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Le périple de Vasco de Gama

Vasco de Gama
Vasco de Gama

© Bibliothèque nationale de France

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En 1497, dix ans après le franchissement du Cap de Bonne Espérance par Bartolomeu Dias, Vasco de Gama récompensa quatre-vingts années d’efforts portugais pour rejoindre les Indes par la mer.

Un voyage bien préparé

Les circonstances différaient notablement du projet un peu fou et terriblement personnel de Christophe Colomb. Le capitaine avait été ici soigneusement choisi par le souverain dans le cadre d’une expédition officielle qui avait demandé deux ans de préparatifs. Rien n’avait été laissé au hasard. Gama, qui remplaçait son père décédé, offrait à la fois des qualités de navigateur et de diplomate, car on savait pertinemment qu’il lui faudrait négocier sa présence dans les eaux musulmanes.

Il emmenait 170 hommes d’équipage, bien rodés lors de précédents voyages, certains ayant été les compagnons de Dias. Parmi eux, trois prêtres, un marin connaissant l’arabe et un noir du Congo qui serviraient d’interprètes, ainsi qu’une dizaine de criminels condamnés à mort utilisés, selon les cas, comme émissaires, otages ou monnaies d’échange. Par la suite, l’emploi de ces « degrados » se généralisa.

Les trois navires, spécialement construits pour ce trajet n’étaient pas des caravelles, mais de grosses nefs, renforcées pour affronter les vents et les tempêtes du Cap. Elles étaient munies de pièces de rechange polyvalentes et adaptables à chacune d’entre elles. Un navire de transport les accompagnait, muni de vivres pour trois ans, de pacotille et de présents, ainsi que d’échantillons d’épices pour amorcer le commerce. On emportait aussi en quantité suffisante des padrãos, pierres gravées symbolisant la prise de possession par le royaume de Portugal.

Cosmographe dans son cabinet de travail
Cosmographe dans son cabinet de travail |

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Des cartes avaient été établies tout spécialement, rassemblant les informations les plus récentes et Vasco de Gama avait lui-même, avant son départ, perfectionné sa pratique de la navigation astronomique en s’initiant à la mesure de la hauteur des astres. L’expédition était munie des meilleurs instruments et de tables de déclinaisons préparées à son intention. Un chroniqueur rapporte que tous étaient bien conscients qu’une fois doublé le cap de Bonne-Espérance, les cartes et les « latitudes » ne seraient plus d’un grand secours. Il faudrait alors se contenter de l’ « aiguille » (la boussole), de sondages et du bon jugement que Dieu avait donné au capitaine.

Gama emportait aussi des copies des écrits concernant la route des Indes, y compris la dernière relation de Pero da Covilhao. Ce personnage au destin extraordinaire avait reçu mission du roi Jean Il de Portugal, en 1487, de rejoindre les Indes par la voie terrestre tandis que Dias partait par la mer. Il avait gagné Alexandrie par Valence, Barcelone, Naples et Rhodes, puis Aden et l’Inde. Revenu au Caire en 1491, il avait fait parvenir au roi deux lettres, l’une sur la route de l’Inde par la mer Rouge et l’autre sur la voie du golfe Persique avec un détour par La Mecque, itinéraire totalement exceptionnel pour un Occidental. Ce fut ensuite le silence sur son sort pendant près de trente ans. Un envoyé portugais devait le retrouver en 1525, marié et installé pour toujours en Abyssinie.

Vasco de Gama ne partait donc pas totalement à l’aventure. Au contraire de Colomb, sa destination finale était bien définie. Mais son voyage serait plus long et les populations rencontrées peut-être plus dangereuses. Aussi garnit-on les châteaux des navires de deux rangées de canons et embarqua-t-on des arbalètes, jugées plus sûres que les arquebuses.

Une détermination sans failles

La détermination du capitaine se manifesta dès le départ. Pour éviter les calmes et les courants du golfe de Guinée, Gama, une fois arrivé aux îles du Cap-Vert, mit cap vers le sud, en passant au grand large de la côte africaine, entamant la plus longue traversée en haute mer jamais réalisée : quatre-vingt-treize jours de mer alors que Colomb avait traversé l’Atlantique en trente-six jours seulement. Il inaugurait la grande « volte », ce détour qui permettait de contourner des parages trop calmes, infranchissables à la voile. Arrivé dans les basses latitudes, aux environs du parallèle du Cap, il obliqua vers l’est à la faveur des vents portants que Dias avait découverts.

Le moment le plus difficile du voyage fut celui de la remontée le long de la côte orientale de l’Afrique, dans des eaux inconnues où soufflait un fort vent de terre. Les navires se trouvaient sans cesse repoussés vers le sud par un courant puissant, issu du canal de Mozambique. Plusieurs tempêtes et les ravages du scorbut eurent raison de la détermination de certains membres de l’équipage (ce voyage est le premier qui ait donné lieu à une description de la maladie). La fermeté de Vasco de Gama impressionna une fois de plus ses compagnons tandis que l’appel au surnaturel faisait une nouvelle fois recette. Ayant jeté le pilote et les rebelles aux fers, il aurait lancé les instruments de navigation par dessus le bastingage, affirmant que désormais Dieu était seul maître et pilote à bord.

Il lui fallut encore beaucoup de finesse et d’endurance quand vint le moment de négocier avec les potentats locaux et les marchands arabes. Ayant manqué Sofala, il fit escale à Mozambique, Zanzibar et Mogadiscio, rencontrant partout méfiance, ruses, voire hostilité. Les navires arabes régnaient en maîtres sur le commerce de l’océan Indien. Ils apportaient d’Arabie et d’Inde des cotonnades et des épices qu’ils troquaient sur la côte africaine contre de l’or et des esclaves (Zanzibar signifie, en persan « pays des esclaves » ). L’arrivée des chrétiens constituait une grave menace pour leur monopole.

Enfin, profitant de la mousson d’été, la flottille de Vasco de Gama mit à la voile vers le nord-est et toucha la côte indienne, deux lieues au nord de Calicut, le 20 mai 1498, après plus de dix mois de navigation.

Le voyage de Vasco de Gama
Le voyage de Vasco de Gama |

Bibliothèque nationale de France

Des conséquences majeures

Le voyage de Vasco de Gama changea le cours de l’histoire. Il avait coûté deux navires et une centaine de vies humaines – pertes essentiellement dues au scorbut – mais il apportait au Portugal des bénéfices incommensurables. Indirectement, il devait entraîner l’affaiblissement du trafic maritime de Venise, dépossédée assez vite du commerce des épices. Gama fut aussi l’un des rares navigateurs à profiter pleinement de ses découvertes. Il repartit pour les Indes en 1502, avec toute une escadre, dans l’intention de transformer Calicut en colonie portugaise. Après avoir dévalisé et exterminé les 380 passagers d’un bateau venant de La Mecque, et coupé en morceaux un certain nombre d’otages pour l’exemple, il ramena à Lisbonne l’année suivante 35 000 quintaux de poivre, de gingembre, de cannelle, de noix de muscade et de pierres précieuses.

Il laissait derrière lui dans les eaux indiennes cinq navires commandés par son oncle, première force navale permanente stationnée par des Européens dans les eaux asiatiques. Il inaugurait une nouvelle voie commerciale, très allongée, puisque la distance totale, jusqu’à Calicut était de 22 000 miles, soit la circonférence du globe à l’équateur, mais sans transbordements ni lourdes taxes prélevées tout le long de la route.

Iconographie des villes de l’Inde
Iconographie des villes de l’Inde |

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La « bataille du poivre » gagnée par les Portugais

Le poivre, vendu quatre-vingts ducats à Alexandrie, n’en coûtait à Calicut que deux et demi à trois et demi, si bien qu’en 1504, les galères vénitiennes ne trouvèrent que très peu de poivre à acheter dans le port égyptien. La « bataille du poivre » était gagnée par les Portugais et l’Europe marchande se hâtait d’installer à Lisbonne ses représentants les plus actifs. La splendeur italienne était due pour une bonne part aux richesses importées par Venise et Gênes. Les trésors de l’Asie – épices, drogues, pierres précieuses, soieries – risquaient désormais d’échapper à ces opulentes cités. Ils ne parviendraient plus en Europe par le golfe Persique, la mer Rouge et le Levant, mais ils seraient acheminés sur des navires portugais doublant le cap de Bonne-Espérance.

À quarante jours de Calicut se trouvait Malacca lieu de production, pensait-on, des clous de girofle, et où affluaient aussi les porcelaines et les soies chinoises. Les Portugais voulurent développer leur prise de possession des mers indiennes et ils n’eurent pas de difficulté à imposer leur force. Les marins arabes savaient naviguer avec génie, mais étaient de tradition pacifique. Leurs navires, très maniables, montraient par ailleurs des signes de faiblesse insigne, puisque les planches étaient seulement nouées les unes aux autres par des cordes. Voilà sans doute pourquoi ils ne s’aventurèrent jamais dans l’océan Atlantique, trop rude pour eux. Le Coran, il est vrai, les en dissuadait fortement, en déclarant que Dieu avait dressé « entre les deux mers » une barrière infranchissable.

Cette maîtrise de l’océan Indien fut essentiellement l’œuvre d’Alfonso de Albuquerque, deuxième vice-roi portugais des Indes. II fit de Goa la capitale des possessions portugaises en 1510, s’empara de Malacca en 1511 et d’Ormuz, la porte du golfe Persique, en 1515. II initia les échanges maritimes avec le Siam, les Moluques et la Chine.

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