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Le prophétisme dans l’Europe médiévale

Au risque de l’hérésie 
Les prophètes, soutiens de l'Église
Les prophètes, soutiens de l'Église

Bibliothèque nationale de France

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Au Moyen Âge, le christianisme n’est pas une religion monolithique. Il se nourrit de pratiques d’une grande diversité, depuis la dévotion quotidienne et réglée par l’Église jusqu’à des expériences mystiques qui éveillent souvent des soupçons d’hérésie. Les figures des prophètes, antiques ou médiévaux, trouvent des places différentes dans cette riche palette d’attitudes religieuses.

Un prophétisme qui puise à toutes les traditions

Au Moyen Âge, le prophétisme fleurit surtout à partir de l’an mil. Le moine bourguignon Raoul Glaber dénonce dans sa chronique la multiplication des « faux prophètes » à l’approche du millénaire de la Passion du Christ. Au 12e siècle, l’abbesse rhénane Hildegarde de Bingen (morte en 1179), met par écrit et en images ses visions prophétiques, qui s’inspirent de Daniel et de l’Apocalypse.

Les figures de prophètes sont nombreuses dans les textes. L’hagiographie chrétienne, c’est-à-dire l’étude des saints, a porté sur les autels un certain nombre de figures de prophètes bibliques, tel en premier lieu saint Jean Baptiste, le « précurseur » qui annonça l’arrivée du Messie sur les rives du Jourdain. À saint Jean l’Evangéliste fut attribuée l’Apocalypse, qui allait susciter pendant des siècles l’attente angoissée de la Parousie, le retour du Christ à la fin des temps.

Le miracle du rameau d’Aaron ; Auguste et la sibylle de Tibur
 
Le miracle du rameau d’Aaron ; Auguste et la sibylle de Tibur
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Bibliothèque nationale de France

À partir du 13e siècle, la diffusion des « écrits sibyllins » témoigne de l’adaptation au contexte chrétien de l’antique tradition prophétique des sibylles de Cumes ou de Tibur : Michel-Ange leur fera une place dans les lunettes des fenêtres hautes de la chapelle Sixtine.

Merlin dictant ses prophéties à Blaise
Merlin dictant ses prophéties à Blaise |

Bibliothèque nationale de France

À la marge du discours chrétien, une autre figure prophétique vient de la tradition celtique : celle de Merlin le Prophète, dit aussi l’Enchanteur. Il serait né de l’union d’une vierge et d’un démon incube, ce qui expliquerait son don de prédiction ; dès la première moitié du 12e  siècle, Merlin apparaît dans les romans arthuriens comme un précurseur du roi légendaire.

Joachim de Flore, un inspirateur

La personnalité la plus influente de la tradition prophétique médiévale est incontestablement le moine cistercien Joachim de Flore (mort en 1202), auteur de plusieurs écrits où il spécule sur la succession des générations depuis la création du monde et sur l’imminence du Jugement dernier, sans donner pourtant pour celui-ci de date certaine.

Alors, après la fin de ces oppressions, viendra un temps bienheureux, un temps qui sera semblable à la solennité pascale.

Joachim de Flore, L’Explication de l’Apocalypse, 1198-1199

Le sermon de la perdrix
Le sermon de la perdrix |

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Au milieu du siècle, l’éclatement en deux camps irréconciliables de l’ordre franciscain donna un écho considérable aux idées joachimites, réorientées dans un sens critique et politique : les « Spirituels » et « Fraticelles » franciscains furent d’autant plus condamnés comme hérétiques par la papauté qu’ils jouissaient de la bienveillance de l’empereur Frédéric II, ennemi juré du pape. Ils assimilaient le pape romain à la Prostituée de Babylone et appelaient à une repentance collective à l’approche des derniers jours.

Les franciscains dissidents Pierre de Jean Olivi (mort en 1298) ou Jean de Roquetaillade (mort vers 1366) comptent parmi les principales figures du prophétisme d’inspiration joachimite.

Mais cette expérience dramatique a marqué bien d’autres figures, notamment féminines, de la fin du Moyen Âge, à la faveur de l’exil avignonnais de la papauté (1309-1378) puis du Grand Schisme d’Occident (1378-1415). Toutes n'ont pas été bannies par l’Eglise, et certaines furent même portées sur les autels, comme la sainte dominicaine Catherine de Sienne (morte en 1380) et sainte Brigitte de Suède (morte en 1373) dont les Révélations jouèrent un rôle important dans la fin du schisme.

Catherine de Sienne
Catherine de Sienne |

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L'Homme de douleurs apparaissant à sainte Brigitte de Suède
L'Homme de douleurs apparaissant à sainte Brigitte de Suède |

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La Réforme protestante n’a pas mis un terme aux élans prophétiques : lorsque le Révocation de l’édit de Nantes (1685) obligea les pasteurs calvinistes des Cévennes et du Vivarais à s’exiler en Suisse, des jeunes-gens livrés à eux-mêmes, filles et garçons, se mirent à prophétiser dans les montagnes pour insuffler au nom de l’Esprit la résistance au monarque catholique et renforcer la foi des fidèles persécutés.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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