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L’apparition d’une crise structurelle (1945-1972)

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, las de la propagande, les Français sont assoiffés d’informations, tandis que la presse sort profondément remodelée des années d’occupation. Mais si les premières années qui suivent la Libération sont propices aux journaux, ceux-ci plongent bientôt dans une crise structurelle.

La restructuration de la Libération

Le paysage médiatique français est profondément bouleversé à la Libération. Tous les médias, à l’exception de ceux qui avaient été interdits par les derniers gouvernements de la Troisième République ou par les forces d’occupation, sont considérés comme coupables de soumission aux ordres de Vichy et des Allemands, de collaboration avec l’ennemi, mais également d’avoir accepté trop facilement les règles du marché. Les directives élaborées par le Comité général d’études de la Résistance sont reprises en un « cahier bleu » et transcrites dans la loi par les ordonnances du gouvernement provisoire de la République française. Elles instaurent la nationalisation du secteur radiophonique, qui devient la Radiodiffusion française (RDF), et de l’agence de presse Havas, qui devient l’Agence France-Presse (AFP).

En ce qui concerne la presse écrite, à l’époque le principal moyen d’information, c’est l’ensemble des titres politiques qui sont visés. Tous les journaux ayant continué de paraître quinze jours après le début de l’Occupation, soit le 25 juin 1940 pour la zone nord et le 26 novembre 1942 pour la zone sud, sont interdits. Les entreprises qui les éditent sont placées sous séquestre en attente d’un jugement ou d’un non-lieu. Cette mesure concerne principalement les quotidiens – 188 des 206 quotidiens paraissant en 1939 se trouvent interdits – mais elle affecte également des hebdomadaires et des mensuels. Le but, clairement annoncé dans le « cahier bleu », est « de faire table rase en matière de presse » et « d’obtenir des garanties efficaces contre la corruption des journaux et l’influence du capitalisme dans la presse ».

Les biens des entreprises placées sous séquestre sont confiés aux Domaines puis à la Société nationale des entreprises de presse (SNEP), créée en 1946, qui les loue aux nouveaux journaux. Ces derniers sont pour la plupart issus de la presse clandestine de la Résistance (Défense de la France, Le Franc-tireur, Combat, Libération, La Voix du Nord, etc.), auxquels s’ajoutent de nouveaux titres créés en août 1944 (Le Parisien libéré, Sud-Ouest, Ouest-France, etc.) ou postérieurement (Le Monde, fondé en décembre 1944 par Hubert Beuve-Méry), ainsi que les titres qui se sont sabordés à temps et qui obtiennent l’autorisation de reparaître (Le Figaro, L’Humanité, Le Populaire, Les Échos, Le Progrès, L’Est républicain, etc.). D’autres encore sont relevés de l’interdiction pour faits de résistance (La Montagne) ou parce qu’ils représentent une sensibilité particulière (La Croix).

L’autorisation de paraître, maintenue jusqu’en 1947, est délivrée par le ministre de l’Information sur des critères politiques : sont ainsi privilégiés les mouvements de résistance et les partis politiques, auxquels sont attribués des journaux. Ainsi, le Parti communiste français se trouve doté de 27 quotidiens, le parti socialiste de 20, le Mouvement républicain populaire (MRP) de 28 et les Comités de libération de 39, auxquels s’ajoutent de nombreux hebdomadaires pour chaque tendance. La plupart des groupes de presse qui existaient avant la Seconde Guerre mondiale disparaissent. Parallèlement à cet immense transfert de propriété, la Commission de la carte de presse procède à une épuration professionnelle des journalistes. Mais en dehors de quelques « ténors » de la collaboration, qui sont fusillés (Jean Luchaire, Georges Suarez, Robert Brasillach), qui s’exilent (Alphonse de Châteaubriant) ou sont condamnés (Henri Béraud), l’épuration est faible.

La nouvelle organisation de la presse

En revanche, grâce à la puissance du parti communiste et de la CGT, et parce que les nouveaux journaux avaient besoin d’eux, les ouvriers du livre sont tous réintégrés dans les imprimeries. Le Comité intersyndical du livre parisien (CILP-CGT) utilise la situation pour s’octroyer le monopole de la fabrication des quotidiens en instaurant le contrôle de l’embauche. En outre, il obtient que l’ensemble des effectifs soit repris. Ces mesures de circonstance sont une des causes de la faible productivité des imprimeries parisiennes et du coût élevé de la fabrication des journaux en France. Dans un premier temps, les communistes et la CGT imposent également leur tutelle sur la nouvelle entreprise de distribution des journaux, les Messageries françaises de presse (MFP). Mais l’entreprise fonctionne mal, tandis que les Messageries Hachette, évincées à la Libération, reprennent progressivement la diffusion des journaux. La grève des ouvriers du livre, qui dure quarante jours en février et mars 1947, conduit à la faillite des MFP et au vote en urgence de la loi Bichet. Promulguée le 2 avril 1947, elle institue la collaboration entre les coopératives regroupant les éditeurs de presse et l’opérateur Hachette et aboutit à la création des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP).

Porteurs des journaux sur leurs bicyclettes
Porteurs des journaux sur leurs bicyclettes |

© Bibliothèque nationale de France / Fonds du journal L’Aurore / Droits réservés

Dans le contexte difficile de la reconstruction, les éditeurs organisent le marché des journaux sous la tutelle de l’État, qui attribue les autorisations de parution et les imprimeries, répartit le papier, fixe le prix de vente et subventionne la presse en compensant les déficits de la SNCF et de la poste, qui transportent les journaux à perte. L’État accorde également des dégrèvements fiscaux, en exonérant les entreprises de presse de la taxe professionnelle et en appliquant un taux de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA, ancêtre de la TVA) réduit pour la presse. Du côté des entreprises, les interlocuteurs de l’État et des partenaires sociaux s’organisent en syndicats : Syndicat de la presse parisienne (SPP) pour les quotidiens nationaux, Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), etc. L’ensemble des syndicats patronaux est regroupé dans la Fédération nationale de la presse française (FNPF), née dans la clandestinité.

L’histoire économique de la presse depuis 1945 est rythmée par les négociations entre les différents acteurs : organisations patronales, organisation ouvrière et gouvernement, ainsi que quelques grands acteurs, tels que le groupe Hachette, les NMPP ou la poste. Dans ce système corporatif, les journalistes pèsent bien peu. Cette nouvelle organisation de la presse devait être couronnée par un statut spécifique des entreprises de presse, qui, en dépit de quatorze propositions de loi sous la IVe République, ne vit jamais le jour. Il fallut donc, à la suite des procès contre les entreprises déchues et après les lois d’amnistie de 1951 et 1953, organiser le transfert définitif des biens de presse aux journaux fondés à la Libération. La loi de Moustier, promulguée le 2 août 1954, organise le transfert : les entreprises condamnées sont définitivement évincées, celles qui ont bénéficié d’un non-lieu doivent composer avec les nouvelles entreprises. Quantité d’immeubles, d’installations et de machines sont alors vendus à bas prix.

Défense de la France
Défense de la France |

© Bibliothèque nationale de France

Combat, n°1
Combat, n°1 |

© Bibliothèque nationale de France

Libération. Organe du Directoire des forces de libération françaises. Zone sud.
Libération. Organe du Directoire des forces de libération françaises. Zone sud. |

© Bibliothèque nationale de France

La Voix du Nord
La Voix du Nord |

© La Voix du Nord, 1944.

L’évolution du marché de la presse

En 1946, 28 quotidiens parisiens impriment 6 millions d’exemplaires par jour tandis que les 175 quotidiens locaux et régionaux cumulent 9, 2 millions d’exemplaires. La quantité et la diversité semblent s’épanouir. Pourtant, dès 1947, le recul est brutal et s’affirme jusqu’en 1953 : la presse parisienne ne tire plus que 3, 4 millions d’exemplaires, la presse régionale 6 millions. La presse de commentaire la plus politisée (L’Humanité, Libération, Combat) voit son tirage décliner, tandis que nombre de ses journaux disparaissent. À partir de 1947, l’histoire de la presse politique n’est que celle d’un lent déclin émaillé par les disparitions : si l’ensemble des quotidiens engagés tirent à 2 millions d’exemplaires au printemps 1946, ils descendent sous la barre du million en 1949, puis à moins de 500 000 exemplaires par jour en 1953. Défense de la France et Le Franc-tireur changent de titre pour devenir des quotidiens populaires (France-Soir et Paris-Jour), L’Aube, quotidien démocrate-chrétien créé par Francisque Gay en 1932, cesse de paraître en 1951, Ce soir en 1953, Le Populaire en 1962, Libération en 1964, Combat en 1974. Quant au quotidien L’Humanité, sa diffusion s’effondre en dépit de plusieurs tentatives de rénovation.

Le Monde
Le Monde |

© Le Monde, 1944.

En revanche, la presse d’information s’affirme et connaît de belles réussites (France-Soir, Le Parisien libéré, Le Figaro, Le Monde). La plupart des journaux équilibrent leur budget, voire gagnent de l’argent, parce qu’il y a peu de concurrence sur le marché de l’information et sur le marché publicitaire : la radio et la télévision nationalisées n’assurent pas la pluralité des opinions et sont privées de publicité. Les années 1953-1969 constituent une période faste pour la presse quotidienne. Le tirage total, tombé à moins de 10 millions d’exemplaires en 1953, remonte à 13 millions d’exemplaires en 1969 (5 millions pour les quotidiens nationaux, 8 millions pour les régionaux). C’est l’heure de gloire des grands quotidiens populaires : entre 1957 et 1959, France-Soir vend 1 150 000 exemplaires par jour et Le Parisien libéré 750 000 exemplaires. Toutefois, si Le Parisien se maintient jusqu’en 1973, France-Soir entame un lent déclin dans les années 1960 ; en 1972, à la mort de son directeur Pierre Lazareff, il ne vend plus que 800 000 exemplaires par jour. Paris-Jour est le troisième quotidien populaire, créé par le roi de la presse du cœur (Nous deux) Cino Del Duca, en 1959, à partir du quotidien de la Résistance Le Franc-tireur. Cependant, le journal n’arrive pas à dépasser les 250 000 ou 300 000 exemplaires. En 1972, Simone Del Duca, qui perdait chaque jour trop d’argent, met fin à l’édition de ce tabloïd à l’anglaise, avec pin-up, jeux, concours, articles brefs, gros titres et grandes illustrations.

La presse quotidienne nationale en crise

La presse quotidienne nationale entre dès lors en crise : durant la décennie des années 1970, son tirage décline de 2 millions d’exemplaires, passant de 5 à 3 millions par jour. Certes, les quotidiens destinés aux élites, Le Figaro et Le Monde, se maintiennent autour de 400 000 exemplaires chacun, mais ils sont entrés dans une phase de fragilité. Alors qu’en 1969 les recetes publicitaires atteignaient 69 % du chiffre d’affaires pour Le Monde et 85 % pour Le Figaro, elles ont tendance à stagner, puis à régresser en pourcentage, tandis que les coûts de production continuent d’augmenter. Quant à la presse quotidienne régionale, elle réussit à maintenir ses tirages autour de 8 millions d’exemplaires par jour au prix de la disparition de nombreux titres, rachetés par leurs concurrents régionaux puis fusionnés. Les grandes métropoles régionales, qui pour la plupart éditaient deux ou trois, voire quatre quotidiens à la Libération, ne bénéficient bientôt plus que d’un titre régional qui étend sa zone de diffusion en absorbant des confrères plus petits.

Paradoxalement, la volonté égalitaire qui préside depuis la guerre aux destinées de la presse française aboutit au déclin du nombre de titres. Il y avait 203 quotidiens en 1946 ; on n’en compte plus que 89 dès 1972. L’organisation corporatiste garantit en effet des conditions d’impression, de distribution et de salaires similaires pour l’ensemble des titres, mais c’est un agencement à faible productivité et coûteux, d’autant plus cher qu’il est peu performant. Il induit une augmentation des prix de vente, qui reste le seul élément véritablement maîtrisé par l’entreprise de presse. Mais la hausse du prix fait fuir les lecteurs… Le système freine également la modernisation des imprimeries et l’évolution des circuits de distribution. Les quotidiens français tardent à passer à la couleur, tandis que le réseau des NMPP se développe peu et suit mal les mutations démographiques des Français. Enfin, pour éviter la concurrence, qui par nature est inégalitaire, la Fédération nationale de la presse française interdit longtemps les suppléments de fin de semaine, qui font florès dans la plupart des autres pays démocratiques développés.

Télé 7 jours
Télé 7 jours |

© Télé 7 Jours, 1960

Télérama
Télérama |

© Télérama, 1960

Le succès des magazines

Cependant, l’évolution socioculturelle est plus forte que cette position malthusienne.
Les Français, comme les autres Européens, réclament des magazines. En France, comme les quotidiens n’ont pas de suppléments, les magazines occupent la place laissée vacante. À la Libération, la presse hebdomadaire est essentiellement politique : Témoignage chrétien, Action, Gavroche, Le Populaire dimanche, L’Humanité dimanche, Carrefour sont des feuilles de commentaire qui restent confinées aux sympathisants d’un parti ou d’un groupe et qui ne réussissent pas à s’implanter comme magazines grand public. La plupart disparaissent.

Le Point
Le Point |

© Le Point, 1972

Ce n’est qu’au prix d’un bouleversement total de leur ligne éditoriale, que deux d’entre eux, Le Nouvel Observateur et L’Express, parviennent à s’installer dans le paysage médiatique français. France Observateur, créé en avril 1950, est devenu L’Observateur en avril 1954, mais en 1964, Claude Perdriel et Jean Daniel reprennent l’hebdomadaire et le transforment en un newsmagazine, Le Nouvel Observateur. C’est L’Express, fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud en mai 1953 pour soutenir Pierre Mendès France, qui inaugure le format news en 1964 sur le modèle du Time américain. La formule est appelée à un grand succès : en 1972, Le Point est lancé par des dissidents de L’Express. Paris-Match , qui attache une grande importance aux photos, s’apparente à la famille des news, même si, graduellement, il consacre de plus en plus d’articles à la vie privée des célébrités et des hommes politiques, préfigurant ce qui deviendra la presse people.
La presse féminine fait également les beaux jours des entreprises de presse : Elle, fondé en 1945 par Hélène Gordon-Lazareff sous la tutelle de Hachette, et Marie-Claire, relancé en 1954 par Jean Prouvost qui avait inauguré un nouveau type de magazine féminin en créant ce titre en 1937, sont bientôt imités, suivis ou dépassés par la nouvelle presse féminine des années 1970.

La presse de programmes télévisés est également un succès des années 1950 et 1960 : Télé 7 jours ou Télérama créés au sein du groupe La Vie catholique incarnent cette nouvelle formule qui tente de faire le lien entre presse et télévision.

Provenance

Cet article provient du site Presse à la Une (2012), réalisé en partenariat avec le CLEMI et l’AFP.

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