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Utopie et histoire

Le Paradis comme jardin
Le Paradis comme jardin

Bibliothèque nationale de France

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L’utopie entretient avec l’histoire des rapports complexes, puisqu’elle se définit comme sa négation, mais qu’elle ne se conçoit que dans la perspective d’un progrès nécessaire, seule garantie de sa perpétuité.

Un bonheur éternel

Au premier abord, l’utopie apparaît comme une récusation du temps. L’abolition du malheur qu’elle promet à l’homme nouveau implique en effet la disparition de l’angoisse du déclin, de la peur de la mort, causes premières de ce malheur. Le bonheur, soutient l’utopie, ne se conçoit qu’éternel, sans quoi il n’est rien. Cette perpétuité, qui conditionne la félicité des hommes, est du reste le corollaire logique de la perfection : comment l’utopie serait-elle parfaite si elle était promise à la dégradation ? C’est ainsi que la fondation de l’Utopie de More remonte à mille sept cent soixante ans et que la Bensalem de Bacon a « environ » dix-neuf siècles : durées fabuleuses qui symbolisent l’éternité virtuelle de ces systèmes. « Une république convenablement ordonnée peut, affirme le héros de l’Oceana (1656) de Harrington, être aussi immortelle ou vivre aussi longtemps que le monde ».1

Réinventer l’histoire

Contrairement à l’ancien, le nouveau paradis n’aura pas de fin ; c’est pour cela qu’il entend se couper du passé, mais aussi du dehors, où le temps subsiste et continue de gâter les œuvres humaines. L’insularité utopique se situe à la fois dans l’espace et dans le temps. L’utopie est toujours également une « uchronie », un lieu où plus rien n’arrive. Précisons : plus rien n’arrive d’imprévu, ou, mieux, d’anormal. Car ce qui a disparu, ce n’est pas l’histoire, c’est une certaine histoire, où des « forces objectives, étrangères » dominaient les hommes. Mais ces forces, une fois parvenues au terme, passeront sous le contrôle des hommes, qui alors « feront eux-mêmes leur histoire en pleine conscience ».2 L’utopie n’est donc pas la fin de l’histoire, c’est, pour reprendre un concept popularisé par le discours marxiste, la fin de la préhistoire et le début de l’histoire véritable d’un homme renouvelé, libéré, enfin rendu à lui-même. L’entrée dans la perfection résulte d’un processus d’amélioration global, à la fois inéluctable et perpétuel.

Montre décadaire
Montre décadaire |

© Musée Carnavalet

Même décrite comme une rupture absolue, la fondation de la cité parfaite ne se conçoit pas en dehors de cette dynamique. Réciproquement, c’est la nécessité même de ce progrès et l’impossibilité corrélative d’une rechute ou d’une régression qui garantissent à l’utopie son immortalité et qui l’assurent donc de sa perfection.
Dans « l’ère nouvelle », affirment les Utopiens imaginés par Anatole France, le principal changement sera que « les progrès de la civilisation humaine seront désormais harmonieux et pacifiques », alors qu’ils étaient jadis douloureux et tragiques. Une fois le temps domestiqué, réconcilié à jamais avec l’homme nouveau, tout ira de mieux en mieux dans le meilleur des mondes.

Notes

  1. Traduit en français, in Œuvres politiques, Leclère, an III, p. 131.
  2. Friedrich Engels, L’Anti-Dühring, (1877-1878), trad. Bracke, A. Cortes, 1933, t. III, p. 52.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Utopie, la quête de la société idéale en occident » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 4 avril au 9 juillet 2000.

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