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Le renouveau du commerce et de l’artisanat

Une boutique de mercier
Une boutique de mercier

© Bibliothèque nationale de France

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Moteurs de la renaissance urbaine, le commerce et l’artisanat fleurissent à partir du 11e siècle dans les villes. Gagnant en richesse et en puissance, les populations citadines parviennent alors à s’affirmer politiquement, et à s’affranchir en partie des tutelles seigneuriales.

Une révolution commerciale

Les villes constituent un foyer de demande et d’échanges très actif. Vers l’an mil, le grand commerce se limitait au trafic de produits de luxe réservés à une infime minorité de puissants : l’aristocratie foncière. Mais en l’espace de trois siècles, du 11e au 13e siècle, il s’ouvre à des matières premières, des denrées alimentaires et des produits fabriqués devenus indispensables à des groupes sociaux plus larges : la bourgeoisie urbaine. Le terme de « révolution commerciale » n’est pas exagéré pour décrire cette évolution fondamentale pour l’ensemble de la vie économique.

Connaissant un climat plus chaud et une plus grande sécurité qu’auparavant, les campagnes du 11e au 13e siècle produisent des surplus agricoles (essentiellement le vin et les céréales) et artisanaux (le plus souvent textiles) qui sont échangés dans des foires locales, puis acheminés vers des foires plus importantes. Un véritable marché à l’échelle européenne, voire mondiale, se met ainsi en place, au cœur duquel se trouvent les villes marchandes.

Foires et marchés

Les marchands longtemps itinérants (on les appelait « les pieds poudreux » ) ont en effet besoin de rendez-vous réguliers pour traiter d’affaires en gros volumes. Les foires répondent à cette demande. Elles se multiplient dans les régions animées par le grand commerce international : la Flandre (Lille), l’Île-de-France (Saint-Denis), la Champagne (foires de Troyes, Provins, Lagny et Bar-sur-Aube). Ces dernières dominent le commerce européen aux 12e et 13e siècles.

Jour de foire
Jour de foire |

Bibliothèque nationale de France

Le développement des foires de Champagne

Leur extraordinaire développement est dû au dynamisme des comtes de Champagne qui ont tout fait pour canaliser dans leur comté ces flux de marchands. Ils ont amélioré le réseau routier (en construisant de nombreux ponts et en entretenant les routes) et fixé des lieux de foires, dont le calendrier couvre presque toute l’année. Les quatre principales villes (Lagny, Troyes, Provins et Bar-sur-Aube) deviennent des lieux de rencontres commerciales recherchés. Les comtes profitent de cette prospérité en prélevant des taxes sur le passage des marchandises ; en échange, ils accordent leur protection aux marchands ( « le conduit des foires », reconnu également par le roi de France) et assurent une organisation exemplaire des transactions.

Place du marché
Place du marché |

© Bibliothèque nationale de France

Un carrefour de l’Europe

Le maître des foires s’appuie sur une chancellerie chargée de rédiger les contrats de vente marqués du sceau des foires (à partir de 1247) et sur des sergents qui veillent à la régularité des accords. Deux tribunaux, l’un comtal et l’autre relevant du maître des foires, traitent les litiges commerciaux, nombreux dans un monde où la monnaie, les poids et les mesures varient d’une région à l’autre. Les marchands étrangers venus de toute l’Europe sont logés par « nations » dans des pâtés de maisons séparés. Les Anglais vendent de la laine, les Flamands des draps et des toiles, les Italiens des soieries, des épices, de l’alun et des produits de luxe (venus d’Orient). Les marchands du Midi offrent des cuirs et les Allemands des fourrures et des cuirs. Les techniques commerciales les plus élaborées (sous l’influence des Italiens) facilitent les échanges (lettres de change et diverses formes de crédit).

De nouveaux intermédiaires

Les agents de cette activité se diversifient ; ce ne sont plus quelques spécialistes juifs et italiens, mais des intermédiaires chargés par les seigneurs d’écouler des surplus agricoles, des fils de paysans, des bateliers et des débardeurs prêts à toutes les aventures pour sortir de leur modeste condition. De plus, l’Orient musulman aux grandes villes luxueuses (Bagdad, Alexandrie, Damas) manque de matières premières : bois, fer, étain et main-d’œuvre. Cette demande incite l’Occident à exporter ces produits. Les Italiens prennent la place d’intermédiaires entre l’Orient et l’Occident, en fondant des comptoirs sur tout le pourtour de la Méditerranée et au débouché des voies caravanières.

De nouveaux itinéraires

Mais, au début du 14e siècle, de nouveaux itinéraires commerciaux délaissent la Champagne. Des Italiens s’établissent en Flandre et en Angleterre, où ils achètent directement les draps. Le marchand sédentaire, représenté dans plusieurs succursales par des facteurs, remplace le marchand itinérant. Paris devient alors, grâce aux Lombards, une grande place financière ; les foires de Champagne périclitent inexorablement, malgré les ordonnances des rois de France pour tenter de les soutenir. D’autres foires émergent : Lyon, Beaucaire, Saint-Denis et le Lendit près de Paris.

L’artisanat et les corporations

À côté des marchands, les artisans constituent le deuxième grand groupe social des villes du Moyen Âge.

Des métiers plus complexes que dans les campagnes

L’artisanat urbain se distingue de l’artisanat rural par une extrême division des tâches. Pour prendre l’exemple du textile, une famille paysanne est capable d’assurer à elle seule toutes les opérations nécessaires à la confection d’une toile ou d’un drap grossiers, tandis qu’en ville chaque opération différente correspond à un métier, avec sa propre organisation et ses règles de vie.

Une boutique de mercier
Une boutique de mercier |

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De plus, l’apprêtage du tissu est bien plus élaboré en ville. Entre l’arrivée de la laine brute et la présentation d’un drap prêt pour la vente, des opérations mécaniques, manuelles et chimiques sont nécessaires : le triage de la laine, le battage, le dégraissage, le peignage ou le cardage, le filage et le dévidage. Vient ensuite le tissage sur des métiers sans cesse perfectionnés. Les dernières opérations sont le foulage, la teinture et les ultimes apprêts du drap. Ces dernières activités très polluantes sont rejetées loin du centre-ville, près des cours d’eau. Les teinturiers ont en permanence les mains en contact de produits corrosifs, d’où leur surnom péjoratif d’ « ongles bleus ». À partir du 14e siècle, les drapiers des villes organisent une industrie drapière de qualité dans les campagnes à proximité des centres urbains.

L’apprentie couturière
L’apprentie couturière |

Bibliothèque nationale de France

Marchand de vêtements de soie
Marchand de vêtements de soie |

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Les métiers de l’alimentation sont également très dynamiques dans les villes ; de la même manière, une hiérarchie existe entre chaque catégorie, selon des critères de spécialisation mais aussi de pureté et d’impureté : les bouchers qui font couler le sang sont tenus à l’écart. Toutes ces activités artisanales et commerciales sont peu à peu organisées au sein des corporations.

Les apprenties couturières en habits de lin
Les apprenties couturières en habits de lin |

© Bibliothèque nationale de France

Les métiers jurés

Le terme de « corporation » a été inventé au 18e siècle. Au Moyen Âge, l’on parle d’art, de guilde, de hanse ou de métier, pour désigner des groupements de droit quasi public qui soumettent leurs membres à une discipline collective dans l’exercice de leur profession. Ces groupements accèdent rapidement à la personnalité juridique. Leurs statuts, approuvés et garantis par la commune et/ou le souverain, leur confèrent le monopole dans leur secteur d’activité (tout travail « libre » est dès lors interdit), les chargent de réglementer la profession et leur attribuent une police. Les membres du « métier juré » font le serment de respecter ses statuts et de s’assister mutuellement. Ce type de groupement est très diffusé dans la France du Nord.

La marchande de volailles (poules, coqs, pigeons, œufs)
La marchande de volailles (poules, coqs, pigeons, œufs) |

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Le marchand de cervelles
Le marchand de cervelles |

© BnF

Les métiers réglés

Dans le Sud, les métiers reçoivent leurs statuts de la commune, et ce sont les gardes consulaires qui assurent la police de la profession, notamment en Languedoc. Ces « métiers réglés » sont donc soumis aux ordonnances municipales. Des confréries professionnelles viennent peu à peu doubler les métiers et assurer l’encadrement religieux des artisans réunis sous la bannière d’un saint patron (saint Éloi pour les orfèvres, par exemple).

La hiérarchie interne des métiers repose sur la domination des maîtres sur les compagnons et les apprentis. L’accès à la maîtrise tend à se fermer à la fin du Moyen Âge et à se transmettre au sein des mêmes familles. La vocation de la corporation consiste à défendre les intérêts du groupe, lutter contre la concurrence et organiser l’entraide sociale (secours-maladie et secours-vieillesse). Des caisses d’entraide propres aux compagnons voient le jour à la fin du Moyen Âge.

Le marchand de viande salée
Le marchand de viande salée |

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Le marchand de viande caprine
Le marchand de viande caprine |

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À partir de la seconde moitié du 13e siècle, les métiers participent au gouvernement des villes, ce qui n’empêche pas le développement de tensions entre métiers majeurs et métiers mineurs et à l’intérieur de ceux-ci, entre maîtres, compagnons et apprentis.

Les institutions urbaines

Quelle que soit la taille de la ville, les habitants ont un sentiment d’appartenance à une communauté originale, qui se traduit par des institutions communales, une religion civique ancrée sur les mêmes fêtes et le culte collectif d’un saint patron qui donne en général son nom à la plus grande église de la ville.

« L’air de la ville rend libre »

Tout au long du Moyen Âge, des paysans quittent leur village pour s’installer en ville. Les notions de profit, d’ascension sociale et de liberté, propres à la ville, exercent une attraction certaine sur les paysans plus strictement encadrés dans les contraintes de la seigneurie, lieu de pouvoir et de prélèvement seigneurial. Un proverbe allemand du 15e siècle affirme que « L’air de la ville rend libre », ce qui explique l’attrait qu’elle exerce sur les paysans étroitement surveillés dans le cadre seigneurial.

En ville, les bourgeois se créent de nouveaux réseaux de solidarité qui s’entremêlent : la paroisse, la confrérie et le métier, où se retrouvent des compagnons de la même profession. Une véritable culture urbaine voit le jour. La fierté citadine s’affiche au travers de la cathédrale et des symboles des institutions communales : le beffroi et le palais communal.

La constitution des communes

Les institutions communales sont le fruit d’un compromis, plus ou moins pacifique, entre le seigneur et une conjuration d’habitants pour obtenir des privilèges : droit de se réunir, de délibérer et de juger. Le mouvement d’affranchissement touche les campagnes comme les villes, qui obtiennent, soit par négociation (Bourges en 1181), soit par la violence (Laon, 1111), des « libertés urbaines ». L’emprise des seigneurs sur les villes est limitée, et ces derniers reconnaissent la montée en puissance (économique et politique) des bourgeoisies marchandes et artisanales. Le plus souvent, contre le paiement annuel d’un cens au seigneur, les habitants de la ville échappent aux multiples redevances et services que ce dernier est en droit d’exiger d’eux. L’association jurée des habitants, qui aboutit à la constitution d’une commune, obtient la confirmation écrite de ses usages et coutumes, le droit de choisir en son sein des magistrats, chargés de défendre ses privilèges et d’exercer en son nom une juridiction plus ou moins étendue.

Ces franchises urbaines permettent aux marchands, majoritaires dans le mouvement communal, d’échapper aux tracasseries féodales et d’exercer leur métier en toute sécurité. Dans ce sens, ce mouvement prolonge celui de la paix de Dieu, apparu dès la fin du 10e siècle. Dans un premier temps, au 12e siècle, les Capétiens tolèrent ces franchises urbaines, puis, au cours du 13e siècle, ils reprennent en main les villes du royaume. La commune de Laon est ainsi cassée par Philippe Auguste dès 1190. Les souverains exigent alors une aide militaire et financière de ces « bonnes villes » placées sous leur protection.

Le temps des marchands

serait anachronique de confondre ce mouvement municipal avec une pré-démocratie urbaine, dans la mesure où il est rapidement confisqué au profit d’une élite constituée de nobles résidant en ville et de grands marchands ou maîtres de métiers les plus prestigieux (merciers, pelletiers).

Rue marchande au début du 16e siècle
Rue marchande au début du 16e siècle |

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Ce nouveau corps politique crée ses propres institutions : conseil d’échevins ou de consuls, dirigé parfois par un magistrat élu pour une année (maire ou bourgmestre). En Italie du Nord et du Centre, ce mouvement aboutit à la création de quasi-républiques urbaines qui imposent durement leur domination aux campagnes environnantes (contado). Ailleurs, le mouvement établit une autonomie très inégale selon les régions et les périodes, en matière de fiscalité, de droit, de défense et d’esprit public.

Les monuments emblématiques du mouvement communal sont l’hôtel de ville avec son beffroi, dont les cloches rythment « le temps du marchand » par opposition au « temps de l’Église » (J. Le Goff). Ces institutions produisent leurs propres archives authentifiées par leur sceau et conservées avec le trésor dans la salle du conseil. Des chroniques urbaines transmettent la mémoire propre à la ville. Celle-ci se mobilise dans des grandes cérémonies collectives : processions liturgiques et entrées royales, souvent mises en images ; on a pu évoquer à ce sujet une véritable « religion civique ».

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