelle d’une noblesse fidèle à son roi. Cette défaite a nui à la réputation militaire de la chevalerie et de l’armée françaises, mais pas à la gloire du roi, permettant au contraire de conforter sa posture de roi chevalier.

La reddition de François Ier à Pavie
La reddition de François Ier à Pavie |

Museo e Real Bosco di Capodimonte / Photo © Erich Lessing

L’abandon du royaume

La posture chevaleresque adoptée par le roi n’est cependant pas sans attirer un certain nombre de critiques. À commencer par l’accusation lancée contre l’appétit de gloire du souverain, qui l’a conduit à abandonner sans défense son territoire. Accusation excessive, mais qui montre l’attachement des sujets à l’image d’un prince père du peuple et époux du royaume, qui ne doit pas les délaisser. Or, fin 1524 et plus encore après l’annonce de la défaite, le pays panique : il se croit abandonné, à la merci d’invasions étrangères, comme celle qui s’était produite en Picardie en 1523. Le Marseillais Valbelle accuse le roi de n’avoir pas assez protégé la France en général et Marseille en particulier. Les « Français n’ont rien à faire en Italie », car « les montagnes tracent les frontières » et parce que les Milanais n’aiment pas les Français. Antipathie des peuples et barrières naturelles dessinent les limites du royaume. Pour réfuter cette accusation d’abandon, le pouvoir royal met en avant que le roi n’a fait qu’exercer un droit de poursuite contre l’agresseur, qu’il a évacué la guerre vers l’Italie en y conduisant les Suisses et les troupes italiennes qui sont à son service mais qui sont aussi une charge pour le royaume. Du Milanais, il n’est plus question dans ces justifications a posteriori.

Chevalier ou capitaine ?

La défaite de Pavie nourrit un autre débat. Le roi lui-même aurait admis avoir fait, dans cette guerre, le devoir d’un bon soldat mais non celui d’un roi. Florange reproche à François Ier de s’être plus souvent comporté en capitaine que comme roi maître du feu : est-il encore d’actualité pour les princes de charger à la tête de leur troupe ? Le roi est pourtant loin d’avoir été un imprudent farci de romans de chevalerie. Il a voulu éviter la bataille, et ce n’est que l’échec de cette stratégie qui fera dire aux chroniqueurs qu’il avait voulu ce qu’il a subi, par impétuosité juvénile. Le roi a au contraire fait montre d’une intelligence de la situation l’emportant sur le besoin d’accomplir des actes héroïques et d’une prudence tempérant la bravoure.

Armure équestre de François Ier
Armure équestre de François Ier |

© Paris-Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pierre-Luc Baron-Moreau

La bataille de Marignan, dessinée d’après le bas-relief de Primatice de Bologne, sur le mausolée de François Ier, à Saint-Denis
La bataille de Marignan, dessinée d’après le bas-relief de Primatice de Bologne, sur le mausolée de François Ier, à Saint-Denis |

© Bibliothèque nationale de France

De fait, dès Marignan, les observateurs italiens n’ont pas insisté sur la jeunesse du souverain, mais sur sa sagesse. En ayant le souci d’épargner ses hommes, en ne poursuivant pas les Suisses défaits, il s’était montré prudent capitaine. Dix ans plus tard, il table sur l’usure de l’adversaire, non sur une bataille aussi décisive que destructrice. Voilà pourquoi il ne veut plus que ses soldats se laissent entraîner dans les escarmouches que les impériaux multiplient à partir de la mi-février 1525, au risque de voir l’une d’elles se transformer en bataille. Il ne veut pas mettre son armée « in mano de la fortuna ». Il a de l’argent, c’est-à-dire du temps, et rien ne le détournera du siège. François Ier n’a cessé de tabler sur l’épuisement des vivres de Pavie et sur l’implosion de l’armée espagnole privée de finances et donc susceptible de désertions massives et de mutineries. Le capitaine de l’armée vénitienne s’étonne même de cette obstination à refuser la rencontre alors que les Français sont réputés fougueux ( « natura focosi » ). Ainsi, l’affrontement ne fut pas voulu par celui qui était pourtant le mieux doté en canons, en hommes et en argent. Le jour de la bataille, il a participé à un combat qui lui était imposé. Et la mise en avant de sa vaillance chevaleresque après la défaite a été un moyen de camoufler l’échec du capitaine avisé qu’il avait été.

Le parjure de Madrid

Si la défaite n’a pas entamé la construction de l’image du roi chevalier, le refus d’honorer les engagements du traité de Madrid, signé en 1526 en échange de sa libération, a été perçu comme un parjure et une perfidie indigne d’un chevalier.
Le 16 décembre 1525, Charles Quint a donné pouvoir à Lannoy pour qu’il reçoive le serment de François Ier d’appliquer le traité. Dans ce juramento de caballero (apocryphe ? ), conservé aux archives du ministère des Affaires étrangères espagnoles, le roi donne sa foi à l’empereur de restituer la Bourgogne dans les six semaines consécutives à sa libération ou de revenir dans les quatre mois se constituer « prisonnier de guerre ». Il a fait savoir que sa libération était essentielle pour qu’il obtienne en France la ratification du traité par les états et les parlements. En attendant, deux de ses fils sont laissés en otage à l’empereur, et Éléonore de Habsbourg, sœur de Charles Quint, à laquelle François Ier est lié depuis le 14 janvier 1526 par une promesse de mariage, reste en Espagne. En mars 1526, Lannoy est envoyé en France rappeler au roi son serment, en vain. En 1528, Charles Quint, reprochant au roi de France d’avoir manqué à sa parole, lui adresse un cartel de défi. Dans la réponse prononcée devant la cour et envoyée le 28 mars, François Ier déclare n’avoir jamais donné sa foi à l’empereur : il était prisonnier, or « tout homme gardé ne peut avoir obligation de foy ». Il se contentera de ce qu’un vaincu doit à son vainqueur : une rançon et des otages garantissant son paiement.

Dès janvier 1528, à la déclaration de guerre lancée par François Ier, Charles Quint avait répondu qu’il trouvait scandaleux que « son prisonnier de juste guerre ayant sa foye » osât le défier ; il estimait que les otages laissés ne pouvaient être libérés contre rançon, car il s’agissait « d’observation de foy et promesse de roi ». Parce qu’il ne tient pas cette promesse, le roi de France dévoile « l’intrinsèque fausseté de son âme », estime le chancelier impérial Gattinara : il est parjure, insouciant de son salut, de son honneur, de sa gloire.
Certains ont alors essayé d’expliquer le défaut du roi à ses engagements. À commencer par lui-même, qui invoque auprès de Lannoy la responsabilité de son Conseil. Dans une lettre du 24 juin 1526, Castiglione rapporte que François Ier s’excuse de ne pouvoir restituer la Bourgogne, car il ne peut induire ses peuples à l’accepter. Brantôme impute aussi aux états et assemblées la responsabilité d’avoir empêché le roi de tenir sa parole. Son honneur est ainsi sauf.

Hallebardier portant livrée mi-partie à la salamandre
Hallebardier portant livrée mi-partie à la salamandre |

© Bibliothèque nationale de France

Portrait d’Éléonore de Habsbourg
Portrait d’Éléonore de Habsbourg |

© Bibliothèque nationale de France

François Ier entouré de six pairs
François Ier entouré de six pairs |

© Bibliothèque nationale de France

Vettori va plus loin dans l’apologie de cette prétendue violation de la parole donnée. Le roi a accompli l’acte le plus généreux réalisé depuis plus de un siècle : « François Ier savait que s’il n’était pas libéré, sa patrie allait au précipice et à la destruction. Il a eu raison de permettre ce qu’il savait ne pas tenir pour pouvoir être en situation de défendre sa patrie. » La défense de la patrie l’emporte sur l’honneur personnel, mais, en même temps, cet acte politique est paré d’une générosité quasi sacrificielle et chevaleresque.

Malgré ces apologies, l’absence d’application du traité de Madrid jointe au non-retour du roi en prison accrédite, auprès de la propagande espagnole, l’image d’un souverain français manquant à ses obligations chevaleresques.

Un roi antichrétien ?

Mais la déloyauté de François Ier ne s’arrête pas là aux yeux de ses adversaires. Peu après la défaite de Pavie, Ferdinand informe l’empereur son frère que l’on a trouvé des lettres, dans les bagages du roi de France, qui attestent qu’il est en contact avec les rebelles hérétiques d’Allemagne. Le chevalier chrétien pactise avec le luthéranisme. Mieux encore, l’année de Pavie a été l’occasion de prendre langue avec Soliman le Magnifique, qui menace alors l’empire et la Hongrie. L’appel au Turc pour régler les différends entre chrétiens est alors fréquent, mais cause de scandale. Qui ici a pris l’initiative des contacts ? Difficile de le savoir. Dès janvier 1525, alors que François Ier semble devoir soumettre l’Italie à son joug, arrive au camp du roi, à Pavie, un émissaire du Turc. François Ier accepte l’aide, à condition qu’il s’agisse de troupes légères chrétiennes.

Portrait équestre de Soliman le Magnifique (1494 ? - 1566)
Portrait équestre de Soliman le Magnifique (1494 ? - 1566) |

© Bibliothèque nationale de France

Durant la captivité, des émissaires français sont envoyés vers le sultan afin d’obtenir son aide pour libérer le vaincu. Sauf pour Guillaume Postel, qui estime que « le Christ a voulu faire naître à l’occasion de la captivité du roi » un lien entre les Turcs et la France, qui va conduire à leur conversion, cette alliance attente durablement en France comme à l’étranger à l’image du roi chrétien, « miles christi ». L’imaginaire chevaleresque a été largement christianisé par l’imaginaire de la croisade. Pavie inaugure la rupture de cette association. Nombre de catholiques sont choqués par cette alliance contre-nature que la monarchie s’efforce de justifier par une casuistique embarrassée. L’héritier de Saint-Louis est gêné par cette accusation d’alliance avec l’infidèle. Pour éviter d’apparaître comme antichrétien, il se garde ainsi, à l’été 1535, d’attaquer Charles Quint, qui est à Tunis. Mais, en 1543, une opération combinée entre l’armée du roi de France et la flotte ottomane contre Nice conduit à l’hivernage de la flotte turque à Toulon vidé de ses habitants et transformé en cité musulmane.

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Le roi chevalier

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