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La galanterie

Nicolas Bazin d’après Jean Dieu de Saint-Jean, Femme de qualité en deshabillé reposant sur un lit d'Ange, 1686
Nicolas Bazin d’après Jean Dieu de Saint-Jean, Femme de qualité en deshabillé reposant sur un lit d'Ange, 1686

Bibliothèque nationale de France

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Le 17e siècle voit l’éclosion puis le triomphe de la galanterie, qui entend régir d’un même mouvement les rapports entre les sexes, les comportements mondains et les belles-lettres. Indirectement dérivé du vieux verbe galer, qui signifie « se réjouir », « prendre du bon temps », le terme de galanterie s’impose vers le milieu du siècle pour désigner cet idéal de civilisation qui fait des femmes du monde les arbitres des belles manières et du bon goût : art de plaire, mais aussi de séduire voire de tromper, la galanterie associe étroitement une esthétique raffinée à une éthique plus ambiguë.

Un mouvement littéraire lié à la Modernité

Jean-François Sarasin, Galanterie à une dame à qui on avait donné en raillant le nom de Souris, 1683
Jean-François Sarasin, Galanterie à une dame à qui on avait donné en raillant le nom de Souris, 1683 |

Bibliothèque nationale de France

L’importance de l’esthétique galante est restée très longtemps occultée par l’histoire littéraire : face à un « classicisme » dont on exaltait surtout les valeurs d’ordre, de mesure, de clarté et de grandeur, la supposée « préciosité » incarnait « l’effémination » de la littérature, le jargon et le raffinement excessif au sein de genres jugés mineurs. L’examen des titres, des textes et de leur succès montre au contraire combien la littérature et l’art du « Grand Siècle » sont largement acquis à cette esthétique galante marquée par l’enjouement, la douceur, l’élégance, le naturel.
La conversation fournit à la littérature galante son principal modèle, oral donc : souplesse de l’échange, préférence pour le style moyen et allure de jeu caractérisent ainsi nombre de genres galants comme la lettre, le dialogue ou la poésie légère, dont les maîtres reconnus sont Voiture, Guez de Balzac et Sarasin. Dissimulant la culture antique qu’ils possèdent aussi bien que ces « pédants » qui ennuient les dames, les galants se présentent comme des « auteurs sans autorité ». Revendiquée par les Modernes, attaquée parfois par les Anciens comme Boileau ou La Bruyère, la galanterie est très largement le « goût du siècle » (La Fontaine, Psyché).

L’esthétique officielle du « Siècle de Louis XIV »

Les genres galants ne se limitent pas en effet aux questions d’amour, énigmes, madrigaux et pastiches échangés dans les salons : les comédies de Pierre Corneille, les romans héroïques de Madeleine de Scudéry, les nouvelles de Marie-Catherine de Villedieu, les contes de fées de Charles Perrault et de Marie-Catherine d’Aulnoy sont pénétrés de ce nouvel esprit galant, tandis que les ballets de cour d’Isaac de Benserade, les comédies-ballets de Molière et Lully, les tragédies galantes de Thomas Corneille et de Philippe Quinault, les fêtes galantes orchestrées par le duc de Saint-Aignan à Versailles, les gazettes comme le Mercure galant, l’opéra enfin sont autant de genres nouveaux ou profondément renouvelés, destinés à illustrer la politesse et la splendeur du règne du Roi-Soleil, érigé en galant parfait.

Jacques Lepautre d’après Jean Berain, Salle du bal donné à la cour pendant le carnaval de l’année 1683
Jacques Lepautre d’après Jean Berain, Salle du bal donné à la cour pendant le carnaval de l’année 1683 |

Bibliothèque nationale de France

Transposant dans le passé le tableau qu’elle fait de la cour de Louis XIV, Marie-Madeleine de Fayette ouvre en ces termes sa Princesse de Clèves : « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. Ce prince était galant, bien fait et amoureux […] ».

Un mythe national

Jean Mathieu, Comme un autre Jason... ou Femme à la tête de porc, 1640
Jean Mathieu, Comme un autre Jason... ou Femme à la tête de porc, 1640 |

Bibliothèque nationale de France

La sociabilité mondaine française se distingue, dans l’Europe du temps, par une plus grande mixité : la conversation, âme de la galanterie, ne se conçoit qu’animée par les dames qui, comme Catherine de Rambouillet, tiennent « ruelle », c’est-à-dire reçoivent autour d’un lit d’apparat leurs amis ainsi que les auteurs en vogue. À la faveur d’une fausse étymologie, qui rapproche « galant » de gallus, « gaulois », on en vient à faire de la France la nation galante par excellence. La forte influence politique et culturelle de la France dans l’Europe des 17e et 18e siècles contribue à consolider ce mythe national et à estomper, dans l’imaginaire collectif, l’ambiguïté profonde de la galanterie.

Un triomphe des dames ?

En apparence, la galanterie est un triomphe des dames : se réclamant parfois de la courtoisie médiévale, elle invite les hommes à préférer la séduction à la brutalité. En cela, elle participe au grand mouvement de civilisation des mœurs qui caractérise l’époque moderne. Mais les hommages galants peuvent apparaître aussi comme un voile agréable mais trompeur jeté sur l’oppression, qui demeure bien réelle. La galanterie est une culture de l’amour et du plaisir, avec toutes leurs ambiguïtés : un « galant homme » est poli, un « homme galant » peut être un aimable et dangereux séducteur, mais la double morale condamne les « coquettes » et assimile toujours une « femme galante » à une femme débauchée. Contre les « amants vulgaires », l’idéal du Tendre inventé par Madeleine de Scudéry tente de promouvoir une « belle et honnête galanterie », plus épurée des sens : mais elle est alors taxée de « précieuse ».

Marquis de la Lustinière, Carte du Royaume de Galanterie, 1703
Marquis de la Lustinière, Carte du Royaume de Galanterie, 1703 |

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Une culture ambiguë

Il convient donc de nuancer toute vision idéalisée de la galanterie. Culture de l’élite, la galanterie est une marque de distinction sociale, et comme telle déniée à ceux dont on veut marquer l’infériorité. « L’air galant » est supposé un privilège de la naissance, et ses imitateurs et imitatrices issus de la bourgeoisie et du peuple sont objets de satire : Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme est ainsi un galant ridicule. Et c’est avec la complicité des « galants » qu’on menace des épithètes ridicules de « précieuses » ou de « pédantes » les femmes qui outrepasseraient la place qu’on leur concède au sein de la société comme du champ littéraire : dans L’École des femmes de Molière, il n’est pas prévu d’instruire Agnès autrement que par et pour l’amour.

Jean Lepautre d’après Jean Berain, Boutique de galanterie, 1678
Jean Lepautre d’après Jean Berain, Boutique de galanterie, 1678 |

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Esthétique et éthique majeures jusqu’au milieu du 18e siècle, la galanterie est condamnée par Rousseau, puis par les féministes des 19e et 20e siècles mais pour des raisons différentes et même opposées. Elle est aujourd’hui un « lieu de mémoire » de l’imaginaire national, et comme telle l’objet encore de jugements contrastés.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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