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Diversités de la comédie au 17e siècle

Abraham Bosse, Les Comédiens de L'Hôtel de Bourgogne, vers 1633-1634
Abraham Bosse, Les Comédiens de L'Hôtel de Bourgogne, vers 1633-1634

Bibliothèque nationale de France

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Au 17e siècle, la comédie se recrée dans une double dynamique : celle de l’injonction à imiter les auteurs antiques, en tant que modèles de réussite esthétique et morale, et celle des forces modernes d’innovation, d’expérimentation et d’hybridation, visant à faire de la comédie une représentation de ses contemporains, utile et agréable, enjouée, amusante, drôle, ridicule, satirique... bref, diversement comique.

Les modèles et les sources

Jacques Harrewyn, frontispice des Œuvres de Molière, 1694
Jacques Harrewyn, frontispice des Œuvres de Molière, 1694 |

Bibliothèque nationale de France

« Quant aux comédies et tragédies, si les rois et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, je serais bien d’opinion que tu t’y employasses, et si tu le veux faire pour l’ornement de ta langue, tu sais où tu en dois trouver les archétypes »1 c’est-à-dire dans le théâtre antique, conseille Joachim Du Bellay. Pour la comédie, ces « archétypes » sont doubles : les critiques disputent des mérites respectifs d’Aristophane/Plaute, représentant la comédie « bouffonne » grecque et latine, aux éléments farcesques et satiriques, et de Ménandre/Térence, représentant la comédie pour « honnêtes gens », capable d’instruire par la peinture plaisante des caractères et des mœurs. Corneille dit de sa Mélite (créée en 1629) : « On n’avait jamais vu jusque-là que la comédie fît rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. Celle-ci faisait son effet par l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence »2. Et La Fontaine, à la mort de Molière, déplore que  « Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,/ Et cependant le seul Molière y gît ».3

Abraham Bosse, Le Théâtre de Tabarin, entre 1618 et 1620
Abraham Bosse, Le Théâtre de Tabarin, entre 1618 et 1620 |

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En fait, s’ajoutent bien d’autres sources : la farce, dont on n’a perdu ni les recettes ni le goût4, et qui s’immisce jusque dans la comédie de mœurs, le théâtre espagnol (connu par le livre) et italien (présent sur la scène française). Ainsi pour Dom Juan (1665) : Molière n’a peut-être pas connu la comedia de Tirso de Molina (1630), mais il s’est inspiré de scénarios de la commedia dell’arte et des Festin de Pierre de Dorimond et de Villiers5, c’est-à-dire de tragi-comédies.

Innovations et hybridations

Frontispice pour Le Jodelet ou le maître valet de Scarron, d'après Claude Mellan, 1645
Frontispice pour Le Jodelet ou le maître valet de Scarrond'après Claude Mellan, 1645 |

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Contrairement à ce que l’on dit abusivement du théâtre « classique », règne en effet, dans la France littéraire du 17e siècle, un esprit général d’innovation et d’expérimentation, ainsi que de porosité des genres – d’autant que la comédie est moins sous l’emprise des règles théoriques. La tragi-comédie permet toutes sortes de combinaisons entre le comique et le tragique, ou le romanesque, en donnant une large place aux relations amoureuses traversées d’obstacles : on peut mentionner d’un côté le théâtre de Scarron (Le Jodelet ou le maître valet6), davantage tourné vers le burlesque, et de l’autre celui de Rotrou, Thomas Corneille, ou Quinault – sans oublier cette forme d’exception qu’est L’Illusion comique de Corneille7. Dom Juan en est aussi une illustration, et de plus son dénouement relève de l’esthétique du théâtre « à machines » : « Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan, la terre s’ouvre et l’abîme, et il sort de grands feux de l’endroit où il est tombé » (faut-il en avoir de l’effroi ? faut-il en rire ?).

Les ballets de cour burlesques, qui tiennent parfois de la comédie (muette), ont joué un rôle dans l’invention des comédies-ballets. Le genre antique de la satire est présent dans la comédie, comme lorsqu’Éliante s’en prend aux amoureux (Le Misanthrope, 1665), Dorine aux prudes et Cléante aux dévots hypocrites (Le Tartuffe, 1669). Enfin, il arrive à la comédie de s’adonner au pur jeu du langage (La Comédie de proverbes8 ; Cyrano de Bergerac, Le Pédant joué9) Les Plaideurs10 de Racine sont une satire juridique et aussi une entreprise de démolition de l’alexandrin. Les parodies de l’écriture tragique feront florès à la fin du siècle, chez les Comédiens-Italiens, puis au théâtre de la Foire.

Atelier de Daniel Rabel, Grand bal de la douairière de Billebahaut, 1626
Atelier de Daniel Rabel, Grand bal de la douairière de Billebahaut, 1626 |

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François Chauveau, frontispice des Plaideurs de Racine, 1676
François Chauveau, frontispice des Plaideurs de Racine, 1676 |

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Vraisemblance et leçon morale : dire le vrai en riant

Négligeant ces variétés formelles (de la pièce en prose en un acte à la comédie en cinq actes et en vers) et esthétiques, les théoriciens, à la suite d’Aristote dans sa Poétique11, définissent la comédie comme une peinture d’après nature de la vie commune destinée à « représenter [...] tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle » (L’Impromptu de Versailles, 1663), à les « corriger [...] en les divertissant », et à « attaquer par des peintures ridicules les vices [du] siècle » (Le Tartuffe, « Préface ») – de là, le primat de la vraisemblance.

La Comédie de la Devineresse, par Thomas Corneille, 1680
La Comédie de la Devineresse, par Thomas Corneille, 1680 |

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D’un côté, la comédie a pour tâche de peindre les caractères, au sens fixiste, et en quelque sorte intemporel, du terme, mais actualisés : l’avare, l’amoureux ridicule, le misanthrope, l’« imaginaire » (Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires12). De l’autre, elle dépeint les mœurs, qu’elles soient sous le signe d’une certaine invariabilité, tels les états sociaux et leur hiérarchie, les rapports parents/enfants, les travers professionnels, du médecin au voleur (L’Estoile, L’Intrigue des filous13), ou dépendantes de l’air du temps, notamment vers la fin du siècle avec Regnard ou Dancourt (la préciosité, l’amour du jeu, la folie de l’opéra, les travers « à la mode »). Les faits divers (Donneau de Visé et T. Corneille, La Devineresse14) ou l’actualité littéraire y trouvent aussi leur place : La Comédie des Académistes (Saint-Évremond, 163815) raille les tentatives puristes de l’Académie française, la querelle de L’École des femmes (1663-1664) voit se succéder les pièces pour et contre, car il s’agit d’un sujet d’importance : la question de l’éducation des femmes, et de leur accès aux savoirs doctes (Chappuzeau, L’Académie des femmes16). Il arrive même que la comédie aborde des sujets propices au scandale : les galanteries dans leur version libertine (Mairet, Les Galanteries du duc d’Ossonne17), l’homosexualité féminine (Benserade, Iphis et Iante18), les implications politiques de l’hypocrisie de dévotion (Le Tartuffe)...

François Chauveau, Frontispice pour L’Illusion comique de Pierre Corneille, 1660
François Chauveau, Frontispice pour L’Illusion comique de Pierre Corneille, 1660 |

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Le tout sous l’angle du « ridicule », par excès ou manque de conformité à ce qui est jugé « raisonnable » et « moral », le rire étant conçu comme un moyen de correction des conduites déviantes. La comédie trouve ainsi, aux yeux des théoriciens, sa place dans une conception de la littérature comme plaisir justifié par sa vocation morale.
Il n’empêche que la comédie reste un genre quelque peu suspect, sans parler de la générale proscription du théâtre par les dévots. Il règne toujours une certaine ambiguïté dans le rire, un potentiel de transgression sous couvert de légitimation de la norme, une incertitude sur la cible, et le sens, du rire.

Notes

  1. Joachim Du Bellay, La Défense et illustration de la langue française, Paris, A. L’Angelier ; Œuvres complètes, t. I, Paris, Classiques Garnier, 2022.
  2. Le Théâtre de P. Corneille, Rouen/Paris, A. Courbé et G. de Luyne, 1660, 3 vol., vol. 1, p. LIV ; Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980-1987, t. 1.
  3. Autographe, Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, 19 mars 1673.
  4. Voir Charles Mazouer éd., Farces du Grand Siècle, Paris, Le Livre de Poche classique, 1992.
  5. Dorimond, Le Festin de Pierre, ou le fils criminel, tragi-comédie, Lyon, A. Offray, 1659 ; Claude Deschamps, sieur de Villiers, Le Festin de Pierre, ou le fils criminel, tragi-comédie traduite de l’italien en français, Paris, C. de Sercy, 1660.
  6. Le Jodelet ou le maître valet, Paris, T. Quinet, 1645 ; Scarron, Théâtre complet, Genève, Droz, 2013, 2 vol.
  7. L’Illusion comique, Paris, F. Targa, 1639.
  8. La Comédie de proverbes (3e éd.), Rouen, J. Cailloüe, 1656 ; La Comédie de proverbes, Genève, Droz, 2003.
  9. Cyrano de Bergerac, Les Œuvres diverses, Paris, C. de Sercy, 1654.
  10. Les Plaideurs, Paris, C. Barbin, 1669 ; Racine, I. Théâtre-Poésie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999.
  11. Aristote, Poétique, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990.
  12. Paris, J. Camusat, 1639 (2e édition) ; Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, t. II.
  13. Claude de L’Estoile, L’Intrigue des filous, Lyon, C. La Rivière, 1644.
  14. La Devineresse, Paris, C. Blageart, 1680 ; Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, t. III.
  15. Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, t. II
  16. Samuel Chappuzeau, L’Académie des femmes, Paris, A. Courbé, 1661.
  17. Jean Mairet, Les Galanteries du duc d’Ossonne, Paris, P. Rocolet, 1636 ; Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, t. I.
  18. Isaac de Benserade, Iphis et Iante (1637), Vijon, Lampsaque, 2004.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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