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Les théâtres de la Foire au 17e siècle 

La Foire Saint-Germain
La Foire Saint-Germain

Bibliothèque nationale de France

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Ce qu’on appelle « théâtres de la Foire » ne désigne pas les innombrables petits spectacles de bateleurs sur tréteaux montrés dans les foires de campagne, mais les spectacles donnés dans des théâtres fermés, parfois très grands, lors des foires parisiennes Saint-Germain et Saint-Laurent. Au 17e siècle, il s’agit surtout de danseurs de cordes et de marionnettistes, mais la concurrence avec les scènes officielles commence et la fermeture de la Comédie-Italienne en 1697 accroît l’essor des théâtres de la Foire.

Les Foires Saint-Germain et Saint-Laurent

Ces foires sont de vastes espaces commerciaux créés au Moyen Âge, temporaires, qui rassemblent chacune environ trois cent boutiques (loges). Les grands-parents de Molière possédaient deux loges qu’ils louaient à des marchands. La Foire Saint-Germain (actuel quartier de l’Odéon), a été dotée en 1484 d’un privilège par Louis XI : c’est une foire franche qui appartient aux religieux de Saint-Germain. Au 17e siècle, elle ouvre le 3 février (lendemain de la Chandeleur) et dure jusqu’au dimanche des Rameaux, une semaine avant Pâques. Sous une immense double charpente, la plus grande d’Europe, on vend toute sorte de marchandises, sauf des livres et des armes : bijoux, tissus, porcelaines, miroirs, tableaux, mais aussi tabac, café, chocolat… Grouillante de vie, la Foire Saint-Germain attire une foule bigarrée, aussi bien le petit peuple, les voleurs et les prostituées que la plus haute société, les rois, la cour et les visiteurs étrangers.

À l’intérieur de la Foire Saint-Germain
À l’intérieur de la Foire Saint-Germain |

Bibliothèque nationale de France

Plan de la Foire Saint-Laurent en 1743
Plan de la Foire Saint-Laurent en 1743 |

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La Foire Saint-Laurent (proche de l’actuelle gare de l’Est), se situe hors les murs au nord de Paris. Depuis 1661 elle ouvre le 9 août, veille de la Saint-Laurent et se termine le 29 septembre, jour de la Saint-Michel. Elle est partagée en vingt-quatre îlots et dispose d’un préau des carrosses et d’un préau des spectacles. Elle est moins fréquentée par les nobles, souvent partis en villégiature, que la Foire Saint-Germain. Molière la mentionne dans L’Amour médecin (I, 2) : « Est-ce que ta chambre ne te semble pas assez parée, et que tu souhaiterais quelque cabinet [buffet à tiroirs] de la Foire Saint-Laurent ? » et dans L’Avare (II, 5) : « Elle doit après dîner rendre visite à votre fille, d’où elle fait son compte d’aller faire un tour à la Foire, pour venir ensuite au souper ».

L’apparition du théâtre

La Foire Sainct-Germain, dédiée à Monsieur
La Foire Sainct-Germain, dédiée à Monsieur |

Bibliothèque nationale de France

Malgré une quasi absence d’information sur les spectacles à la Foire pour le 17e siècle, on suppose que des troupes de sauteurs, des danseurs de corde, des musiciens et des bateleurs y sont très tôt présents. En 1595, une plainte des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne cherche à faire interdire, en vain, Jehan Courtin et Nicolas Poteau de jouer à la Foire Saint-Germain. En 1618, deux autres acteurs sollicitent une autorisation pour jouer à cette foire. Scarron évoque un Arlequin à la Foire Saint-Germain dès 1643. Cependant, nous n’avons aucun indice de ce qu’étaient leurs représentations. La Gazette de Loret évoque en 1663 « d’agréables ballets » et « de petites comédies » par trois enfants.

Des joueurs de marionnettes s’installent dans les foires au moins dès 1646 ; les plus célèbres sont Brioché, dont le singe Fagotin fut tué par Cyrano de Bergerac, et Bertrand. Plusieurs sont à la fois danseurs de corde et joueurs de marionnettes (Archambault, les Féron, Artus). En 1678, le sieur de Bologne donne à la Foire Saint-Laurent avec sa troupe de marionnettes italiennes une adaptation des Fourberies de Scapin et du Malade imaginaire. 

Le Théâtre de la Foire
Le Théâtre de la Foire |

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Troupe de la comédie italienne, pyramide acrobatique
Troupe de la comédie italienne, pyramide acrobatique |

Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage

Les frères Parfaict situent le début du théâtre de la Foire en 1678, lorsque la troupe de Charles Alard, associé à Maurice Von der Berck, composée de vingt-quatre sauteurs, donne au jeu de paume d’Orléans Les Forces de l’amour et de la magie, première pièce foraine dont le texte soit conservé : elle présente un sorcier amoureux d’une bergère, des démons aux sauts périlleux extraordinaires, des crapauds, des tourbillons, des statues mobiles, des danses d’Arlequin et de quatre Polichinelles, des machines, des vols et un accompagnement musical. Un second spectacle en 1678, Circé en posture, exploite la même veine et présente plus de soixante-dix personnages : on en a conservé le livret imprimé.

Les Forains face aux théâtres à privilège

La troupe des frères Alard joue devant Louis XIV qui autorise leurs spectacles à la Foire à condition de ne pas y mêler de vers ni de danses ou d’instruments de musique pour ne pas empiéter sur le privilège de l’Académie royale de musique. Dès 1681 commencent les attaques de la Comédie-Française, fraîchement créée, contre les danseurs de corde accusés de donner des représentations de théâtre à la Foire. Les entrepreneurs de jeu de marionnettes ne sont pas inquiétés, sauf quand ils mêlent des acteurs : en 1690 est ordonnée la démolition du théâtre d’Alexandre Bertrand qui a représenté une petite comédie d’acteurs dans son théâtre de marionnettes. En 1698, les Comédiens Français se plaignent que les Forains fassent construire des salles de spectacles pour y représenter des pièces de théâtre avec le secours d’acteurs de province.

La Foire Saint-Laurent en 1709
La Foire Saint-Laurent en 1709 |

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Parade à la Foire Saint-Laurent
Parade à la Foire Saint-Laurent |

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Une aubaine : la fermeture de la Comédie-Italienne

En 1697, l’expulsion des Comédiens Italiens permet aux forains de s’emparer de leur répertoire, en en adaptant les scènes françaises. Il ne reste pas de trace de ces adaptations.

D’après Watteau, Départ des Comédiens-Italiens en 1697 
D’après Watteau, Départ des Comédiens-Italiens en 1697  |

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Les principales troupes sont celles des frères Alard, d’Alexandre Bertrand (qui tient un jeu de marionnettes mais donne aussi des spectacles pour acteurs) et de la veuve Maurice (Jeanne Godefroy, qui a épousé Maurice Von der Beck et a fait bâtir des loges avec lui). Celle-ci négocie en 1698 avec le directeur de l’Opéra, Francine, pour lui acheter le droit d’ajouter à ses divertissements trois voix, trois violons et trois danseurs, avec ornements et décorations. C’est le premier pas vers l’opéra-comique.
Dès lors se multiplient les constructions et les aménagements de salles de spectacles, y compris tout autour de la Foire Saint-Germain.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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