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L’École des femmes

Comédie représentée le 26 décembre 1662 au Théâtre du Palais-Royal par la Troupe de Monsieur frère unique du roi 
L’École des femmes, frontispice de François Chauveau
L’École des femmes, frontispice de François Chauveau

Bibliothèque nationale de France

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Créée le lendemain de Noël 1662, la comédie de L’École des femmes a véritablement sidéré le public parisien qui se pressait en nombre dans la salle du Palais-Royal, sise immédiatement en face du Louvre. Molière y présentait pour la première fois un spectacle exploitant le potentiel du scandale.

Une pièce choquante

L'École des femmes, de Molière
L'École des femmes, de Molière |

© Photo Brigitte Enguérand / Bibliothèque nationale de France

Certes on savait que le comédien vedette et chef de la troupe de Monsieur (frère du roi), qui avait donné durant les deux années précédentes une série de petites pièces remarquées pour leur renouvellement des pratiques humoristiques au théâtre (Les Précieuses ridicules, Le Cocu imaginaire, Les Fâcheux, L’École des maris) ne reculait pas devant les propositions audacieuses. Mais cette fois Molière semblait avoir dépassé les bornes. La nouvelle comédie, en s’étendant sur cinq actes versifiés, s’érigeait certes au rang d’une œuvre digne de la considération des doctes et des honnêtes gens. Mais en même temps, elle recourait abondamment à des procédés comiques jugés indignes, tels que les lazzi (jeux de scènes d’un comique outrancier fondés sur le rythme et la gestuelle) et le jeu d’acteur grimacier dans lequel se complaisait Molière lui-même, titulaire du rôle principal, y compris dans des scènes pathétiques.
Et surtout elle se révélait saturée de plaisanteries grivoises : des histoires de « corbillon » (panier dont la forme rappelle le sexe féminin) où on met des « tartes à la crème », un « petit chat » (ou une petite chatte) qui est passé de vie à trépas, des élucubrations sur l’endroit par où « se font les enfants ». Une jeune fille qui découvre l’amour et qui décrit les sensations corporelles que cela lui procure. Un vieux mâle graveleux, qui se tord de rire à l’évocation des histoires de coucheries qu’il entend raconter et qu’il consigne sur ses « tablettes ». Le titre même ne laissait pas d’équivoque : après L’École des maris (qui plaidait pour la mansuétude masculine envers la liberté sexuelle des femmes), L’École des femmes, qui prétendait révéler les dessous de l’initiation féminine à l’amour.

Vignette Ecole des femmes, Jouvet
Audio

Louis Jouvet et Dominique Blanchar, enregistrement public Live at Colonial Theatre, Boston, Massasuchetts, 16 mars 1951
BnF collection sonore, BnF-Partenariats / Believe digital, issu des collections du Dept Son, video, multimedia

Féministe avant l’heure

Arnolphe et Agnès dans L’École des femmes
Arnolphe et Agnès dans L’École des femmes |

Bibliothèque nationale de France

S’affirmait ainsi un parti pris sans équivoque, pour le plus grand plaisir d’un public où la composante féminine jouait un rôle essentiel. Matière à scandale là aussi : L’École des femmes fait passer le message que la femme a droit au libre choix de sa vie amoureuse, et que c’est en reprenant le contrôle de sa vie sexuelle qu’elle parvient à son plein épanouissement. Autrement dit un discours en parfaite rupture avec la culture patriarcale qui dominait la société du Grand Siècle dans son ensemble, à l’exception des milieux qui constituent le public cible de Molière.
Des spectateurs ravis, par conséquent, d’assister à l’échec piteux des entreprises du dénommé Arnolphe (nom de cocu prédestiné), qui n’a rien trouvé de mieux, pour s’assurer de la possession absolue de l’épouse qu’il se destine, de la choisir dès la plus tendre enfance et de la maintenir, au sein d’un couvent, dans l’ignorance la plus complète. Mais en ce bas monde, l’amour finit toujours par triompher et Agnès, sitôt éprise d’un jeune blondin, s’éveille à l’intelligence et déjoue toutes les menées de son mentor et futur mari. La démonstration est émaillée de discours flatteurs sur le sentiment amoureux, qui font écho au questionnement qui avait cours dans ces lieux d’échange intellectuel qu’étaient les salons et qui se traduisent parfois par la formulation de maximes (ainsi « l’amour est un grand maître. / Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être », v. 900-901).

Audio

L'École des femmes, de Molière, acte II, scène 5  (scène complète)

Scandale et buzz

Portrait de femme (Madame de Montespan ?)
Portrait de femme (Madame de Montespan ?) |

Bibliothèque nationale de France

En reformatant ce vieux sujet espagnol, en lui conférant son plein potentiel par une dramaturgie jouant sur les antagonismes de valeurs et la manipulation émotionnelle, Molière savait qu’il allait susciter une réaction de protestation des milieux attachés à la répartition traditionnelle des rôles entre les deux sexes. La réception de la pièce profita considérablement du scandale qui se produisit sitôt les premières représentations. Mais cela ne suffisait pas pour obtenir le succès énorme que Molière visait (et qu’il obtint). Il enfonça le clou en prétendant répondre, dans une nouvelle pièce intitulée La Critique de L’École des femmes, à une soi-disant polémique qu’auraient déclenchée le spectacle des turpitudes d’Arnolphe et les audaces dramaturgiques de la composition. Cette petite comédie jouée en complément de L’École des femmes donna l’idée à d’autres auteurs de profiter de l’occasion et mit en branle ainsi toute une « querelle », qui était avant tout une opération publicitaire, analogue à ce que nous appelons de nos jours un buzz.

Philosopher… sur le cocuage

Mais la stupéfaction que produisit L’École des femmes ne se limitait pas à sa dimension provocatrice. La nouvelle pièce de Molière ouvrait également des horizons qui étaient inconnus de la comédie de l’époque. On y découvrait d’amples développements où les personnages, sur le mode des héros de tragédies, confrontent leurs idées sur la manière de vivre honorablement en ce bas monde, ou opposent raisons et principes pour justifier leur action. Les échanges portaient certes sur des matières en apparence dérisoires, voire ridicules, mais celles-ci n’en avaient pas moins le mérite d’être exemplaires de la condition humaine, et donc de faire écho à la vie des spectateurs.  

Guy Michel interprétant le Marquis dans La Critique de l'école des femmes
Guy Michel interprétant le Marquis dans La Critique de l'école des femmes |

© Photo Marée-Breyer / Bibliothèque nationale de France

Le Cocu battu et content
Le Cocu battu et content |

Bibliothèque nationale de France

Ainsi le cocuage que craignait Arnolphe offrait un cas de figure d’adversité, donnant lieu à des prises de position ainsi qu’à des commentaires longuement échangés entre le héros et son fidèle ami Chrysalde. Ce dernier invitait à une attitude d’accommodement et de modération, dans laquelle étaient reconnaissables les principes de la philosophie sceptique. Arnolphe, à l’opposé, dans son acharnement à se prémunir contre les coups de la fortune, apparaissait comme un adepte de l’opiniâtreté des stoïciens. L’exposé virtuose des deux positions antagonistes présentait ainsi sous un jour nouveau et attrayant deux modes de pensée vénérables par leur origine antique. L’École des femmes s’affirmait ainsi comme une œuvre éminemment moderne.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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