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L’Italie de la Renaissance : un pays, cinq États 

Allégorie de la guerre entre Venise (lion) et Padoue (taureau)
Allégorie de la guerre entre Venise (lion) et Padoue (taureau)

Bibliothèque nationale de France

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Face aux grands États monarchiques comme la France ou l’Angleterre, dont la tendance est plutôt à la centralisation, les États italiens offrent à la Renaissance l’image d’une mosaïque d’États rivaux aux constitutions très diverses. Mais partout ou presque, face au recul des forces communales progresse le pouvoir princier. Par-delà de la diversité des constructions institutionnelles, il donne sa cohérence à l’ensemble politique que constitue l’Italie, parcourue d’un même mouvement culturel, l’humanisme, et artistique, la Renaissance.

L’évidente fragmentation politique

L’Italie de la fin du Moyen Âge (vers 1350)
L’Italie de la fin du Moyen Âge (vers 1350) |

Bibliothèque nationale de France 

Force est de constater le fractionnement de la péninsule sur le plan géographique et institutionnel. Elle est constituée par une grande variété de régimes, depuis la commune indépendante (comme Sienne ou Lucques) jusqu’à la monarchie sacrée (Naples) ou élective (la papauté), en passant par tout le spectre des États territoriaux, qu’ils soient d’origine communale (le duché de Milan), ou féodale (le duché de Savoie). De grandes républiques (Venise, Florence) s’opposent aux seigneuries, dont la taille et l’importance géostratégique varie au fil des alliances et des guerres (Milan, mais aussi les seigneuries « secondaires » mais culturellement brillantes de Ferrare, Mantoue, Urbino).

L’Italie lors de la Paix de Lodi (1454)
L’Italie lors de la Paix de Lodi (1454) |

Bibliothèque nationale de France 

La carte des puissances politiques n’en est pas moins, dès le Trecento, en voie de simplification, et aboutira en 1454 au système d’États que la paix de Lodi équilibre entre les « cinq Grands » selon la formule de Jean Delumeau : les républiques de Florence et de Venise, le duché de Milan tenu par les Visconti puis les Sforza, les États pontificaux centrés sur Rome, le royaume de Naples enfin aux mains des Aragonais.

La péninsule après les Guerres d'Italie (1559)
La péninsule après les Guerres d'Italie (1559) |

Bibliothèque nationale de France 

Cent ans plus tard, à l’heure de la paix de Cateau-Cambrésis (1559), les entités politiques et leurs limites n’ont pas varié substantiellement. Le bouleversement induit par les Guerres d’Italie n'est pas tant territorial que politique : depuis 1530 et la « pax imperialis » imposée par Charles Quint aux États italiens, les républiques sont durablement affaiblies ; Florence est devenue un principat officiellement dirigé par les Médicis, et tous les États de la péninsule – à l’exception de Venise, ébranlée par la défaite d’Agnadel en 1509, qui conserve une prudente neutralité – reconnaissent la toute-puissance des Habsbourg.

Des communes aux principats, un processus politique commun

Car l’Italie est une terre de suzeraineté imposée. Le Centre de la péninsule est occupé par les États pontificaux, et au Sud, le Royaume de Naples est vassal du Saint-Siège : il est donc soumis au pouvoir du pape d’un point de vue matériel comme symbolique. Encore au milieu du 15e siècle, le « regnum Italiae », qui correspond à l’un des cercles du Saint-Empire, comprend la plupart des États du Nord de la péninsule. Mais à l’issue d’un long combat contre les empereurs, les cités-états italiennes ont arraché le droit de se gouverner elles-mêmes.

Portrait équestre de Muzio Attendolo Sforza 
Portrait équestre de Muzio Attendolo Sforza  |

Bibliothèque nationale de France 

La mue vers des États indépendants du pouvoir impérial prend deux directions. Depuis les 11e-12e siècles, l’Italie s’était en effet constituée en communes largement indépendantes, quoique soumise théoriquement au pouvoir de l’empereur du Saint-Empire. Au 14e siècle, les seigneuries subvertissent lentement le fonctionnement des institutions communales selon un processus désormais bien connu. De fortes personnalités, militairement actives, souvent issues de vieilles familles appuyées sur de riches propriétés foncières, exercent alors une influence déterminante sur la vie politique agitée des cités d’Italie du Nord. Désignés capitaines du peuple, confirmés vicaires impériaux ou pontificaux, ces personnages s’engagent à assurer la paix intérieure ou la sécurité extérieure de l’État. Les Visconti, les Gonzague, les Este, les Montefeltre se hissent ainsi, entre le 13e et le milieu du 15e siècle, à la tête de ce qu’il convient désormais d’appeler des seigneuries. S’imposent alors à Milan, à Mantoue, à Ferrare, à Urbino, Modène ou Reggio des pouvoirs personnels de type princier et héréditaire qui se généraliseront dans une grande partie de la péninsule au 15e siècle sous la forme de marquisats et de duchés.

Plan de la ville de Florence où figure la Domus Vespasiani au bord de l’Arno près de l’église San Jacopo
Plan de la ville de Florence où figure la Domus Vespasiani au bord de l’Arno près de l’église San Jacopo |

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Ailleurs, les régimes communaux survivent soit sous forme oligarchique, où le pouvoir appartient à une petite élite (Venise, Gênes), soit sous une forme en apparence plus démocratique, mais qui n’est pas à l’abri de la mainmise de puissantes familles. Ainsi, la république de Florence est, à partir du milieu du 15e siècle, soumise au pouvoir de Cosme l’Ancien, qui impose à la ville un principat qui ne dit pas son nom. Ses successeurs héritent de cette fondamentale ambiguïté, et ce n’est qu’en 1532 que la situation est définitivement clarifiée, lorsque Charles Quint crée le titre de « duc des Florentins » pour Alexandre de Médicis, fossoyeur avec Cosme Ier de la république florentine.

Ces mutations ne se font pas sans heurts : à Rome, à Milan, à Florence, des révoltes ou révolutions aux accents « démocratiques », parfois inspirées des idéaux antiques, sont durement réprimées.

Dans le même temps, les plus puissantes de ces cités se lancent à la conquête de territoires situés au-delà de celui qu’elles gouvernent et qui les nourrit (contado), pour des raisons tant politiques qu’économiques : Milan se projette en Lombardie, Florence conquiert Pise et achète Livourne, Venise étend ses territoires en Terre Ferme, au nord. Elles sont à l’origine de la construction progressive des États territoriaux, en quête constante de légitimité, mais de taille et de qualité insuffisante pour leur permettre de résister aux menaces que constituent, dès la fin du 15e siècle, les puissantes monarchies de France et d’Espagne.

Une Italie de la Renaissance ?

Assurément, l’Italie de la Renaissance n’est pas qu’une « expression géographique », selon l’expression méprisante du chancelier autrichien Metternich en 1815. Dans son Italia illustrata (1474), qui est une défense et illustration de l’italianité par la géographie historique, Biondo Flavio décrit une personnalité géographique paradoxale, faite d’une grande variété de paysages rassemblée par l’unité linguistique de la langue italienne vernaculaire, « volgar illustre » que Dante a magnifié.

L’Italie illustrée par regions
L’Italie illustrée par regions |

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Elle est aussi une réalité politique, qui commence à être considérée comme telle par les contemporains dès l’époque du Grand Schisme, de l’éloignement du pape à Avignon et des derniers conflits entre les partisans de celui-ci (les guelfes) et ceux de l’empereur (les gibelins) au 14e siècle. Émergent alors les premières manifestations d’une revendication patriotique. Bien avant Machiavel et les « calamités d’Italie » de l’historien François Guichardin, l’aspiration à une péninsule sinon unie, du moins libérée du joug étranger structure la culture des élites italiennes.

Les 23 provinces italiennes
Les 23 provinces italiennes |

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Dès le 14e siècle, Dante et Pétrarque s’inquiètent des divisions de l’Italie, qui ouvrent la voie aux ingérences transalpines et aux pillages. Certains humanistes du début du 15e siècle voient aussi dans les entreprises expansionnistes du duc de Milan, Gian Galeazzo Visconti, le prélude à l’instauration d’un grand État, pourquoi pas un royaume, en Italie du Nord. À ces espoirs unitaires d’essence monarchiste, les humanistes florentins comme Coluccio Salutati ou Leonardo Bruni opposent l’idéal civique de liberté au nom du « bien commun » de toute l’Italie, reposant sur un équilibre des forces dont la paix de Lodi (1454-1494) sera le point culminant.

C’est par conséquent dans le rapport à l’« étranger », au « non-italien », en un mot au « barbare » qu’un dernier – et non moins important – trait commun doit être souligné : celui de l’existence d’une italianità  italianité »), qui se manifeste entre autres par un sentiment proto-national exacerbé face aux menaces que constituent les voisins transalpins.

Le Prince de Machiavel
Le Prince de Machiavel |

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Pour certains lettrés enfin, le combat essentiel est celui de la culture : en plaçant au-dessus de tout le « génie italien », les humanistes ont extrait l’Italie des contingences militaires et plus largement politiques. La promotion de la langue italienne – c’est-à-dire le toscan – et la diffusion des nouveautés artistiques issues de la Renaissance – au-delà même de l’existence de pôles artistiques bien distincts, comme Florence, Venise puis Rome – contribuèrent à l’existence d’une « Italie » autant sinon plus que les appels désespérés de Machiavel à rassembler les Italiens sous la bannière d’un « Prince ».

Un Lion (Venise) attaqué par un dragon (Milan)
Un Lion (Venise) attaqué par un dragon (Milan) |

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Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.

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