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Prophètes et prophétismes

Les prophètes dans les religions abrahamiques
La vision d’Ezechiel
La vision d’Ezechiel

© Photo SCALA, Florence - Courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali e del Turismo, Dist. GrandPalaisRmn / image Scala

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Les prophètes sont réputés parler au nom des dieux, ou de Dieu, et prédire sous l’inspiration divine des évènements futurs. L’histoire en a vu se succéder un nombre incalculable, dont la plupart ont sans doute été oubliés, faute de textes ou d’impact à long terme. Mais d’autres ont vu leur parole sanctuarisée dans des livres sacrés, notamment dans la Bible et le Coran.

La question du prophétisme se pose différemment dans le judaïsme, avec les « Livres prophétiques » de la Bible, dans l’islam, qui reconnaît en Muhammad le « dernier prophète », et dans le christianisme, où l’Église entend se réserver l’annonce de la Parousie et n’hésite pas à dénoncer comme « faux prophètes » ceux qui outrepassent son autorité.

Mahommet, séducteur, faux prophète et législateur de la loi sarrazine
Mahommet, séducteur, faux prophète et législateur de la loi sarrazine |

Bibliothèque nationale de France

 

Qu’est-ce qu’un prophète ?

Jérémie et Dieu
Jérémie et Dieu |

Bibliothèque nationale de France
 

Un prophète est au sens propre une personne qui « dit » (du grec phesein) « à l’avance » (pro). Dans le langage courant comme dans celui des sciences religieuses, le mot prophétie désigne plus spécifiquement l’interprétation de la parole divine, plus encore que la prévision et la prédiction d’évènements futurs auxquelles on réduit parfois le rôle des prophètes. La prophétie est comprise comme un don de Dieu, un « charisme », c’est-à-dire, suivant Saint Paul, une « grâce » divine. 

Le prophète occupe une place à part dans la société, assumant une posture critique face aux institutions spirituelles et temporelles. C’est ainsi que le sociologue Max Weber a opposé deux rôles sociaux distincts et concurrents : celui du « prêtre », représentant l’institution, et celui, marginal, du « prophète », critique à l’égard de l’ordre social et religieux ; le prophète bénéficie de l’écoute de ceux qui subissent l’ordre dominant, tandis qu’il est condamné et persécuté par ceux dont il met en cause le pouvoir.

Les trois termes – tradition, raison, charisme – correspondent à trois principes d’obéissance. […] les anciens, les organisateurs, les prophètes symbolisent ces trois sources de légitimité.

Max Weber, Le Savant et le politique, 1919

Les prophètes se font reconnaître généralement dans les situations de crise sociale et de bouleversements idéologiques, auxquelles ils prétendent remédier en invoquant la parole divine. Il arrive ainsi que le prophétisme se mue en « messianisme », c’est-à-dire en l’annonce et en l’attente collective de la venue d’un « Messie » envoyé par Dieu et seul apte à résoudre la crise présente. Les anthropologues ont observé de tels phénomènes en situation de domination coloniale, en leur donnant le nom de « culte du cargo ».

Les spécialistes des religions abrahamiques (judaïsme, christianisme, islam) ne sont pas moins familiers des questions soulevées par le prophétisme. 

Un prophétisme qui puise ses racines dans le judaïsme

Le prophétisme se rencontre dans les trois grands monothéismes. Par exemple dans l’islam, Mohammed est nommé le « sceau des prophètes » : il est le dernier des prophètes après Jésus, pour avoir transcrit dans le Coran la parole même de Dieu. Il arrive à la fin d’une très longue lignée de prophètes bibliques ou issus d’autres traditions, dont les auteurs des Histoires des Prophètes (Qisas al-Anbiya) ont rapporté – et embelli – les histoires.

Adam et Ève adorés par les anges
Adam et Ève adorés par les anges |

Bibliothèque nationale de France

Muhammad se prosternant dans la lumière divine
Muhammad se prosternant dans la lumière divine |

Bibliothèque nationale de France

Mais le prophétisme caractérise avant tout le judaïsme ancien. La Bible, telle que les juifs puis les chrétiens la conçoivent, contient une section entière dédiée aux révélations des prophètes. Les plus notoires sont au nombre de quatre : Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel – la tradition chrétienne reconnaîtra en outre l’autorité du prophète Baruch –, suivis de douze « petits prophètes » : Osée, Abdias, Aggée, Amos, Joël, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Zacharie et Malachie.

Le Prophète Osée
Le Prophète Osée |

Bibliothèque nationale de France

Le prophète Zacharie
Le prophète Zacharie |

Bibliothèque nationale de France

Leurs paroles jouent un rôle central dans l’interprétation des Ecritures saintes, chez les juifs puis chez les chrétiens. En effet, le christianisme, qui puise son inspiration principale dans le Nouveau Testament (en premier lieu les Evangiles et les Epîtres), n’a pas rejeté l’Ancien Testament, bien au contraire : il y a reconnu une foule d’« ancêtres » du Christ qui auraient prédit sa venue sur terre et le triomphe de l’Eglise.

Le Christ en majesté
Le Christ en majesté |

Bibliothèque nationale de France

Le rôle de l'Église chrétienne

Façade principale de la cathédrale d’Amiens
 
Façade principale de la cathédrale d’Amiens
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Bibliothèque municipale de Grenoble

D’une certaine façon, tout l’Ancien Testament a été considéré par la tradition chrétienne comme un vaste discours prophétique annonçant Jésus et la victoire de l’Eglise. L’alignement au portail des cathédrales des statues-colonnes des prophètes de l’Ancien Testament en vis-à-vis des douze apôtres du Christ, en est un bon témoignage.

Mais une fois l’Église établie, la situation du prophétisme a radicalement changé : désormais, l’Église entendit se charger de toute parole prophétique, non plus pour annoncer la venue du Messie (puisque le Fils de Dieu était déjà venu sur terre), mais pour proclamer son retour à la fin des temps la seconde Parousie, marquée par la Résurrection des morts et le Jugement dernier. La reconnaissance à la fin du 7e siècle de la canonicité de l’Apocalypse attribuée à Jean de Patmos, a renforcé la volonté de captation par l’Église institutionnelle de ce prophétisme centré sur le retour du Christ à la fin des temps, avec pour conséquence la condamnation massive de tous les « faux prophètes » non autorisés. 

Par la suite, avec la sécularisation de la société sous l’influence de la modernité, les prophètes ne sont plus toujours des transmetteurs de la parole divine : poètes ou scientifiques, il se font les interprètes de nouvelles manières de voir et de penser le monde.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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