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Émaux et Camées

Gautier, 1852
Ptolémée VI Philométor adolescent, avec Eros et Cléopâtre II
Ptolémée VI Philométor adolescent, avec Eros et Cléopâtre II

Serge Oboukhoff © BnF-CNRS-MSH Mondes

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Avec le recueil de poésies Emaux et Camées, publié pour la première fois en 1852, Théophile Gautier inaugure la Théorie de l'art pour l'art qu'il avait théorisée dans la « Préface » à Mademoiselle de Maupin. Tissant la métaphore du poète artisan ciselant son oeuvre telle un bijou, il tente de fixer la perfection du monde matériel en une série de poèmes à mètres courts.
Frontispice avec portrait en médaillon de Théophile Gautier
Frontispice avec portrait en médaillon de Théophile Gautier |

Bibliothèque nationale de France

Dès 1840, Théophile Gautier a commencé à travailler sur certaines pièces d’Émaux et camées, qui est son dernier recueil. La première édition, parue en 1852, comprend dix-huit poèmes auxquels le poète fait des ajouts lors des éditions successives jusqu'à l’édition définitive de 1872 qui compte cinquante trois poèmes. À l'exception de la « Préface » et de « La bonne soirée », tous les poèmes sont des quatrains réguliers octosyllabiques.

Charles Baudelaire
Charles Baudelaire |

Bibliothèque nationale de France

Admiré par Baudelaire comme par Zola, ce recueil inaugure la poésie parnassienne dont Gautier sera considéré comme le maître. Il est également emblématique de  « l’art pour l’art ». À l’ouverture du recueil, la « Préface », écrite quatre ans après la Révolution de 1848 et un an après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, proclame l’indifférence du poète face aux événements de son temps et prône l'inutilité de l'art :

« Sans prendre garde à l'ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j'ai fait Emaux et Camées. »

Le coup d’État du 2 décembre 1851
Le coup d’État du 2 décembre 1851 |

© Bibliothèque nationale de France

Dire la matière

L’unité formelle du recueil va de pair avec une grande variété des sujets abordés. Théophile Gautier évoque des souvenirs de voyage (Espagne, Égypte) mais aussi des souvenirs littéraires (« Inès de las Sierras »), il traite des saisons (« Fantaisies d’hiver »), des femmes (« Symphonie en blanc majeur »), de la mort (« Bûchers et tombeaux »).

Emma Calvé, soprano, dans le rôle titre de Carmen
Emma Calvé, soprano, dans le rôle titre de Carmen |

Bibliothèque nationale de France

Les poèmes relèvent également de genres très divers : « Carmen » fait le portrait de l’héroïne de Mérimée, « Le souper des armures » constitue un petit récit, « Étude de main » offre notamment l’étrange description de la main de Lacenaire, un célèbre assassin.

Carmen est maigre  - Un trait de bistre
Cerne son oeil de gitane.
Ses cheveux sont d'un noir sinistre,
Sa peau, le diable la tanna.

>Théophile Gautier, « Carmen », Émaux et Camées, 1852

Les 53 poèmes présentent cependant un point commun : écrits dans le refus des débordements lyriques qui caractérisaient la poésie romantique, ils expriment pleinement la sensibilité visuelle d’un poète épris de la réalité matérielle. Barbey d’Aurevilly remarque que « le titre du livre indique, avec une précision coupante, la préoccupation matérielle de cette imagination objective ». En 1852, un critique de la Revue des Deux Mondes attaque cette poésie qu’il juge « impuissante à trouver le chemin du cœur ».

Jules Barbey d’Aurevilly
Jules Barbey d’Aurevilly |

© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Franck Raux

Tel n’est pas l’avis d’Oscar Wilde, qui imagine, dans Le Portrait de Dorian Gray, son héros lisant les « Variations sur le carnaval de Venise » et fait ce commentaire : « Oh ! les strophes exquises ! On ne saurait les lire sans glisser en pensée sur les canaux verdâtres de la cité rose et perlée, assis dans la noire gondole à proue d’argent, sous les rideaux à traîne. »
 

Le poète ciseleur

Le recueil s’achève par un poème qui joue le rôle d’art poétique en définissant les principes de l’art selon Gautier. « L’art », qui paraît pour la première fois dans L’Artiste en 1857, reprend la forme adoptée par Banville en 1853 dans son odelette justement intitulée « À Théophile Gautier ». Le poème présentait Gautier comme un « maître » qui savait que, au-delà du « Rêve » et de l’ « Idée », la poésie exige « un bon ouvrier », qui saura consacrer ses efforts au travail de la forme :

« Quand sa chasse est finie,
Le poëte oiseleur
Manie
L’outil du ciseleur. »

Broche figurant une plume
Broche figurant une plume |

© Étude Laurent Bernard

Théodore de Banville (1823-1891)
Théodore de Banville (1823-1891) |

Bibliothèque nationale de France

Quatre ans plus tard, le poème de Gautier continue le dialogue et surenchérit sur Banville :

« Oui, l’œuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail. »


Ce dernier vers fait écho au titre du recueil : l’écriture poétique exige la même discipline rigoureuse, le même effort que le travail de la pierre fine (pour les camées) et celui du métal (pour les émaux). Seul cet exigeant travail de la matière poétique, le langage, pourra produire des poèmes aussi beaux que ces objets précieux.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017)

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