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Parcours pédagogique

Voyages dans l'Au-delà

Par Sophie Bogaert, professeur agrégée de lettres modernes ; Catherine Sironi, chargée de projet éducation artistique et culturelle
5 min de lecture
Papyrus mythologique de Tanytamon
Ce parcours pédagogique répond à l'objet d'étude « Représentations de l’au-delà, imaginer le cycle de la vie » de l'enseignement de Français et culture antique en classe de 6e, et notamment au chapitre « Aller et revenir de l’au-delà » ; il peut également être utilisé au lycée, car il permet d'aborder le principe, un peu abstrait, de la réécriture. La réflexion peut s'axer autour de la persistance du thème du voyage vers le royaume des morts à travers le temps : question fondamentale de la mort, rapports de l’homme avec l’au-delà, question esthétique de la représentation de l’invisible…
Les ressources pour réaliser l'activité

Documents

Dans le Chant XI de l'Odyssée, Ulysse, accueilli par les Phéaciens, leur raconte son arrivée aux royaume des morts, où il est parvenu grâce aux conseils de Circé.

Écrite au 1er siècle avant J-C. par l’un des plus grands poètes latins, l’Énéide est la grande épopée fondatrice de Rome : dans cette œuvre politique, Virgile inscrit Auguste, le premier empereur, dans la descendance du héros Énée, fils de Vénus. Il va au-delà du texte homérique dont il s’inspire, puisque le héros, cette fois, ne reste pas aux portes des Enfers, mais y pénètre résolument, découvrant une horrible galerie de monstres.

Démarche possible

La comparaison des textes d’Homère et de Virgile permet une première approche de la notion de réécriture, à travers une reprise de nature sérieuse, qui confirme l’autorité du texte-source. On montrera que le texte de Virgile reprend et prolonge celui d’Homère (il fait apparaître non seulement l’invocation aux morts, mais aussi la descente aux Enfers à proprement parler, qui met en place la figure du guide) : il s’agit d’une amplification.

Les élèves pourront aborder les deux textes d’abord en relevant leurs points communs (champs lexicaux de l’obscurité, de la mort, des sentiments, du surnaturel…), puis leurs différences (passage d’une énonciation à la première personne à une narration à la troisième personne, avec l’étude des effets produits par cette variation…). On peut profiter de cette étude pour mettre en lumière les principales caractéristiques de l’écriture épique.

Les ressources pour réaliser l'activité

Documents

La Divine Comédie, que le poète italien Dante Alighieri compose à la fin du 13e siècle, est surtout inspirée de l’Énéide de Virgile : mais cette fois, guidé par Virgile lui-même, c’est le poète lui-même qui est le sujet de sa propre odyssée. Son périple dans l’au-delà est à la fois épique, littéraire et philosophique : finalement sauvé par l’amour, il est en quête du savoir absolu. Il s'agit d'une dérivation de type hypertextuelle, puisque le texte source n’est pas explicitement présent dans le texte réécrit.

Par le titre même de son long poème La Comédie de la mort, Le poète symboliste Théophile Gautier désigne son texte comme une réécriture directe de celui de Dante. Son guide féminin est une jeune morte, figure idéale de la Beauté, qui illustre sa théorie de l’œuvre d’art, fondamentalement inutile et esthétiquement parfaite : « l’Art pour l’Art ». Sa rééccriture est paradoxale, placée sous le signe de la négation : le poème fait allusion au texte source et le transpose, mais pour affirmer sa propre originalité.

Dans Germinal, Émile Zola, fondateur et théoricien du naturalisme, enrichit le réalisme de ses romans par un recours aux symboles et aux métaphores. Loin de l’atmosphère fantastique des textes-source, cette réécriture montre l’univers contemporain de la mine comme un véritable « enfer ».

Gérard Genette est un des grands critiques français contemporains. Fondateur de la narratologie, il s’intéresse notamment aux relations d’intertexualité entretenus par les textes littéraires. Il crée le terme d’hypertexualité, qui désigne "toute relation reliant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte), à l’exclusion du commentaire".

Démarches possibles

Le texte de Dante permet de comprendre comment la réécriture peut reposer sur l’adaptation d’une situation à un nouveau contexte culturel (ici, le passage du monde païen au monde chrétien) qui en modifie les enjeux. À partir d’un questionnaire fondé sur les variations énonciatives des deux extraits, et sur le changement de statut des deux narrateurs, on pourra montrer qu’on a ici affaire à une initiation littéraire, où le glaive est remplacé par la plume.

Le texte de Gautier permet d'interroger l'originalité artistique dans le cadre d'une réécriture. On pourra relever, par exemple, toutes les tournures négatives du poème, principalement dans le portrait du guide féminin. On pourra aussi amener les élèves à observer le double processus d’esthétisation et d’érotisation de la mort chez Gautier (notamment à travers une étude des images et du registre pathétique), pour leur montrer que la réécriture permet d’imposer une nouvelle esthétique (ici, celle de l’Art pour l’Art).

Le texte de Zola peut être abordé à travers un questionnaire préparatoire sur les champs lexicaux et le registre ; les élèves devront mettre en évidence l’opposition entre le registre fantastique des extraits précédents et la dimension réaliste de celui-ci. La transposition opérée par Zola est à la fois générique (de l’épopée au roman), chronologique (le passage à un contexte contemporain, comme chez Dante), et narrative (l’enfer est ici métaphorique : seule une étude du symbolisme du texte permet de saisir la présence de cette métaphore). La réécriture, outre sa fonction littéraire, a donc ici aussi une fonction argumentative : elle permet à Zola de dénoncer les conditions de travail réelles des mineurs de son temps.

L’ensemble peut donner lieu à un travail d'écriture sur la place de l’originalité dans la réécriture (dissertation) ou invitant à pratiquer une réécriture « à la manière de » (une parodie par exemple). Il peut occasionner un travail sur les registres. On pourra également prolonger ce travail par le visionnage d’un ou de plusieurs films qui proposent des variations sur l’Odyssée.

Les ressources pour réaliser l'activité

L'analyse de l'au-delà égyptien est proposée à travers l'exemple d'un Livre des Morts : le Papyrus mythologique de Tanytamon, conservé au département des Manuscrits de la BnF. Les élèves ont déjà découvert les Enfers chez les Grecs et peut être chez les Romains, ce qui permet une ouverture comparative vers une autre culture : l’Égypte ancienne.

Contexte

Les livres pour sortir au jour, aussi appelés Livres des morts, sont des textes retrouvés généralement à proximité des momies. Ils prennent la plupart du temps la forme de rouleaux de papyrus, mais peuvent aussi être rédigés sur les parois des tombes ou directement sur les bandelettes des momies. Produits depuis la 18e dynastie (1550-1323 av. J.-C.) jusqu'à la période romaine (le plus récent connu est daté vers 63 av. J.-C.), ces recueils funéraires mêlant textes et dessins sont censés aider le défunt à surmonter les épreuves et à atteindre une vie bienheureuse dans l’au-delà. C’est la raison pour laquelle ils sont constitués de dizaines de formules magiques, qui peuvent être soit des formules d'incantations prononcées par les prêtres ritualistes, soit les réponses que le défunt est censé apporter au cours du voyage vers l'au-delà et de la pesée des âmes.

Numérotées par l'égyptologue allemand Lepsius au milieu du 19e siècle, les formules varieent entre 150 et 196 selon les époques, mais elles ne sont jamais toutes présentes dans les papyrus. Quatre grands ensembles sont identifiables :

  1. L'introduction, qui évoque l'arrivée du défunt dans l'Au-delà et sa volonté de retrouver une liberté de mouvement ;
  2. Le défunt s'équipe, retrouve ses sens et sa personnalité (son nom, son cœur) ;
  3. Voyageant sur la barque solaire, le défunt connaît une transfiguration qui lui permet de sortir au jour et revenir sur terre profiter du culte des vivants qui lui  assure sa survie dans l’Au-delà le séjour dans les champs paradisiaques des souchets. Il parvient enfin au tribunal où il est acquitté et devient un Osiris (chapitre 125) ;
  4. Enfin, les dernières formules identifient le défunt à Rê et lui garantissent la liberté d'aller et de venir.

Des images accompagnent souvent ce texte funéraire, représentant le défunt dans son voyage vers l'au-delà ou différents traits de la mythologie et du panthéon égyptien. Elles permettent de donner au texte plus de présence et de puissance. La scène de la pesée de l'âme est ainsi très souvent figurée.

Démarches possibles

  • L'étude entière du manuscrit est envisageable avec des élèves de bon niveau dans le cadre d'un travail en groupes suivi d'une mutualisation. Vous trouverez ci-dessous un jeu de fiches

Elle peut se présenter sous la forme d'une tâche complexe ainsi formulée : Vous êtes une équipe d’archéologues, vous avez découvert ces papyri à proximité d’une momie. Comme Champollion face à de nouvelles sources, vous tentez de comprendre la signification de ces représentations. Pour cela, vous pouvez vous appuyer sur vos connaissances des Enfers dans le monde grec et sur les indices fournis.

Ce travail nécessite un accès à Internet afin de permettre aux élèves de consulter l'œuvre et d'effectuer des recherches complémentaires. Il peut aboutir à une comparaison entre conceptions grecque et égyptienne de l'Au-delà.

  • Plus modestement, il est aussi possible de se concentrer sur les scènes principales du document ou sur la première partie du papyrus. Après une présentation de l'ensemble, l'élève est invité à repérer quelques éléments signficatifs : la coexistence entre texte et images, la répétition des représentations de la défunte, les différentes divinités (Osiris, Thot, Anubis, Nout et Geb, Hathor) avec lesquelles elle interagit et les éléments symboliques comme l'œil oudjât, associé au dieu-faucon Horus. Cela permet de comprendre l'idée de voyage dans l'Au-delà. Ensuite, l'étude de quelques scènes choisies permet d'approfondir la compréhension de la vision égyptienne du monde des défunts, notamment celle du tribunal divin.

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