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Jean-Baptiste Lully

1632 - 1687
Atelier de Jean Berain, Atys, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, créée en 1676
Atelier de Jean Berain, Atys, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, créée en 1676

Bibliothèque nationale de France

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Qu’il s’agisse de musique sacrée, profane, instrumentale ou vocale, Lully est celui qui a forgé les formes qui, un siècle durant, ont incarné l’essence de la musique française. Pour répondre à l’évolution du goût de Louis XIV, il s’est successivement illustré dans le ballet, la comédie-ballet et enfin la tragédie en musique. La publication systématique de ses opéras lui a assuré une diffusion européenne jusqu’alors inconnue pour un compositeur. Quant à sa réussite sociale, elle a été si brillante qu’aujourd’hui sa descendance ne compte que ducs et duchesses, princesses et princes, comtes et comtesses…

Une enfance italienne

Giovanni Battista Lulli naît en 1632 à Florence, dans le quartier d’Ognissanti. Seul enfant survivant d’une famille de meuniers jouissant d’une certaine aisance, il reçoit, selon toute vraisemblance, une éducation soignée. C’est un moine franciscain qui lui aurait donné sa première formation musicale. À l’âge de treize ans, il quitte l’Italie pour n’y jamais revenir.

Frans Hogenberg, Florentia [Vue de Florence], 1645
Frans Hogenberg, Florentia [Vue de Florence], 1645 |

Bibliothèque nationale de France

Au service de la Grande Mademoiselle

Israël Silvestre, Vue et perspective des Tuileries, et de la Grande Écurie, 1650-1655
Israël Silvestre, Vue et perspective des Tuileries, et de la Grande Écurie, 1650-1655 |

Bibliothèque nationale de France

Arrivé à Paris au printemps 1646, il entre au service d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, cousine de Louis XIV : souhaitant approfondir sa connaissance de l’italien, la duchesse avait sollicité de son oncle Roger de Lorraine, chevalier de Guise, qu’il lui ramenât d’Italie un jeune garçon qui pût lui faire la conversation. Sans doute Lulli fut-il choisi pour la vivacité de son esprit et la pureté de son accent toscan, mais peut-être aussi pour ses talents de comédien et de violoniste. Aux Tuileries, Lulli sert en effet une princesse jeune, riche et cultivée, qui pratique le chant et la danse. Lui sert-il aussi de marmiton comme le prétend la rumeur ? C’est peu vraisemblable, mais cela lui vaudra, aux 19e et 20e siècles, d’être proposé aux enfants, comme un modèle de réussite résultant d’une vocation irrépressible alliée à un travail opiniâtre. Les conditions dans lesquelles Lulli a poursuivi en France sa formation de musicien et de danseur demeurent hypothétiques : Lully sera, jusqu’au bout, un autodidacte s’attachant pour « secrétaires » des compositeurs aguerris, comme Jean-François Lallouette ou Pascal Collasse.

Les premiers pas d’un danseur

Costume de Sosie porté par Lully dans le Ballet royal de la nuit
Costume de Sosie porté par Lully dans le Ballet royal de la nuit |

© Bibliothèque de l’Institut de France

C’est pour la Grande Mademoiselle que celui que l’on appelle désormais Baptiste, compose avec le chanteur Jean Du Moutier la musique de la Mascarade de la foire Saint-Germain, donnée aux Tuileries en mars 1652. Il y danse le rôle d’un « crieur de Ratons » – soit de tarte au fromage –, ce qui confirme son talent pour le « crotesque ».
Exilé après la Fronde avec sa protectrice en son château de Saint-Fargeau, Baptiste sollicite son congé, ce qu’elle accorde à son « grand baladin ».
En février 1653, il danse dans le Ballet royal de la nuit : il lui revient de tenir le rôle de Sosie dans une « comédie muette d’Amphitryon » inspirée d’une pièce de Plaute à laquelle Molière puisera à son tour en 1668. Baptiste y confirme ses talents de danseur, mais aussi d’acteur comique.

Les petits violons de Lulli donnant une aubade à Carnot 
Les petits violons de Lulli donnant une aubade à Carnot  |

Bibliothèque nationale de France

Louis XIV l’engage comme compositeur de sa musique instrumentale avant de danser à ses côtés dans nombre de ballets, le divertissement par excellence de la cour de France. Danseur et parfois chorégraphe, Baptiste se voit chargé, dès 1654, de composer la musique des airs à danser du Ballet des plaisirs, puis, l’année suivante, de récits vocaux, notamment en italien, pour le Grand ballet des bienvenus. En 1656, il compose seul la musique de La galanterie du temps, jouée par la « bande des petits violons » que Baptiste préfère aux prestigieux « Vingt-quatre violons du roi » : à la tête de cet ensemble, il parvient à une précision et une homogénéité dans le jeu inconnues jusque-là. Ce talent lui vaudra l’admiration de toute l’Europe et nombre de musiciens viendront à Paris se former sous sa direction. Lully composera, seul ou en collaboration, la musique de près d’une trentaine de ballets.

Une faveur éclatante

Partition des Motets à deux chœurs pour la chapelle du roi, mis en musique par monsieur de Lully, 1684
Partition des Motets à deux chœurs pour la chapelle du roi, mis en musique par monsieur de Lully, 1684 |

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Pour fêter le mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse, Mazarin fait appel au compositeur vénitien Francesco Cavalli (1602-1676), initiateur à Venise du premier théâtre lyrique public et dont les opéras étaient si réputés que son Egisto avait été représenté à Paris dès 1646. C’est Lully qui est chargé d’insérer dans ses opéras Xerse (1660) et Ercole amante (1662) les divertissements chorégraphiques pour lesquels la supériorité française est désormais reconnue par-delà les frontières.
Dès la mort du cardinal, le roi manifeste sa préférence pour la musique de celui qui sera désormais « Monsieur de Lully » : il lui confie la surintendance de la musique de la Chambre, lui octroie la nationalité française et signe à son mariage. Le roi se montre également très sensible à ses compositions religieuses : les premiers grands motets qu’il fait entendre au Louvre frappent la cour par leur puissance dramatique inouïe résultant de contrastes entre dispositifs vocaux et instrumentaux diversifiés.
Cependant, en ce temps où la sodomie conduit au bûcher, sa bisexualité tapageuse lui vaut des attaques ad hominem particulièrement violentes, notamment de Jean de La Fontaine dans Le Florentin. Rumeurs et procès concourront à la disgrâce relative du compositeur auprès du roi, à partir de 1686.

Molière et l’invention d’un théâtre musical

Les Plaisirs de l’île enchantée, première journée : Le défilé des quatre Saisons, 1664
Les Plaisirs de l’île enchantée, première journée : Le défilé des quatre Saisons, 1664 |

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L’expérience acquise dans les ballets comme sa faveur auprès du roi faisaient de Lully le partenaire idéal pour Molière alors en quête d’une forme de spectacle mêlant déclamation et ballet, spectacle par nature prestigieux et par-là susceptible de plaire au monarque.
Dès 1661, dans Les fâcheux, « comédie » dont le danseur et chorégraphe Pierre Beauchamp compose la partition, Molière évoque « Baptiste le très cher » comme expert en art de la danse. Au carnaval de 1664, les « deux Baptiste » régalent le roi d’un premier « ballet » : Le mariage forcé. Forts de leur expérience, doués tous deux d’une vis comica peu commune, Molière et Lully, son cadet de dix ans, seront désormais les fournisseurs privilégiés des divertissements royaux. Leur recherche d’une intégration toujours plus intime de la musique et de la danse à la dramaturgie se traduit par des recherches formelles sans cesse renouvelées. Celles-ci trouvent en 1670 leur accomplissement le plus virtuose dans la « comédie-ballet » Le bourgeois gentilhomme, créée à Chambord : Lully et Molière y révèlent, en marge de l’intrigue amoureuse, les diverses phases d’élaboration d’un spectacle et démontrent en crescendo les potentialités dramatiques de la musique chantée et dansée.
Les deux Baptiste allieront leurs talents à onze reprises. Cette collaboration privilégiée n’empêche cependant pas Lully de fournir également de la musique lors d’une reprise à Fontainebleau de l’Œdipe de Pierre Corneille ou de collaborer avec Madame de Villedieu et Montfleury.

La pomme de discorde de l’opéra

Jean-Baptiste Lully, Psyché. Tragédie et ballet. Dansé devant sa Majesté au mois de janvier 1670 [sic], 1690
Jean-Baptiste Lully, Psyché. Tragédie et ballet. Dansé devant sa Majesté au mois de janvier 1670 [sic], 1690 |

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En 1669, Louis XIV accorde au librettiste Pierre Perrin le privilège d’une Académie d’opéra. Le succès remporté par son premier spectacle Pomone, dont Robert Cambert avait écrit la musique, ne peut manquer d’inquiéter les deux Baptiste. S’ils avaient déjà élaboré des pastorales entièrement chantées, celles-ci s’intégraient dans une comédie où la déclamation tenait un rôle essentiel, comme dans le Grand divertissement de Versailles (1668) ou Les amants magnifiques (1670). En 1671, les deux Baptiste – aidés par Pierre Corneille pour la versification et Philippe Quinault pour les vers chantés – élaborent avec Psyché (1671) une « tragédie » mêlée de danse et de chant. À l’exception des dialogues parlés, l’œuvre peut être considérée comme le prototype de la future tragédie en musique.
Si, arrivé à ce stade de sa carrière, Molière refuse de franchir le cap d’une œuvre entièrement chantée, Lully sait que l’opéra est désormais le seul spectacle susceptible de répondre aux attentes nouvelles de Louis XIV et de Colbert.

La tragédie en musique

D’après Jean Berain, décor pour Cadmus et Hermione, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, créée en 1673
D’après Jean Berain, décor pour Cadmus et Hermione, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, créée en 1673 |

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Jean Bérain, Maquette originale du costume du fleuve Sangar dans Atys, 1676
Jean Bérain, Maquette originale du costume du fleuve Sangar dans Atys, 1676 |

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Le 16 mars 1672, avec l’accord du roi, Lully reprend le privilège de ce qui sera, jusqu’à la Révolution, l’Académie royale de musique, ancêtre direct de l’Opéra de Paris. Au vu des lourdes contraintes financières pesant sur ses épaules, Lully se doit de protéger ses intérêts et dès lors, à coup d’ordonnances, de limiter la concurrence des autres spectacles musicaux. Toujours bien en cour, Molière obtient une dérogation qui lui permet d’entamer une nouvelle collaboration avec Marc-Antoine Charpentier. À la mort de Molière, le roi accordera la jouissance de sa salle du Palais-Royal à l’Académie royale de musique.
Après Les fêtes de l’Amour et de Bacchus, une pastorale composée de fragments des comédies-ballets écrites avec Molière, Lully donne en 1673 Cadmus et Hermione, sa première « tragédie en musique » : avec Quinault, son librettiste, il fixe d’emblée le modèle de l’esthétique lyrique française. Les livrets, directement liés à la célébration du monarque, doivent être soumis à l’approbation de la « Petite Académie », instance chargée du mécénat royal.

Un spectacle royal

Charles De Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d'Armide, vers 1760
Charles De Wailly et Louis Félix de La Rue, Décoration du Palais d'Armide, vers 1760 |

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Louis Desplaces, Destruction du palais d’Armide, 1725
Louis Desplaces, Destruction du palais d’Armide, 1725 |

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Composée de cinq actes précédés d’un prologue à la gloire du roi, la tragédie en musique propose une action amplement développée, prise en charge par un récitatif rapide et compréhensible, proche de la déclamation dramatique, et ponctué d’airs très brefs. Chaque acte comprend un divertissement où se concentrent les dimensions purement musicales et chorégraphiques.
Le rôle de Lully ne se borne pas à l’écriture de la partition, mais s’étend à la mise au point méticuleuse de l’ensemble du spectacle. Conçue en effet à la mesure du « plus grand roi du monde », la tragédie en musique se veut une œuvre d’art total(e) par l’abondance et la variété des décors, des costumes et des machineries.
Au rythme d’environ une production annuelle, Lully fera représenter treize tragédies en musique.

Une mort en semi-disgrâce

Désormais tourné vers la dévotion, Louis XIV n’assiste pas à la création d’Armide en 1686, au grand dam de Lully. C’est à l’attention du Grand Dauphin que celui-ci est chargé de composer son ultime opéra achevé Acis et Galatée, une pastorale héroïque, sur un livret de Campistron. Lully meurt en 1687, d’une gangrène consécutive à un accident survenu alors qu’il dirigeait son Te Deum, en action de grâce pour la guérison du roi.

D’après Paul Mignard, Jean-Baptiste Lully secretaire du Roy et sur-intendan[t d]e sa musique, vers 1683-1699
D’après Paul Mignard, Jean-Baptiste Lully secretaire du Roy et sur-intendan[t d]e sa musique, vers 1683-1699 |

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Anonyme, Tombeau de Lully dans l’église Notre-Dame-des-Victoires à Paris, vers 1687
Anonyme, Tombeau de Lully dans l’église Notre-Dame-des-Victoires à Paris, vers 1687 |

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De l’éclipse…

Après la mort de Lully, sa musique continue d’être abondamment jouée en Europe, mais dès la première moitié du 18e siècle, son étoile commence à pâlir. Jean-Philippe Rameau, tout en se conformant au modèle fixé par le Florentin, le fait en réalité éclater par la puissance de son invention rythmique ou harmonique.

Enregistrement de l’air « Bois épais », tiré d’Amadis de Lully, par Reynaldo Hahn
Enregistrement de l’air « Bois épais », tiré d’Amadis de Lully, par Reynaldo Hahn |

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Les livrets de Quinault que Lully avait musiqués sont toujours des modèles, mais sont désormais donnés avec les nouvelles partitions qu’ils ont inspirées à Gluck (Armide, 1777) ou Piccinni (Roland, 1777 ; Atys, 1779). Durant tout le 19e siècle, Lully sera rangé parmi les « vieilles barbes ».
Il faut attendre le sursaut nationaliste consécutif à la défaite de Sedan pour que se dessine un regain d’intérêt. Théodore de Lajarte entame en 1880 la réédition d’une dizaine de partitions de Lully. L’année 1906 voit fleurir les études toujours fondamentales de Lionel de La Laurencie, Jules Écorcheville ou Henry Prunières. On édite Lully, on l’étudie, mais on ne le joue guère, malgré les efforts d’un Reynaldo Hahn.
 
> écouter Reynaldo Hahn

… à la renaissance

Il faudra néanmoins attendre la seconde moitié du 20e siècle pour qu’auditeurs et auditrices puissent entendre des œuvres entières : en 1975, Alceste est la première des tragédies en musique à bénéficier d’un enregistrement intégral dirigé par Jean-Claude Malgoire. Deux ans plus tard, Gustav Leonhardt grave la musique de scène du Bourgeois gentilhomme. C’est dans la voie ouverte par ces exceptionnels pionniers, que s’inscriront deux réalisations décisives : la célébration du tricentenaire de la mort de Lully en 1987 est l’occasion pour Marc Minkowski de diriger son tout premier CD, consacré aux comédies-ballets de Lully et Molière, et, pour le tandem William Christie et Jean-Marie Villégier, de remettre en scène Atys avec un succès triomphal qui fait date dans l’histoire de l’opéra français.

Atys, mise en scène de Jean-Marie Villégier, direction musicale de William Christie, Opéra national de Paris-Salle Favart, 1987
Atys, mise en scène de Jean-Marie Villégier, direction musicale de William Christie, Opéra national de Paris-Salle Favart, 1987 |

Photo Arts florissants © Michel Szabo

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière en musiques, présentée à la bibliothèque-musée de l’Opéra du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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