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Colette, « Bijou chéri »

Colette
Colette

© BnF/Henri Manuel/DR

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Grande romancière, membre de l’Académie des Goncourt et prix Nobel de littérature en 1948, Colette (1873-1954) que sa mère Sidonie appelle, dans sa correspondance, « bijou chéri », reçoit tout au long de sa vie, de nombreux bijoux de son entourage. L’étude des nombreuses biographies à son sujet laisse entrevoir le contenu de son écrin personnel. Qui n’a jamais rêvé d’ouvrir la boîte à bijoux d’une aussi grande esthète que Colette ?  

Son premier mari, Henri Gauthier-Villars, qu’elle épouse en 1893, l’introduit dans diverses réunions littéraires. Elle y rencontre Marcel Proust, Robert de Montesquiou, Pierre Louÿs et intègre ainsi le cercle mondain du tout Paris. Francis Claude précise que Léontine Lippmann (1844-1910), égérie d’Anatole France (1844-1924) et tenancière d’un salon très en vogue au cœur de la capitale, lui envoie, alors qu’elle est en convalescence à Belle-Île en juin 1894, une broche en forme de mouche dont le corps est constitué d’une grosse perle et les yeux de deux petits rubis. Sa grande amie, la mécène et protectrice des arts, Winnie de Polignac, lui offre quant à elle, dans les années 1930, un collier de diamants.  

Si Henri, surnommé « Willy », participe à la constitution de son écrin, c’est la marquise de Belbeuf (1863-1944), plus connue sous le nom de « Missy » qui orne Colette de bijoux emblématiques. Les deux femmes se sont rencontrées en 1905, année où l’écrivaine se sépare de son mari infidèle. Lors de l’inauguration du théâtre Réjane, le 14 décembre 1906, Colette se pare d’un collier de chien dans lequel il est inscrit : « j’appartiens à Missy ». Ce bijou atteste ainsi sa relation amoureuse avec l’extravagante aristocrate. En 1909 au célèbre bar place Blanche, tenu par Mme Palmyre, Mathilde de Morny gâte son amante d’un collier d’opales. 

Après avoir vécu plusieurs amours homosexuelles avec des femmes de lettres comme Natalie Clifford-Barney ou encore Lucie Delarue-Mardrus, Colette entretient une brève liaison avec le richissime Auguste-Olympe Hériot (1886-1951). Lors d’une rencontre au Ritz en 1909, il lui offre une bague sertie d’une aigue-marine que la romancière refuse, sous le prétexte que sa main n’est pas faite pour les bijoux. Si Hériot inspire à Colette le personnage de Maxime Dufferrein-Chantel, un jeune industriel bourgeois riche et distingué, dans La Vagabonde, mais surtout celui de Fred Peloux dans Chéri de 1920, l’histoire entre une femme mûre et un jeune homme prend véritablement vie lorsque l’auteure devient la maîtresse du fils de son nouvel époux, Henry de Jouvenel. Cet épisode de la vie de Colette trouve un écho entre les lignes du roman Le Blé en herbe paru en 1923. Le personnage de Phil noue une relation avec une femme plus âgée que lui : une référence à la liaison qui dura cinq ans entre Colette et le jeune Bertrand de Jouvenel, âgé de seize ans. 

Alors qu’elle se résout à quitter Henry de Jouvenel en 1923, Colette rencontre quelques difficultés pécuniaires. Elle se tourne alors auprès d’une personne de confiance : son ancien amant Auguste-Olympe Hériot, chez qui elle met en gage un collier de perles. Cet événement inspire encore une fois l’œuvre littéraire de Colette dans Julie de Carneilhan en 1941. Mais les dettes s’accumulent et l’année suivante, Colette a 18 700 francs de factures à payer pour la restauration de Rozven, son domaine personnel offert par Missy en 1910. Pour s’acquitter de la somme, elle pense à vendre ses émeraudes, mais Germaine Patat vient financièrement à son secours. Son troisième et dernier mari, Maurice Goudeket (1889-1977), écrivain mais aussi négociant en perles et pierres fines, comble également Colette de précieuses cadeaux. Pour son anniversaire, le 28 janvier 1948, c’est un bracelet d’or qui vient compléter son coffre à bijoux  dont elle inventorie le contenu 

Trois améthystes ovales, arrachées à un bracelet Second Empire ; quatre pierres de lune coniques, achetées à une Exposition universelle ; deux opales du Mexique d’un rouge de sirop de grenadine ; un saphir de basse caste, mais aussi gris, aussi bleu qu’une pervenche ; une olivine maussade ; un gros péridot acheté en Italie, fêlé par le milieu, mais sa franche couleur de jus de cresson me réjouit ; une topaze brûlée quasi opaque, pailletée, grosse et ventrue comme un petit crapaud ; les vingt-neuf boules désenfilées d’un collier de calcédoine, bulles bleuâtres d’un ruisseau où l’on battit du linge azuré ; une perle baroque, impossible à vendre ou à porter, agonisante, terreuse, verdie...

Patricia Corbett, Ward et Nico Landrigan, Bijoux de Suzanne Belperron Thames and Hudson, 2016, p.66

Alors que Colette évoque l’innovant joaillier Pierre Sterlé (1905-1978), dont elle est l’une des premières clientes, dans son dernier ouvrage ​​Le Fanal bleu en 1949, elle fait également partie, à l’instar de Nusch Éluard, d’Anna de Noailles, ou encore Louise de Vilmorin en 1938, de la clientèle intellectuelle de Suzanne ​Belperron (1900-1983).  

À le fréquenter, j’avance dans la familiarité d’un luxe qui ne fut jamais le mien. J’apprends des noms. Je manie, froid d’abord puis très vite échauffé, le beau métal jaune fauteur de tant de maux et de guerres. J’ai tenu plus d’une fois, avant sa destinataire, quelque jouet admirable, promis, fiévreusement attendu. Dans le creux de ma main, j’ai enfermé une pierre, toute nue comme une esclave sans maître. À cause de son eau étrange en deçà du rouge, au-delà du jaune, je croyais étouffer une braise.

Colette, Le Fanal bleu, Paris, Fayard, 1987, p.149
Lettre manuscrite de Colette à Suzanne Belperron
Lettre manuscrite de Colette à Suzanne Belperron |

© Olivier Baroin

Si les perles font partie de l’écrin personnel de Colette, elles ont également leur place dans son œuvre littéraire. Celles-ci sont ainsi présentes lorsque Colette narre les caprices de Fred Peloux, alias Chéri en 1920. Dès le début du roman, le jeune homme de dix-neuf ans dérobe à sa maîtresse plus âgée, la courtisane Léa de Lonval, son collier de perles. Un bijou qu’il convoite en se comportant comme une demoiselle à marier.

Les caprices de Chéri

Colette, Chéri
— Léa ! Donne-le-moi, ton collier de perles ! Tu m'entends, Léa ? Donne-moi ton collier !   Aucune...
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Au cœur de ce récit, Fred est par ailleurs furieux de la bague en émeraude que Léa possède. 

La bague en émeraude de Léa

Colette, Chéri
— Qu'est-ce... qu'est-ce que c'est que ça ? bredouilla-t-il.   — Ça ? C'est une émeraude.   — Je ne...
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Si ce bijou, soi-disant donné par un nouvel amant, marque la jalousie du jeune homme, il signe aussi l’idée que la courtisane d’une cinquantaine d’années ne lui appartient plus. Dans La fin de Chéri, suite de l’histoire écrite par Colette en 1926, l’auteure évoque le corps décrépi et vieillissant de Léa que Fred reconnaît malgré tout grâce à son fameux collier de perles qui, lui, n’a pas changé 

D’un pli de l’écharpe blanche surgit, serpenta et resplendit au jour un sautoir de perles, que Chéri reconnut.  Captives sous la peau de la perle, tissu immatériel, les sept couleurs d’Iris jouaient comme une secrète ignition aux flancs de chaque sphère précieuse. Chéri reconnaissait la perle frappée d’une fossette, la perle un peu ovoïde, la perle la plus grosse qui se signalait par son rose unique : "Elles, elles n’ont pas changé, elles et moi, nous n’avons pas changé."

Colette, Chéri, Paris, Arthème Fayard & Cie, 1920, p.5 et 10

Après avoir écrit dans la presse de l’époque et notamment dans​​ Femina, un article de mode intitulé « Le Coffret à bijoux », Colette soumet en 1937 au compositeur Reynaldo Hahn un poème intitulé La Perle pour qu’il le mette en musique. Mais celui-ci n’arrive pas à tirer parti du texte. Le projet est finalement ​valorisé par Jean-Michel Damase en 1948. Dans Gigi, œuvre publiée en 1944, Alicia fait l’éducation de la jeune Gilberte. À l’instar de la marquise de Pompeillan1 ou de la Baronne Blanche Staffe2 dans leurs manuels de savoir-vivre, elle lui explique comment porter les bijoux et comment reconnaître les belles pierres. Aux règles de bienséance dictées par la chaperonne s’ajoutent quelques superstitions au sujet des gemmes. Sûrement influencée par la lecture d’anciens lapidaires, Colette fait dresser à son personnage un état des croyances sur ​l’opale, une pierre qui attire le mauvais œil…  

L'éducation de la jeune Gilberte

Colette, Gigi
L’heure qui suivit parut courte à Gilberte : tante Alicia avait entrouvert un coffret à bijoux, pour...
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Notes

  1. Marquise de Pompeillan, Le Guide de la femme du monde, Paris, Pontet-Brault, 1898,  
  2. Blanche Staffe, Usages du monde : Règles de savoir-vivre dans la société moderne, Paris, V. Harvard, 1891