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Hugo contre la peine de mort
 

Peine de mort jugée par Victor Hugo et Lamartine
Peine de mort jugée par Victor Hugo et Lamartine

Bibliothèque nationale de France

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Témoin, dès son enfance, d'exécutions et de supplices en Espagne comme en France, Victor Hugo met très vite son indignation au service d'une dénonciation publique de la peine capitale.

Le parcours qui fut le sien, de l'émotion à la mobilisation, c'est aussi celui qu'il propose à ses lecteurs, aux auditeurs de ses discours.

Le public, majoritairement indifférent ou favorable à l'application de la peine de mort, doit être gagné par des arguments convaincants ; mais il faut d'abord toucher ses sentiments et sa sensibilité. Mais Hugo l'invite aussi à analyser, à comprendre le phénomène qu'il condamne.

Émouvoir, faire réfléchir, faire agir : trois objectifs qui se combinent dans les écrits de Victor Hugo sur la peine de mort, qu'il s'agisse d'œuvres de fiction, d'essais politiques ou de discours militants.

Les arguments des défenseurs de la peine de mort 

Un juge mécontent
Un juge mécontent |

© PMVP

À travers les époques, des spécialistes du droit, des hommes politiques, des philosophes, mais aussi les gens ordinaires qui constituent ce qu'on appelle « l'opinion publique » d'un pays, ont pris le parti de la peine de mort.

Exprimés dans des contextes différents et sous des formes différentes, les arguments avancés par les partisans de la peine capitale restent presque identiques depuis les origines de nos sociétés. Jusqu'à aujourd'hui, pour défendre le principe de la peine de mort, on s'appuie généralement sur trois arguments majeurs :

La société doit se défendre contre ceux qui la menacent

Pour survivre, une société doit se défendre contre le désordre et faire respecter ses lois.

Lorsque l'un de ses membres les enfreint, il est dangereux non seulement pour les personnes qu'il pourrait agresser, mais surtout pour la société dans son ensemble. L'État devrait donc veiller à ce que la justice empêche le fautif de semer le trouble, voire de commettre d'autres crimes.

Pétition pour l’abolition de la peine de mort
Pétition pour l’abolition de la peine de mort |

© Bibliothèque nationale de France

Le juste milieu Entre la guillotine et la Liberté
Le juste milieu Entre la guillotine et la Liberté |

Bibliothèque nationale de France

La façon la plus efficace de le faire serait d'éliminer physiquement les coupables des crimes les plus graves, dont la liste varie beaucoup : meurtre, viol, vol, mais aussi, selon certains, toute atteinte aux représentants de l'ordre (policiers, gouvernants...), ou encore désobéissance des soldats, espionnage, tentative de coup d'État.

Si l'on supprimait la peine de mort, la société paraîtrait faible et vulnérable. La criminalité augmenterait gravement. Des criminels venus de pays plus sévères pourraient même affluer dans le pays, sachant qu'ils ne risqueraient pas de mourir s'ils étaient arrêtés.

 Seule la mort du coupable peut réparer le crime

Les Erreurs de la guillotine par E. Cadol.
Les Erreurs de la guillotine par E. Cadol. |

Bibliothèque nationale de France

Le meurtre d'un homme est un crime si grave qu'il ne saurait trouver de réponse appropriée que dans la mort du coupable. En l'éliminant, la société satisferait le légitime désir de vengeance des proches de la victime, surtout dans le cas de crimes particulièrement révoltants. Les parents d'un enfant violé et assassiné, par exemple, ne pourraient trouver d'apaisement qu'en ayant la certitude que la justice tuera le meurtrier. 

En prononçant et en organisant une exécution judiciaire, la justice apporterait en tout cas une grande consolation aux familles des victimes. C'est pour cette raison qu'à l'heure actuelle, dans certains pays (notamment une partie des États-Unis), les familles des victimes sont invitées à assister aux exécutions.

Seul l'exemple des criminels exécutés peut dissuader de commettre des crimes

L'exemple des exécutions serait une arme efficace contre le crime. Ce spectacle, tout en rassurant les gens honnêtes sur la force de la société, ferait hésiter les criminels au moment de passer à l'acte.

Même s'ils ne respectent pas la vie des autres, les meurtriers auraient peur d'être eux-mêmes tués une fois entre les mains de la justice. Impressionnés par ce terrible spectacle, l'ensemble des citoyens serait poussé à respecter l'ordre, sinon par conviction, du moins par peur. 

Les réponses de Victor Hugo 

Ces arguments en faveur de la peine de mort, Victor Hugo les connaît bien. Il les lit dans des ouvrages, des brochures, des journaux ; il les entend dans toutes les assemblées législatives où il siège au gré de la succession des régimes politiques ; ils le suivent dans son exil à Guernesey lors de l'affaire Tapner ; ils resurgissent à l'encontre de chaque condamné qu'il tente de sauver de la potence, de la guillotine, du peloton d'exécution.

Inlassablement, il s'indigne de voir perdurer ces mêmes idées, et déploie contre elles une logique implacable et une éloquence qui ne laissent pas indifférent.

La tête coupée
La tête coupée |

Bibliothèque nationale de France

La tête coupée
La tête coupée |

Bibliothèque nationale de France

La peine de mort est inefficace

La révolution de 1848 instaure en France la Deuxième République. Victor Hugo, élu député à la nouvelle Assemblée constituante, cherche à faire voter l'abolition de la peine de mort. Dans un discours qu'il n'aura finalement pas l'occasion de prononcer, il réfute un à un les arguments des partisans (majoritaires) du maintien de la peine capitale dans la nouvelle Constitution.

Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l'exemple. Pourquoi ? pour ce qu'il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu'il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer ? en tuant.

Discours du 15 septembre 1848 à l'Assemblée constituante

Pour lui, la mort n’est pas nécessaire pour la société, puisque la prison suffit à retrancher un criminel qui la menacerait : « Pas de bourreau où le geôlier suffit ». Répondre à un meurtre par une exécution, ce n'est pas réparer un crime mais ajouter le sang au sang : « ce qui est crime pour l’individu est crime pour la société ». Pour lutter contre la violence qui la menace, la société devrait se placer au-dessus des règles de la vengeance primitive.

Mais, reprend-on, il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer.

Préface du Dernier Jour d'un condamné, 1832

Contre la « loi du talion »

Un mot sur Georges Brown
Un mot sur Georges Brown |

Bibliothèque nationale de France

Hugo, sans être pratiquant, est attaché aux valeurs chrétiennes. Pour lui, l'État devrait donner l'exemple de la charité, du respect de la vie humaine comme don de Dieu.

En 1851, son fils Charles comparaît en cour d’assises pour « outrage aux lois » : rédacteur du journal L'Événement, il a fait paraître un article protestant contre une exécution. Victor Hugo plaide lui-même pour sa défense, et choisit de s'attaquer au principe même de la peine capitale.  Il s’appuie alors sur la Bible, citant le commandement « Tu ne tueras pas » et opposant la figure du Christ, « victime de la peine de mort », à la loi du talion.

Le plaisir ambigu de la mort

Une exécution ne fait pas seulement naître le rejet ou le dégoût, elle provoque chez nombre de spectateurs un plaisir ambigu et inavouable. Dans Han d’Islande, en adoptant le point de vue du spectateur fasciné par la décapitation, Hugo nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport à la mort et à la violence.

Il y a au fond des hommes un sentiment étrange qui les pousse, ainsi qu'à des plaisirs, au spectacle des supplices.

Han d’Islande, 1823
"Ecce"
"Ecce" |

© RMN, cliché Michèle Bellot

La guillotine
La guillotine |

Bibliothèque nationale de France

Le symptôme d'une société malade

Claude Gueux
Claude Gueux |

Bibliothèque nationale de France

Pour Victor Hugo, agir contre la peine capitale, ce n'est pas seulement éviter la mort de tel ou tel condamné, alerter l'opinion, réclamer une justice plus humaine. C'est aussi et surtout lutter autrement contre le crime, comprendre les raisons de ce mal qui ronge la société.

C'est dans cet esprit qu'il écrit, à partir d'un fait divers authentique, l'histoire de Claude Gueux. Cet homme au nom évocateur est poussé au vol par la misère. En prison, il assassine un directeur d'atelier tyrannique ; condamné à mort, il est exécuté en 1831. Pour Hugo, sa destinée est le symbole de l'échec de la société. Si le voleur ou le meurtrier sont coupables, la société doit aussi porter sa part de responsabilité.

Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite, qu'il finit par voler : la société le met dans une prison si mal faite, qu'il finit par tuer.
Qui est réellement coupable ? Est-ce lui ?
Est-ce nous ?

Claude Gueux, 1834

Pour Hugo, la société doit donc s’employer, pour réduire le crime, à lutter contre la misère. Pour cela, il est nécessaire de développer l’éducation, de favoriser les sentiments religieux et de garantir à tous un travail qui offre un revenu suffisant.

Cette tête de l'homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n'aurez pas besoin de la couper.

Claude Gueux, 1834

Effacer du monde le "signe spécial et éternel de la barbarie" 

Pour Hugo, l'Histoire est un combat toujours renaissant entre la civilisation et la barbarie. Le progrès, idée centrale au 19e siècle, consiste pour lui à faire régner, dans tous les domaines, plus de raison, plus de culture, plus d'humanité. Soutenir ou accepter la peine de mort, c'est toujours choisir le passé et la peur plutôt que l'avenir et l'espoir.

Civilisation et barbarie

La France, pays des Lumières et de la Révolution, devrait être, pour Hugo, le modèle des nations civilisées. C'est pourquoi la peine de mort, trace inacceptable de la violence des temps anciens, y est selon lui plus odieuse qu'ailleurs.

La peine, de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare la civilisation règne.

Discours du 15 septembre 1848 à l'Assemblée constituante

Le maître mot de la civilisation, selon Hugo, c'est « l'inviolabilité », c'est-à-dire le respect absolu de la vie humaine. Or, nombreux sont ceux qui jugent que la peine de mort devient légitime dans des cas particuliers, lorsque l'ordre public est menacé, par exemple. Victor Hugo, lui, s'oppose fermement à cette idée : aucune circonstance ne justifie que la justice cède à la violence et à la colère. Il faut juger avec équité et modération même nos pires ennemis.

Cette règle absolue, il tient à la respecter lui-même. Adversaire politique acharné de Napoléon III, qui fait exécuter ses ennemis vaincus, qui l'a contraint lui-même à un long exil, il écrit contre lui des pages d'une rare violence, mais se refuse à souhaiter sa mort.  

Quatrevingt-treize
Quatrevingt-treize |

© Bibliothèque nationale de France

Le Dernier Jour d’un condamné
Le Dernier Jour d’un condamné |

Bibliothèque nationale de France

[…] nous les exilés, nous les victimes, nous abjurons, au jour inévitable et prochain du grand dénouement révolutionnaire, nous abjurons toute volonté, tout sentiment, toute idée de représailles sanglantes !

Discours sur la tombe de l'exilé Jean Bousquet à Jersey

Un combat à l'échelle du monde

Victor Hugo a tenté de sauver la vie de condamnés près de chez lui : sur les barricades de Paris, sur l'île de Guernesey où il résidait en exil... Mais il n'a pas pour autant ménagé ses efforts pour faire progresser l'abolition de la peine de mort dans le monde entier. Les progrès de l'abolition dans le monde occupent une place importante dans ses notes personnelles où il relève exécutions et avancées significatives.

Un mot sur Georges Brown
Audio

Un mot sur George Brown : Hugo contre la peine de mort

Sa correspondance témoigne des liens qu'il entretenait à ce sujet avec des journalistes, des avocats, des hommes politiques de nombreux pays. On y mesure également la large influence que ses écrits et ses discours ont pu avoir, même à l'étranger : à la fin de sa vie, il est devenu l'un des porte-parole les plus reconnus de cette cause dans le monde.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

Lien permanent

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