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François Ier, roi sacré, croisé… et allié des Turcs

Le sacre de François Ier, à Reims
Le sacre de François Ier, à Reims

© Bibliothèque nationale de France

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Reims, 25 janvier 1515 : les mains sur la Bible, le tout nouveau roi de France jure au nom du Christ de maintenir la paix au sein du peuple chrétien et de s’opposer aux hérétiques. Une image religieuse dont le souverain use largement, mais qui n’est pas sans ambiguïtés.

La cérémonie du sacre

Si cet investissement dans un destin ardemment soutenu est cantonné au cercle des proches, il prend toute sa dimension dans une cérémonie qui scelle la convergence des chemins dynastiques et stratégiques : ce lien tout particulier de Dieu avec le royaume par le roi est concentré dans le sacre. À l’âge de vingt ans, le 25 janvier 1515, François est sacré et couronné à Reims, le statut d’exception du roi étant proclamé publiquement au sein d’une assemblée on ne peut plus représentative. Dans le sacre, qui réunit liturgies ecclésiastique et royale, le service rendu à la communauté est mis en évidence dans la promesse et le serment, qui constituent deux des temps forts de l’action.

Conservation des privilèges canoniques

En premier lieu, la promesse concerne la conservation des privilèges canoniques de l’Église et la défense de ses évêques. On doit, à ce sujet, insister sur la tonalité particulière que prennent ces paroles à l’époque : nombreux sont les ecclésiastiques – également porteurs de la culture humaniste – qui occupent des charges élevées ou à qui l’on confie des missions de première importance. Leur rôle dépasse largement la Chapelle royale et innerve tout le royaume et ses relations diplomatiques. Dès lors, « la figure du cardinal-ministre s’impos[e] à travers des personnalités comme Guillaume Briçonnet, Georges d’Amboise, François de Tournon, Jean de Lorraine, Charles de Lorraine », en même temps que les liens féodo-vassaliques sont remplacés par une fidélité réservée au Roi Très Chrétien. D’autant que ce dernier, disposant après 1516 (et le concordat de Bologne, conclu avec Léon X) du pouvoir de nomination, récompense ses proches en leur distribuant des bénéfices ecclésiastiques majeurs, qui ne coûtent rien aux finances civiles. En effet, cette promesse du sacre ne saurait se lire de manière seulement harmonieuse et idéaliste, puisque le concordat est au contraire vécu, par une partie de l’Église gallicane, comme un dépouillement et un asservissement.

Le serment « du royaume »

Mais le rapport du roi à la sphère ecclésiale ne se limite pas à cette première promesse. En second lieu, le serment dit « du royaume » situe encore une fois la parole royale au centre de l’attention et du contexte théologique : François, les mains posées sur l’Évangile, jure au nom du Christ de maintenir la paix au peuple chrétien, la justice, l’équité et la miséricorde des jugements, et de s’engager dans la poursuite des hérétiques désignés par l’Église. Ce dernier aspect a pris un poids tout particulier au regard de la diffusion des idées luthériennes. Dans un premier temps, les fractures confessionnelles ne sont pas nettes, et la sœur du roi, Marguerite de Navarre, comme certains prélats influents, sont sensibles à des arguments qui promeuvent une réforme de l’Église. Mais quand les idées prennent un tour perçu comme séditieux, ou, à tout le moins, se matérialisent par un trouble à l’ordre public, la réaction ne tarde pas.

Matrice du sceau de la croisade
Matrice du sceau de la croisade |

© Bibliothèque nationale de France

Ainsi, la fameuse affaire des Placards, en octobre 1534, joue un rôle de déclencheur : immédiatement, une procession est organisée, renforcée par une autre, de grande ampleur, en janvier 1535, qui aboutit à une messe du saint sacrement à Notre-Dame. La persécution de la Réforme luthérienne est désormais enclenchée, et les historiens contemporains mettent directement en lien la lutte antihérétique avec le titre de « Roi Très Chrétien ». Dans son Histoire générale de la France, Scipion Dupleix expliquait ces « rudes secousses » par une mise à l’épreuve de la grâce divine accordée à François : « Qui n’eût jugé que sous un roi tant religieux, la vraie religion n’eût été portée au plus haut point de sa pureté dans ce royaume ? Néantmoins ce fut lorsque l’hérésie commença d’y prendre racine. » La mémoire des historiographes n’est pas la seule à conserver trace de cet événement. Il n’est pas anodin que le Code du Roy Henry III débute par un texte intitulé « De la foi et religion catholique », dont le premier article est constitué par un acte de François Ier promulgué en juillet 1543 qui prône « l’unité, intégrité, et sincérité de la foi catholique, comme le principal fondement » de « notre royaume très chrétien ». Lui-même, « comme Roi Très Chrétien », s’oppose aux doctrines qui divisent le royaume et occasionnent des « séditions en notre peuple ».

De la croisade à l’alliance turque

François Ier en prière
François Ier en prière |

Photo © RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Ecouen) / Gérard Blot

Le pôle providentiel est de fait relié à celui du messianisme, dont témoignent les projets de croisade – avec un François Ier censé fédérer tous les souverains européens – et, plus encore, le désir de la couronne impériale. Face à la dynastie habsbourgeoise et à l’empire de Charles Quint, l’échec de la France renforce une vraie rivalité en termes de légitimité sacrale : au-delà de l’insistance sur la reconnaissance de la particularité du royaume de France par Dieu et la papauté, la réalité diplomatique dévoile bien une guerre de légitimité entre les souverains européens. Pour tenir son rang militaire et symbolique et multiplier les fronts contre les impériaux, François Ier contracte une alliance retentissante avec Soliman, jusqu’alors impensable puisque les Ottomans sont perçus comme l’ennemi commun par excellence et incarnent l’infidèle, sur les terres mêmes de l’ancien Empire romain chrétien d’Orient. Si l’accord de 1536 est surtout militaire et commercial, les apologistes ont pu faire valoir le rôle du roi de France comme protecteur de tous les chrétiens en Orient et en Terre sainte, notamment des pèlerins. Cette polarité n’est pas oubliée par Grassaille, qui parle du roi de France comme vrai roi de Jérusalem, mais l’accord diplomatique et la pacification se substituent à la croisade et à l’opposition frontale. Aussi, même si les justifications s’orientent vers la guerre juste et le droit des gens, Blaise de Montluc remarque, en 1542, que c’est bien « sans préjudice du nom et de l’honneur de “Très Chrétien” » que le roi « a accepté les forces qui luy ont été envoyées par le Grand Turc ». Le superlatif de qualité a donc survécu, avec toutes les opérations qu’il recouvre, à la fracture confessionnelle et au renversement radical du front oriental.

1er croisade : le pape Urbain II préside le concile de Clermont
1er croisade : le pape Urbain II préside le concile de Clermont |

© Bibliothèque nationale de France

La flotte des croisés devant Byzance
La flotte des croisés devant Byzance |

Bibliothèque nationale de France

Première croisade : Prise d’Antioche et massacre de ses habitants 
Première croisade : Prise d’Antioche et massacre de ses habitants  |

Bibliothèque nationale de France

Jérusalem, terre de pèlerinage
Jérusalem, terre de pèlerinage |

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Le roi le conserve cette relation qui le définit et le légitime : la relation avec Dieu, médiation par sa fonction prééminente des relations du royaume, relation au sommet d’une hiérarchie, et médiateur des idéaux éthiques. Pour autant, en ce que cette relation est rapportée à un absolu, elle est aussi conflictuelle, puisque ses modalités et sa normativité sont toujours discutées. Tout le génie de ce dispositif collectif et de ses exaltations consiste à subvertir de l’intérieur cette sacralité participante pour présenter comme éminemment admirable un règne dont la réalité recouvre une pragmatique politique sans rapport avec le message chrétien. Robert Knecht peut ainsi conclure : « Une chose est sûre : dans sa manière de gouverner, François Ier est très éloigné de la philosophia Christi. »

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