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De l’Allemagne

Germaine de Staël
Dresde, vers 1810
Dresde, vers 1810

Bibliothèque nationale de France

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À la fois récit de voyage, réflexion sur la philosophie, les beaux-arts, la littérature, la religion, mais également la politique, De l’Allemagne est une œuvre majeure de Germaine de Staël, rédigée entre 1808 et 1810, qui sera censurée par Napoléon Ier. Il s’agit à la fois d’un essai sur la littérature, d’une illustration brillante de la théorie des climats énoncée par Montesquieu, d’un des premiers travaux de sociologie politique et d’ethnologie et enfin d’une remise en question complète de la domination française en Europe, tant dans les arts que dans la politique.
Charles-Eloi Vial parle de Stendhal
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Charles-Eloi Vial parle de De l’Allemagne de Germaine de Staël

Éloge des arts allemands

Johann Wolfgang von Goethe
Johann Wolfgang von Goethe |

Bibliothèque nationale de France

Entamé lors d’un voyage de Mme de Staël en Autriche et dans les différents états de la Confédération du Rhin, l’ouvrage, enrichi des conversations et des rencontres de son autrice, fut ensuite relu et critiqué par Benjamin Constant, et achevé à Coppet. L’œuvre alterne entre des chapitres descriptifs, mettant en scène la société allemande (« Le mariage de l’Empereur » ; « La Fête d’Interlaken »), et des chapitres plus théoriques présentant les idées et les acteurs de la nouvelle école de pensée allemande. Germaine de Staël renversait ainsi l’idée de la suprématie de l’Empire napoléonien sur les lettres et les arts et incitait clairement les auteurs français à prendre exemple sur l’autre côté du Rhin. Les traductions de poèmes ou d’extraits de tragédies allemandes que Mme de Staël fit figurer dans certains de ses chapitres permirent ainsi de faire connaître en France la philosophie de Kant, le poète Herder, inspirateur du Sturm und drang, les œuvres du dramaturge Lessing, les tragédies de Schiller comme La Fiancée de Messine, et surtout Goethe, dont elle commente le Faust, mais aussi certains romans comme les Souffrances du jeune Werther.

Quelques critiques français ont prétendu que la littérature des peuples germaniques était encore dans l’enfance de l’art ; cette opinion est tout à fait fausse.

Germaine de Staël, De l’Allemagne, 1813

Gluck au clavecin
Gluck au clavecin |

Bibliothèque nationale de France

Cet intérêt pour la littérature lui permit d’utiliser, pour la première fois en langue française, le mot « romantisme », inventé selon elle pour désigner « la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme ». Son appréciation des œuvres d’art allemandes relève de la même analyse, puisqu’elle y loue la peinture de la fin du Moyen Âge, tout en se livrant à un éloge soutenu des galeries princières allemandes, notamment celle de Dresde, dans l’instruction et l’inspiration des artistes. Elle y fait aussi l’éloge du peintre Anton Mengs, inspiré par les réflexions de Winckelmann sur l’art antique. La musique n’échappe pas à ses réflexions, puisqu’elle évoque les œuvres de Gluck et de Haydn, tout en présentant les Allemands comme un peuple profondément musicien.

Grâce à Germaine de Staël, les Allemands étaient ainsi reconnus comme un peuple créatif, à l’égal des Italiens. Cela n'empêche pas l’autrice de faire preuve d’objectivité, et même se montrer critique envers l’Allemagne, comme lorsqu’elle écrit que « les poêles, la bière et la fumée forment autour des gens du peuple en Allemagne une sorte d’atmosphère lourde et chaude dont ils n'aiment pas à sortir ».

La censure de Napoléon

Pour des raisons politiques, Mme de Staël ne pouvait pas directement évoquer les premières contestations de la domination française en Allemagne, notamment le Discours à la nation allemande de Fichte écrit en 1806, ni le pamphlet L'Allemagne dans sa profonde humiliation, dont Napoléon avait fait fusiller l'éditeur à la même époque. Médiateur de la Confédération du Rhin, Napoléon était d’ailleurs complètement absent du livre, et n’était évoqué, qu’en filigrane, par le portrait de Frédéric II de Prusse, dans des allusions à Charles Quint ou à Attila.

Confédération des états du Rhin le 25 juillet 1806
Confédération des états du Rhin le 25 juillet 1806 |

Bibliothèque nationale de France

L’empereur des Français, qui put lire les épreuves du livre, y sentit une menace pour son projet politique d’une Europe sous domination française. Il en fit interdire la publication en septembre 1810, ordonna de brûler les épreuves et de détruire le manuscrit, qui fut miraculeusement sauvé par Mme de Staël. Elle fut forcée de quitter la France après avoir vainement tenté de plaider sa cause auprès de l’empereur, dans une lettre restée célèbre : « tant de gens demandent à Votre Majesté des avantages réels de toute espèce, pourquoi rougirais-je de lui demander l’amitié, la poésie, la musique, les tableaux, toute cette existence idéale dont je puis jouir sans m’écarter de la soumission que je dois au monarque de la France ? » Le ministre de la police Savary lui répondit : « il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait point, et nous n’en sommes pas encore réduits à chercher des modèles dans les peuples que vous admirez. Votre dernier ouvrage n’est point français ». 

Les prémices de l’Europe

La publication de ce livre à Londres en 1813, quelques semaines après Leipzig, la fameuse « bataille des nations », fit l’effet d’une bombe : les Allemands prenaient conscience de leur unité, mais ils se rendaient aussi compte qu'ils n'avaient pas besoin de la domination française pour exister en tant que nation. Le « génie allemand » était présenté comme tout aussi important selon Germaine de Staël que le « génie italien » ou le « génie anglais ». Pour elle, leur puissance créatrice devait permettre aux Allemands d’en finir enfin avec la féodalité.

Grâce au livre de cette illustre voyageuse, on se décida enfin, au-delà du Rhin et sur les bords de la Seine, à faire plus ample connaissance avec nous.

Johann Wolfgang von Goethe, Mémoires, Paris, Charpentier, 1886

De là découle le sentiment national allemand, qui allait mener à l’unification en 1871, mais aussi, par ricochet, à la prise d’indépendance de nations autrefois morcelées mais unies par une culture commune comme l’Italie, la Belgique, la Pologne ou la Hongrie. Il s’agit donc du fondement même de l’idée d’Europe des nations, à l’origine de toute la diplomatie européenne du19e siècle, mais également des origines de l’Europe actuelle. Par son rejet du despotisme et son refus de la censure, il s’agit d'un manifeste de la pensée libérale, dont Mme de Staël est l’inspiratrice, mais aussi d’un jalon majeur dans la naissance du romantisme.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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