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Les enfants à la campagne

Les risques de la vie à la campagne
Les risques de la vie à la campagne

Bibliothèque nationale de France

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L’immense majorité des enfants médiévaux vit à la campagne. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, près de 90 % sont fils et filles de paysans. D’eux, on sait pourtant peu de choses. Ils n’apparaissent guère que dans les récits de miracles, les documents judiciaires évoquant les accidents dont ils sont victimes, et dans les cimetières.

Les sources archéologiques

Mieux encore que par les textes et l’image, les enfants sont connus par les sources archéologiques. Ils occupent entre 30 à 40 % des places dans les cimetières du Moyen Âge, où ils étaient enterrés avec soin. Les archéologues tirent de nombreuses informations de leurs ossements : d’abord, l’âge du sevrage, tardif (entre 18 mois et 3 ans et demi pour le haut Moyen Âge, par exemple), ce qui les protège du rachitisme ; ensuite, les âges au décès, qui révèlent les étapes dangereuses de leur vie d’enfant : 4 ans, l’âge d’une autonomie précoce, 1 an, l’âge de la mise au travail pour les garçons ; enfin, leur état général et leur santé, bonne le plus souvent, grâce à une alimentation basée, dans les premières années, sur le lait et les céréales.

Mort en bas âge
Mort en bas âge |

Bibliothèque nationale de France

De rares descriptions

Seule, peut-être, Christine de Pisan évoque l’éducation des enfants des pauvres et des ruraux dans l’un de ses ouvrages didactiques, le Livre des trois vertus, dans lequel elle donne des conseils aux « femmes de laboureurs » et aux « femmes de pauvres ». Aux premières, elle offre un catéchisme primaire, en quelques mots, qu’elles pourront enseigner à leurs proches, et un modèle de comportement pour leurs enfants, qu’elles devront surveiller et empêcher de « rompre haies pour aller voler des raisins, les fruits ou les légumes la nuit dans les jardins d’autrui ».

Les enluminures, bien que destinées à la haute noblesse, ne négligent pourtant pas l’enfance des campagnes : les aristocrates aiment à se distraire en observant les jeux des enfants, même ruraux. En outre, les artistes voyagent et, s’ils ne prennent pas la peine de pénétrer dans les chaumières pour regarder vivre les petits paysans, ils en rencontrent au pied des châteaux où ils font halte avec leurs nobles commanditaires.

Une bergère enceinte
Une bergère enceinte |

Bibliothèque nationale de France

Aussi voit-on de jeunes ruraux dans les herbiers, les livres de morale, les calendriers des livres d’heures, qui montrent les activités agricoles auxquelles ils ne manquent pas de participer ; les plus jeunes regardent les parents travailler et jouent à leurs côtés avec des cailloux, des copeaux de bois et des ballons en vessie de porc. Les plus âgés courent à côté de la charrue pour exciter les bœufs ou chassent les oiseaux qui picorent les semailles.

Bien que, à partir du 13e siècle, des écoles rurales s’ouvrent aux enfants des gros bourgs ruraux, rares sont les paysans devenus assez savants pour raconter leur enfance. Parmi eux figure Jean de Brie, brillant petit berger passé au service du roi de France Charles V. D’une bergère plus célèbre encore, Jeanne d’Arc, on connaît quelque peu la jeunesse, car les témoins de son procès ont été interrogés sur son mode de vie quand elle était enfant.

Une vie pleine de dangers

La vie rurale offre certes aux enfants les plaisirs des jeux dans la nature, l’agrément d’un air et d’une eau moins pollués qu’en ville, mais elle ne constitue pas pour autant un domaine protégé. La maison rurale n’est pas moins dangereuse que la maison urbaine, avec son foyer ouvert, sans cheminée, dans lequel trébuchent les enfants, quand ils ne font pas tomber en courant les pots à cuire pleins d’eau bouillante. Par la porte toujours ouverte vont et viennent les animaux domestiques, au rang desquels les porcs, souvent responsables de graves morsures. Les enfants risquent la noyade dans le bief des moulins.

Les accidents sont particulièrement nombreux le matin, lorsque la mère s’absente pour la corvée d’eau et pour aller nourrir les animaux. Les grands travaux des champs, entre mai et août, sont particulièrement propices aux catastrophes, quand les deux parents sont au travail hors de la ferme et qu’ils ne peuvent plus surveiller leur progéniture du coin de l’œil. D’une façon générale, les enfants sont laissés libres de se promener tout seuls dès l’âge de 3 à 4 ans. Certains se noient dans la mare ou dans le puits, d’autres se perdent en forêt…

Le départ pour le marché
Le départ pour le marché |

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Les dangers de la mise au travail
Les dangers de la mise au travail |

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Contrairement aux enfants des villes, ceux des campagnes n’ont pas de berceau, ou rarement, si bien qu’ils tombent du haut lit parental ou du hamac accroché au-dessus, ou se retrouvent à demi étouffés entre la couette (le matelas) et la courtepointe quand ils dorment avec leurs parents. Sur le sol de terre battue, les enfants trouvent mille petits objets avec lesquels ils se blessent : épingles, anneaux, fusaïoles tombées des fuseaux de filage de leur mère ; ils mangent de la terre, des charbons de bois ramassés sur le sol. Les aînés ont le devoir d’empêcher les bébés de commettre de telles bêtises, mais, dans la relative obscurité de maisons sombres et enfumées, quasi dépourvues de fenêtres pour préserver la température intérieure, c’est là chose difficile. Eux-mêmes ne sont pas à l’abri des accidents domestiques : les chutes de l’échelle dans la grange sont monnaie courante. C’est pourquoi les parents essaient d’emmener leurs enfants avec eux dans leurs activités laborieuses.

Les enfants au travail

Les filles et les garçons ne se voient pas investis des mêmes rôles. Les premières ont vocation à rester dans l’espace de la ferme pour aider leur mère. Les seconds sont commis aux tâches masculines : travaux des champs et des vignes, tonte, arrachage des mauvaises herbes, ramassage du bois, vente au marché.

La besogne ne manque pas et les aînés sont particulièrement mis à contribution : « Tard couché et tôt levé, voilà la vie que j’ai toujours menée », se lamente un grand frère, dans un fabliau du 13e siècle.

Les menus travaux

Quelques textes agronomiques et des dizaines d’images peintes dans les manuscrits détaillent les charges qui incombent aux enfants dans le monde paysan. Aux plus petits sont confiées les tâches ingrates, mais sans danger ni fatigue excessive : celles du petit jardinage, de la chasse aux insectes (hannetons), aux batraciens des jardins et aux oiseaux, qui viennent picorer les semences fraîchement dispersées dans les billons. Postés dans des cahutes au milieu des champs, ils sont chargés d’actionner des clochettes accrochées à des fils, sillonnant le terrain dès que les oiseaux se posent. À l’aide d’une fronde, ils suivent le semeur et tuent les corbeaux qui viennent lui chiper le grain à peine semé. Ils sont également chargés de grimper aux arbres pour cueillir les petits fruits, amandes, cerises ou olives. Ils suivent leur père dans ses travaux saisonniers (tonte des moutons, vendange), à la fois pour l’aider et pour apprendre les gestes du métier, et vont avec lui au marché où ils s’initient aux techniques de la vente des produits.

La tonte
La tonte |

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Les menus travaux : le ramassage du petit bois
Les menus travaux : le ramassage du petit bois |

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Les garçons aux champs

Dès l’âge de 8 à 10 ans, les garçons accompagnent leur père aux champs au moment des labours ; ils l’aident à guider le bœuf pour l’obliger à aller droit. Ce travail ne va pas sans fatigue ni sans dangers : la glaise est lourde et collante sous les pieds, les enfants glissent, le père ne peut arrêter le bœuf et le soc de la charrue laboure leurs jambes, les handicapant à jamais. La garde des troupeaux, qui débute au même âge, est tout aussi génératrice d’accidents. En plaine, il se trouve toujours un passant secourable, mais, isolés dans la montagne, les petits bergers blessés ne survivent pas à une chute dans un ravin.

Les filles à la maison

Les filles sont davantage à l’abri : leurs tâches domestiques et agricoles sont circonscrites autour de la maison, dans le poulailler, le jardin potager. Elles font la vaisselle, rangent la maison, nourrissent les volailles, ramassent les salades et les fruits, et s’occupent des bébés.

La pucelle
La pucelle |

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À partir de l’âge de raison, si l’on en croit l’exemple de Jeanne d’Arc – « Jeannette », comme l’appellent ses parents et ses proches –, la petite fille est initiée au filage puis, dans son cas, au métier de couseuse de toile de lin. D’autres fillettes se spécialisent dans des travaux textiles variés : broderie au point de croix pour les linges d’église, décoration de bourses ornées de perles, etc. Comme toutes les petites filles de son temps en milieu rural, Jeanne mène une vie active : elle fait le ménage, aide son père aux champs et nourrit les animaux, mais trouve néanmoins le temps nécessaire pour aller à la messe ou visiter les malades pendant que ses parents, qui n’éprouvent pas le besoin de la surveiller, la croient aux champs.

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