Ses rêves d’Orient, en élargissant son vocabulaire, libèrent son écriture comme jamais. La préface enregistre l’intérêt de ce décentrement sous le règne de la fantaisie : « Que le poète donc aille où il veut en faisant ce qui lui plaît : c’est la loi. »
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Passer à la vue mobileLes Orientales
Victor Hugo publie Les Orientales en 1829, après une série de recueils beaucoup plus classiques aujourd’hui réunis dans les Odes et ballades.

Victor Hugo vers 1829
Victor Hugo a vingt-sept ans quand il publie, en 1829, Les Orientales. Ce recueil de poèmes est à la fois une œuvre de l’imagination – Victor Hugo n’est jamais allé en Orient – et un reflet des préoccupations des romantiques lors de la guerre d’indépendance des Grecs face à l’empire Ottoman (1822-1830). Hugo publie la même année, Dernier jour d’un condamné, journal à la première personne d’un condamné à mort dont Hugo ne livre ni l’identité, ni le crime.
Bibliothèque nationale de France

« Clair de lune »
Les artistes romantiques de la première moitié du 19e siècle aiment à se retrouver lors de « cénacles » pour présenter leurs œuvres et échanger à leurs propos. Ils travaillent parfois côte à côte, qu’ils soient écrivains ou peintres. Victor Hugo est une figure majeure du salon de l’Arsenal tenu par le bibliothécaire et écrivain Charles Nodier ; il tient également son propre cénacle rue Notre-Dame-des-Champs. Ici, c’est son ami peintre Louis Boulanger qui signe la double illustration de l’édition originale des Orientales, publiée en 1829.
« La lune était sereine et jouait sur les flots.
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots.
De ses doigts en vibrant s’échappe la guitare.
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l’archipel grec de sa rame tartare ? »
Victor Hugo, Les Orientales, « X. Clair de lune ».
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Hetzel, 1880-1926.
Bibliothèque nationale de France
Tout le continent penche à l'Orient
préface
La liberté dans l'art

Les Orientales
En écrivant Les Orientales, Victor Hugo avait fait œuvre de peintre, et la polychromie de ce dessin est en harmonie avec celle du recueil poétique : présence d’or, couleur du feu du ciel, de rouge, de vert, de bleu. Plus précisément, on peut rapprocher ce frontispice de ce poème :
« On voyait dans les cieux, avec leurs larges ombres,
Monter comme des caps ces édifices sombres,
Immense entassement de ténèbres voilé !
Le ciel à l’horizon scintillait étoilé,
Et sous les mille arceaux du vaste promontoire,
Brillait comme à travers une dentelle noire. »
Les Orientales, « Le Feu du ciel »
Cependant, cette composition est bien postérieure à la rédaction des poèmes puisque les techniques employées – utilisation de pochoirs pour réserver, en clair, l’espace des initiales du poète, ainsi que celui de l’escalier, application de dentelle pour figurer le ciel – datent la composition de 1855.
© Bibliothèque nationale de France

Scène des massacres de Scio
En 1821, les Grecs proclament leur indépendance face à l’empire Ottoman. Les affrontements et les massacres, comme celui de Scio perpétré par les Ottomans, se multiplient. L’Europe, et plus particulièrement la France, l’Angleterre et la Russie, soutiennent les Grecs, les États comme les artistes s’engagent. Leur aide face à la flotte turco-égyptienne, en 1827, est décisive. L’indépendance de la Grèce est reconnue officiellement en 1830. Dans son recueil de poèmes Les Orientales, Victor Hugo raconte les affrontements, donnant la voix tantôt aux Turcs, tantôt aux Grecs, tantôt au Danube, spectateur impuissant qui appelle à la réconciliation des peuples.
« En guerre les guerriers ! Mahomet ! Mahomet !
Les chiens mordent les pieds du lion qui dormait,
Ils relèvent leur tête infâme.
Ecrasez, ô croyants du prophète divin,
Ces chancelants soldats qui s’enivrent de vin,
Ces hommes qui n’ont qu’une femme !
Meure la race franque et ses rois détestés !
Spahis, timariots, allez, courez, jetez
A travers les sombres mêlées
Vos sabres, vos turbans, le bruit de votre cor,
Vos tranchants étriers, larges triangles d’or,
Vos cavales échevelées !
Qu’Othman, fils d’Ortogrul, vive en chacun de vous.
Que l’un ait son regard et l’autre son courroux.
Allez, allez, ô capitaines !
Et nous te reprendrons, ville aux dômes d’azur,
Molle Setiniah, qu’en leur langage impur
Les barbares nomment Athènes ! »
Victor Hugo, Les Orientales, « VI. Cri de guerre du Mufti », sur Gallica
Photo : Shonagon / Wikimedia commons / Domaine public

Mazeppa
L’histoire d’Ivan Mazeppa, noble ukrainien devenu page à la cour d’un roi polonais au 17e siècle est devenue une légende relayée par Voltaire et reprise par les romantiques dont Lord Byron (1819) et Victor Hugo. Pris en flagrant délit d’adultère avec la femme d’un noble polonais, Ivan Mazeppa est attaché nu sur un cheval sauvage, censé le ramener dans sa patrie, l’Ukraine. Il y deviendra chef des cosaques. Victor Hugo lui consacre un poème dans son recueil Les Orientales. Mazeppa est le double du poète incompris de la société et rejeté par elle. Le poème est dédié à son ami Louis Boulanger qui a peint Le supplice de Mazeppa en 1827. Géricault (1820-1823) et Horace Vernet (1826) ont également illustré cet épisode.
« Ainsi, lorsqu’un mortel, sur qui son dieu s’étale,
S’est vu lier vivant sur ta croupe fatale,
Génie, ardent coursier,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l’emportes
Hors du monde réel dont tu brises les portes
Avec tes pieds d’acier !
[…]
Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l’accable
Il ploie avec effroi ;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi ! »
Victor Hugo, Les Orientales, « XXXIV. Mazeppa ».
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Hetzel, 1880-1926.
© Bibliothèque nationale de France
En Grèce ! en Grèce ! Adieu, vous tous ! Il faut partir !
Enthousiasme
Occident oriental
L'Orient des Orientales apparaît moins comme un terme géographique que comme une projection mentale : avant tout méditerranéen, il englobe l’Égypte, la Grèce, la Turquie, et même largement l’Espagne, dont Victor Hugo a une connaissance intime. Le dernier poème du recueil, « Novembre », marque un retour brutal à Paris.

Les Orientales
Victor Hugo participe pleinement à la mode de l’orientalisme de son siècle en publiant un recueil de poèmes intitulé Les Orientales en 1829. Il n’a jamais voyagé dans la région, et n’y voyagera jamais, contrairement à Chateaubriand, Lamartine ou Flaubert. C’est un Orient fantasmé, nourri des représentations de l’époque (Delacroix), de la guerre d’indépendance des Grecs conte l’empire Ottoman (1822-1830), de son voyage enfant en Espagne, et des textes arabes redécouverts et traduits (des extraits entiers sont cités dans l’édition originale). Victor Hugo livre, avec Les Orientales, un recueil de fantaisie poétique aux accents tantôt épiques, tantôt intimistes.
Bibliothèque nationale de France
Le génie de la lampe
Né en 1882 à Toulouse, Edmund Dulac s’établit en Angleterre dès 1905 où il meurt en 1953. Il est l’une des figures majeures de l’âge d’or de l’illustration au Royaume-Uni. La délicatesse de son trait et de ses couleurs sont parfaitement rendues grâce au procédé de la simili-gravure et l’influence de l’estampe japonaise et de la miniature persane y est très présente. Il effectue en 1905 pour les Leicester Galleries de Londres des illustrations originales pour les Mille et une Nuits Stories from the Arabian nights. En 1914, il illustre Simbad the Sailor and others Tales from the Arabian nights d’où provient ce génie de la lampe à la limite du fantastique.
Les « gennis » (ou djinns) sortent surtout la nuit. Ces êtres surnaturels peuvent changer le cours de la vie des mortels comme c’est le cas dans des Les Mille et Une Nuits. Il existe des djinns pieux, animés de bonnes intentions et croyants, et les djinns maléfiques, ou « éfrits », que les illustrateurs représentent généralement sous des traits effrayants.
© Adagp, Paris 2013
Les Djinns
Les djinns sont des génies qui ne sont pas fondamentalement malfaisants dans le Coran ni dans Les Mille et une nuits. Ceux de Victor Hugo sont beaucoup plus terribles. Leur passage est celui d’une tempête ou d’un ouragan, rythmé par l’harmonie imitative des vers et des strophes. « Les Djinns » est devenu l’un des poèmes les plus connus de la langue française, idéal aussi pour étudier les règles de la versification.

« Les djinns »
Les djinns étaient, dans la croyance musulmane, des êtres de feu, doués d’intelligence, mais imperceptibles à nos sens. Victor Hugo travaille à l’expression de l’impalpable et de son invisible mouvement non seulement par les mots, mais aussi par le rythme. Dans ce manuscrit préparé pour l’impression, l’inscription des quadrats en marge illustre cette recherche en restituant l’image rythmique du poème. Après avoir ajouté une syllabe à chaque vers pour mimer l’apparition des djinns, à la fin du poème, Victor Hugo réduit progressivement le nombre de syllabes pour mimer leur disparition.
« Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit...
J’écoute :
Tout fuit,
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit. »
Victor Hugo, Les Orientales, « XXVIII. Les Djinns ».
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Hetzel, 1880-1926.
Bibliothèque nationale de France
La femme
L’Orient fait aussi entrer dans la poésie de Victor Hugo l’érotisme et la volupté : femmes capturées pour le harem, ou livrées aux regards des voyeurs… Nourmahal la Rousse terrorise le poète par son regard et sa voix douce ; Sara la Baigneuse l’enchante en se balançant nue sur son hamac. Toutes deux vont inspirer des générations de peintres et de musiciens.

Sara la baigneuse d’Hector Berlioz
Le compositeur Hector Berlioz admire les écrits de Victor Hugo, à peine un mois après la parution des Orientales, il écrit à Humbert Ferrand : « Avez-vous lu Les Orientales de Victor Hugo ? Il y a des milliers de sublimités. » (2 février 1829). Il met en musique « La chanson de pirates » et « La Captive », puis, en 1834, « Sara la baigneuse ». En 1852, il en publie une version pour triple chœur et grand orchestre. D’autres œuvres de Victor Hugo, comme le Dernier jour d’un condamné, lui inspireront des compositions musicales. Pendant un temps, les deux artistes se fréquentent.
« Sara, belle d’indolence,
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d’une fontaine
Toute pleine
D’eau puisée à l’Ilyssus ;
Et la frêle escarpolette
Se reflète
Dans le transparent miroir,
Avec la baigneuse blanche
Qui se penche,
Qui se penche pour se voir.
Chaque fois que la nacelle,
Qui chancelle,
Passe à fleur d’eau dans son vol,
On voit sur l’eau qui s’agite
Sortir vite
Son beau pied et son beau col. »
Victor Hugo, Les Orientales, « XIX. Sara la baigneuse ».
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Hetzel, 1880-1926.
Bibliothèque nationale de France

Sara la baigneuse
Le poème de Victor Hugo, « Sara la baigneuse », publié dans Les Orientales en 1829, a inspiré nombre de ses contemporains. Hugo compose en vers une odalisque, c’est-à-dire un nu féminin transposé dans un Orient de rêve.
« Sara, belle d’indolence,
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d’une fontaine
Toute pleine
D’eau puisée à l’Ilyssus ;
Et la frêle escarpolette
Se reflète
Dans le transparent miroir,
Avec la baigneuse blanche
Qui se penche,
Qui se penche pour se voir.
Chaque fois que la nacelle,
Qui chancelle,
Passe à fleur d’eau dans son vol,
On voit sur l’eau qui s’agite
Sortir vite
Son beau pied et son beau col. »
Victor Hugo, Les Orientales, « XIX. Sara la baigneuse ».
© Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet
Les palais embrasés se changent en tombeaux
La Ville prise
La réception
Avec leurs vives couleurs que la distance n’a pas ternie, leur goût des mots et des sonorités éclatantes, leur beauté plastique, Les Orientales sont peut-être le premier grand recueil romantique de la poésie française, entre Berlioz et Delacroix. Le public contemporain a été un peu dérouté par leur nouveauté, mais elles sont restées tout au long du siècle une référence pour les poètes, et le recueil fétiche des parnassiens. Le dernier poème du recueil, « Novembre », annonce déjà par sa mélancolie Les Feuilles d'automne (1831) et le spleen baudelairien.

« Ce siècle avait deux ans... »
Le manuscrit de ce poème est daté du 23 juin 1830. Très corrigé, il permet de constater que la première version ne débutait pas par le très célèbre vers : « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte » mais par quatre vers qui furent supprimés ensuite. Il appartient au recueil des Feuilles d’automne, publié en 1831, qui réunit des œuvres dont les dates de composition s’échelonnent de septembre 1828 à novembre 1831.
© Bibliothèque nationale de France
Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
— N’as-tu pas, me dis-tu, dans ton cœur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m’ennuie
À voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or ! ―
Novembre