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Prophètes et prophétismes
La fin du monde dans le zoroastrisme

Arda Viraz au pont Chinvat
Le Livre d’Arda Viraz raconte le voyage de l’âme de Viraz, un homme juste (« arda »), dans des régions spirituelles. Choisi pour ses vertus, Viraz est plongé dans un coma de sept jours et sept nuits grâce à une boisson narcotique afin de vérifier l’exactitude des croyances zoroastriennes et l’efficacité des rituels. Il est le témoin des grâces du paradis et des tourments des enfers, qu’il raconte à son réveil.
Sur cette peinture, Arda Viraz est représenté en compagnie des divinités Srosh et Rashn, le juge, au pont Chinvat. Il s’agit du pont que les âmes des morts doivent traverser, et dont la largeur varie selon la balance entre les bonnes et les mauvaises actions du défunt. S’il est large et gardé par une belle femme, l’âme se dirige vers le paradis, mais s’il est étroit et sous le contrôle d’une horrible vieille femme, elle tombera en enfer.
Le Livre d’Arda Viraz a été composé en moyen-perse et a connu plusieurs phases de rédaction jusqu’à prendre sa forme définitive autour des 9e-10e siècles. Plusieurs traductions, dont certaines illustrées, ont ensuite été faites en persan moderne. Ce manuscrit utilise la traduction de Bahram Pazhdu, un érudit zoroastrien actif à la fin du 13e siècle ; il a été copié et illustré au 18e siècle dans le Gujarat, lieu de résidence d’une importante communauté zoroastrienne, les Parsis.
Le texte a souvent été comparé à la Divine Comédie de Dante, qui raconte un voyage similaire ; il peut aussi être rapproché des narrations du mi‛raj de Muhammad, un épisode de la vie du prophète de l’Islam qui le mène à visiter les cieux et les enfers.
Une religion dualiste
Un polythéisme ancien

Goshtasp et Zoroastre
On connaît peu de choses sur le personnage historique de Zoroastre, ou Zarathoushtra. Selon la tradition zoroastrienne, rapportée plus tard dans le Livre des rois de Ferdowsi (10e siècle), il aurait vécu à l’époque du roi Goshtasp. Ce roi est également mentionné sous le nom de Vishtaspa dans les Gathas, texte fondateur de la religion zoroastrienne, et dans d’autres textes religieux tardo-antiques. L’historicité de Zoroastre étant un sujet controversé, la période où il aurait vécu reste impossible à établir. Les chercheurs proposent de situer la composition de l’Avesta entre 1000 av. J.-C. et 600 av. J.-C.
Le livre des Merveilles de la Création de Zakaria ibn Muhammad al-Qazvini a été rédigé au 13e siècle. Traité scientifique autant que récréatif, il décrit l’ensemble du cosmos, faisant la synthèse des connaissances astronomiques, géographiques, géologiques, biologiques et historiques. Il s’orne souvent de nombreuses vignettes, comme dans le cas de cette copie du 15e siècle.
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
C’est une religion polythéiste avec un panthéon aux multiples dieux, dominé par une divinité suprême : Ahura Mazda. Mais le zoroastrisme se caractérise surtout par son dualisme : il est fondé sur une opposition radicale entre le Bien et le Mal. Ainsi, la divinité suprême Ahura Mazda incarne aussi le Principe du Bien et s’oppose à Angra Mainyu (ou Ahriman), le Principe du Mal.
La lutte du Bien et du Mal
Dans ce cadre, le Bien et le Mal se livrent une bataille incessante qui dure neuf millénaires. Cet affrontement a lieu à la fois dans les mondes spirituel (menog) et corporel (getig). Il culmine à la fin des temps lorsque le camp du Bien finit par l’emporter. Cette fin des temps achève la chronologie mythique millénariste et prend la forme d’une narration apocalyptique conçue comme la Rénovation Finale (frashgird) de l’univers.
Cette vision de la fin des temps est quasiment absente des textes sacrés de l’Avesta et n’est probablement pas aussi ancienne que le reste de la mythologie zoroastrienne. Elle partage de nombreux thèmes avec les eschatologies des religions voisines (judaïsme, christianisme…) et la question de son origine est encore débattue aujourd’hui.

Ardashir et Ahura Mazda
Ce relief rupestre représente, à gauche, le roi Ardashir Ier (r. 224-241), fondateur de la dynastie sassanide qui règne en Iran du 3e au 7e siècle de l’ère chrétienne. Il reçoit de la main du dieu suprême Ahura Mazda un anneau symbolisant son investiture divine.
Les deux cavaliers sont représentés de même taille, comme sur un pied d’égalité, bien que l’un soit un dieu quand l’autre n’est qu’un mortel. Les chevaux piétinent chacun un ennemi : le roi parthe Ardavan et le Mal incarné, Ahriman. La lutte du Bien et du Mal est un trait majeur du zoroastrisme, ou mazdéisme, religion d’État à la période sassanide.
Photographie : Wojciech Kocot/wikimedia commons, CC BY-SA 4.0 / Domaine public
Photographie : Wojciech Kocot/wikimedia commons, CC BY-SA 4.0 / Domaine public
L’apocalypse zoroastrienne est décrite en détail dans plusieurs textes plus tardifs, rédigés en moyen-perse entre les 6e et 10e siècles de notre ère. Le plus connu de ces livres est le traité de cosmogonie du Bundahishn, qui relate la chronologie mythique zoroastrienne du début à la fin.
Retour aux origines
Pour bien comprendre la conception zoroastrienne de la fin des temps, il faut d’abord s’intéresser au mythe de la création du monde. Aux origines, le temps était infini et illimité et les deux Principes du Bien et du Mal existaient séparément, le premier dans la lumière, le second dans les ténèbres. Le Principe du Bien, omniscient, connaissait l’existence de son futur antagoniste et savait qu’il aurait à affronter Ahriman ; en revanche, ce dernier n’en savait rien.

Chronologie mythique zoroastrienne
Conception : Augustin Herr ; graphisme : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Conception : Augustin Herr ; graphisme : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Ahura Mazda créa alors le temps fini, une dimension chronologiquement limitée, d’une durée préétablie de douze millénaires, comme une bulle dans l’infini du temps illimité, dans laquelle il serait à son avantage et où il pourrait circonscrire le Mal. Dans cette dimension de « poche » temporelle, Ahura Mazda créa immédiatement le monde à l’état de menog, spirituel et non matériel, caractérisé par son immobilité.
Après trois millénaires, Ahura Mazda compléta son œuvre en créant le monde matériel, à l’état de getig. Ses créations étaient au nombre de sept, alors sous forme de prototype et dans un état de pureté et de perfection : le ciel, l’eau, la terre, la plante, l’animal, l’homme et le feu.
Trois millénaires passèrent encore, jusqu’à ce qu’Ahriman, jaloux de l’œuvre d’Ahura Mazda, déclenchât son Assaut, marquant l’intrusion du Mal dans la Création et générant un « État de mélange » entre Bien et Mal. Les créations prototypiques (principalement l’Homme et le Bovin primordiaux) furent tuées, leur mort engendrant les créatures dans leur multiplicité, désormais périssables et fragmentées. De son côté, le Principe du Mal engendra ses propres créatures sous la forme de démons ou autres créatures néfastes, destinés à servir son sombre dessein. Le début de la bataille entre les deux camps fut ainsi acté et s’enclencha une série d’événements qui verraient chaque côté prendre l’avantage à tour de rôle.
L’ère des loups passera et l’ère des moutons viendra.
Fin du monde et fin du temps
Le temps des épreuves
L’apocalypse zoroastrienne est présentée comme un récit structuré qui s’insère dans les trois derniers millénaires de la chronologie. Ces trois millénaires seront marqués par la venue des trois fils posthumes de Zoroastre, les trois Sauveurs. La fin des temps est donc pensée à travers le millénarisme, une attente messianique porteuse d’espoir.
Cette période voit se produire de nombreux bouleversements (invasions ennemies…) et désastres naturels (comme un hiver dévastateur) qui constituent des épreuves pour les zoroastriens mais sont aussi l’occasion pour les forces du Bien de vaincre les différentes manifestations du Mal. Ainsi, des phénomènes organiques tels que la maladie et la mort sont éliminés, mais le Mal prend aussi la forme de créatures monstrueuses comme un loup et un serpent géants qui sont successivement vaincus par les armées zoroastriennes menées par les deux premiers Sauveurs.

Intaille au cavalier combattant un monstre
Dans le zoroastrisme, le monde est le lieu d’une bataille permanente entre le Bien et le Mal. Les figures messianiques sont parfois amenées à combattre des monstres pour permettre le triomphe du Bien.
Sur cette intaille, un cavalier fait face à un monstre à six ou sept têtes de serpents. Il porte inscrit le mot abestan, qui signifie « confiance (en les dieux) » en moyen-perse.
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Le Jugement dernier
Quand tous les maux du getig sont éliminés, le récit apocalyptique entre dans sa phase finale. C’est le « millénaire » (qui dure seulement cinquante-sept ans !) du troisième Sauveur et fils de Zoroastre : Soshyans, celui qui va accomplir le rituel de la Rénovation Finale, au terme duquel tous les morts sont ressuscités et chaque homme reçoit son « Corps Futur » avant de faire face au Jugement dernier.
À ce moment, Soshans le fils de Zoroastre apparaîtra et, pendant trente jours et nuits, le soleil se tiendra à son exaltation dans les cieux.
Le Jugement dernier est une ordalie : tous les hommes, bons et mauvais, sont immergés pendant trois jours dans une rivière de métal en fusion. Pour les hommes justes, c’est une expérience agréable tandis que les pécheurs subissent eux la douleur du contact avec le métal incandescent, qui les purge de tout mal.
La fin du Mal
Parallèlement, les dieux et les démons livrent une ultime bataille à l’issue de laquelle toutes les créatures démoniaques sont détruites. Enfin, Ahriman, le Principe du Mal en personne, est vaincu de manière violente et définitive par Ahura Mazda.
Déterminée par une idéologie dualiste, cette fin montre que la relation entre le Bien et le Mal est agonistique (fondée sur des affrontements violents) et téléologique (définie par son but final) : celui d’une victoire absolue sur le camp adverse.

Intaille au combat du bien et du mal
Cette intaille représente un combat entre un homme et un démon. Habillé à la mode sassanide, le combattant maintient son adversaire d’une main, s’apprêtant à le frapper de son arme. Autour de la scène principale sont présents des symboles astraux, croissant de lune, étoile. La légende, écrite en moyen-perse, n’est malheureusement pas lisible. Sur d’autres intailles semblables, elle énonce une qualité, comme la droiture ou la confiance.
Bibliothèque nationale de France
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La Rénovation Finale
Le Mal étant défait, la Rénovation Finale a lieu et engendre un monde nouveau, réunissant le getig et le menog, où tous les hommes, devenus immortels, se trouvent dans un état de bonheur absolu pour l’éternité.
Il s’agit donc d’une doctrine de salvation universelle puisque ce ne sont pas seulement les zoroastriens qui sont sauvés mais bien l’ensemble de l’humanité, les pécheurs ayant obtenu la rédemption.
Ahura Mazda le Seigneur frappera Ahriman, il l’assommera et le rendra inopérant, de telle manière que ni l’Esprit du Mal ni aucune de ses créations n’aura plus aucune autorité sur la terre.
Dans ce monde nouveau et parfait, cela constitue un retour à l’harmonie cosmique, une restauration de l’unité et de la pureté de la Création. Cette victoire totale du Bien sera la résolution du récit et le point final de la chronologie mythique millénariste. Elle marquera la fin du temps limité et le retour au temps illimité ; il s’agira donc de la fin d’un temps plutôt que la fin des temps.
Provenance
Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.
Lien permanent
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