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Lorenzaccio

Alfred de Musset
Illustration pour l’acte I de Lorenzaccio
Illustration pour l’acte I de Lorenzaccio

© Bibliothèque nationale de France

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Lorenzaccio est considéré comme l’archétype du drame romantique pour plusieurs raisons : une pièce située à une autre époque et dans un autre pays, la bienséance foulée aux pieds, les règles classiques non respectées… Mais c’est surtout le personnage de Lorenzo qui donnera sa postérité à l’œuvre. Il incarne un héros torturé et solitaire qui concentre toute l’action, épris d’absolu et qui, sous une fragilité et une infamie apparentes, élabore cependant un dessein glorieux et noble, jusqu’au sacrifice.

Résumé de l’intrigue

Acte I
Acte I |

Bibliothèque nationale de France

Acte I
À Florence en 1537, le duc Alexandre de Médicis règne sur la ville et mène une vie de débauche et de déshonneur avec son cousin surnommé « Lorenzaccio », le mauvais Lorenzo. Le peuple de Florence se lamente sur la terreur et la dépravation régnant sur la ville tout en regrettant la République. Parmi l’entourage du prince, Julien Salviati salit l’honneur de Louise Strozzi, fille d’une famille opposée à la sienne. Parallèlement, l’honorable marquise Cibo, courtisée par le duc, songe à céder à ses avances dans l’espoir de l’influencer et de le rendre vertueux.

Acte II
Pierre Strozzi annonce son intention de venger l’insulte faite à sa sœur, provoquant ainsi l’inquiétude de leur père Philippe, chef du camp des républicains. Pierre blesse au combat Julien Salviati qui demande vengeance au duc. Le Cardinal Cibo, beau-frère et confesseur de la marquise Cibo, encourage celle-ci à devenir la maîtresse d’Alexandre de Médicis.

Acte III
Lorenzo révèle longuement son projet secret à Philippe Strozzi : tuer Alexandre. Il s’est compromis depuis des années auprès du tyran pour ne pas éveiller les soupçons, sacrifiant son âme, sa bonté et sa vertu dans l’entreprise. Déçu par le genre humain dont il côtoie la lie depuis longtemps, il est toutefois conscient que son geste ne sera pas suivi d’une rébellion.

Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ?

Alfred de Musset, Lorenzaccio (III, 3), 1834

La marquise Cibo se donne au duc qui se lasse vite de ses leçons de morale. Pierre Strozzi informe son père qu’un complot républicain pour renverser le duc se prépare, mais Philippe hésite à mener cette rébellion. Les fils Strozzi sont arrêtés ; au cours d’un banquet des conjurés, la jeune Louise Strozzi meurt empoisonnée, ce qui provoque l’indignation des républicains.

Acte IV
Acte IV |

Bibliothèque nationale de France

Acte IV
Au palais Cibo, la marquise, accablée par l’échec de sa manœuvre auprès d’Alexandre, décide d’avouer son infidélité à son mari. À sa sortie de prison, Pierre Strozzi apprend la mort de sa sœur Louise et tente de convaincre son père de soulever les opposants aux Médicis. Celui-ci refuse de mener cette insurrection qui ne verra jamais le jour puisque les républicains, par indifférence ou lâcheté, refusent de suivre Pierre. Pendant ce temps, Lorenzo prépare son plan et fait le tour des maisons républicaines pour annoncer la mort prochaine du duc et l’opportunité de prendre les armes, mais il n’est pas pris au sérieux. Alexandre, pourtant mis en garde que Lorenzo veut le tuer, ne se méfie guère et se fait assassiner.

Acte V
Les Florentins ne s’étant effectivement pas rebellés, la succession d’Alexandre s’organise sans entrave et Côme de Médicis est désigné duc. Lorenzo, qui s’est enfui à Venise, comprend que son meurtre n’a servi à rien ; il apprend l’exil en France de Pierre, la réconciliation de la marquise Cibo avec son mari et la mort de sa propre mère. Se promenant dans les rues de la ville, il se fait poignarder par les émissaires de Côme puis son corps est jeté dans la lagune par le peuple.

Lorenzo, un héros shakespearien

Lorenzaccio, aujourd’hui un classique, a longtemps été considéré comme une pièce « maudite » : supposée injouable selon Alexandre Dumas fils car très longue et nécessitant trop de décors (elle compte 39 scènes, 69 personnages et 25 lieux scéniques !), elle a été ignorée jusqu’à la fin du 19e siècle. C’est pourtant un modèle du drame romantique, notamment par son personnage principal, à la personnalité double : dépravé en apparence, vertueux en réalité. Double et même multiple, comme ses différents noms en témoignent : appelé tour à tour Lorenzaccio, Lorenzino, Renzino, Lorenzo de Medicis, Lorenzetta, selon que c'est le peuple, sa mère ou Alexandre qui le nomme, ses dénominations soulignent les divers aspects de sa personnalité.

Es-tu dedans comme au-dehors une vapeur infecte ?

Alfred de Musset, Lorenzaccio (III, 3), 1834

La contradiction permanente qui habite Lorenzaccio se traduit jusque dans son physique ; alors qu’il est tourné vers le beau, il donne l’apparence du mal : blafard, frêle, inquiétant, aux « joues couleur de soufre » (I, 6), son physique romantique traduit son mal-être intérieur qui le ronge comme une maladie. L’ancien Lorenzo réapparaît parfois mais sous forme de rêve, de fantôme ou de spectre.

Lorenzaccio, drame d’Alfred de Musset, représenté sur le Théâtre de la Renaissance
Lorenzaccio, drame d’Alfred de Musset, représenté sur le Théâtre de la Renaissance |

Bibliothèque nationale de France

Ce personnage marginal, solitaire, à la limite de la folie rappelle le Hamlet de Shakespeare ou le Fiesque de Friedrich Schiller dans La Conjuration de Fiesque, ces deux auteurs étant les grands modèles européens de l’époque. Musset a d’ailleurs préludé en déclarant dans une lettre de jeunesse : « Je ne voudrais pas écrire ou je voudrais être Schiller ou Shakespeare. »

Touché par le mal du siècle que Musset lui insuffle, Lorenzo ne se résout pourtant pas à rester passif ou à se détourner de la tyrannie et entame une résistance lente et secrète. Mais le drame de Lorenzo réside dans le fait qu’il sait son action vaine. Entre le moment où il s’est engagé dans cette voie et le présent, il a côtoyé les hommes, les connaît et s’est rendu compte qu’ils étaient lâches et velléitaires : ils ne se rebelleront pas après le meurtre d’Alexandre. Lorenzo sait son abnégation vaine.

Qu’importe que la conscience soit vivante si le bras est mort ?

Alfred de Musset, Lorenzaccio (III, 3), 1834

Un théâtre ancré dans son époque

Lorenzaccio est un drame romantique aussi car l’action est située en Italie (pays qui fascine tous les écrivains de la génération de Musset) et dans le passé. Il y a cependant de nombreux parallèles entre la Florence de 1537 et la France de 1834. Après les Trois Glorieuses de 1830, la jeunesse espère beaucoup de la nouvelle monarchie de Juillet de Louis-Philippe. Mais après quatre ans de règne, il s’avère décevant. La nostalgie qu’expriment dans la pièce les Florentins à l’égard de leur république perdue est à rapprocher de celle des Français qui regrettent la Révolution de 1789 et ses promesses. Ils voient certaines de leurs libertés amoindries, tout comme les Républicains florentins qui conservent une certaine fierté pour leur ancienne république, et parlent de « leurs droits », déplorant la débauche régnante instaurée par le duc Alexandre. C’est pourquoi Florence, omniprésente dans la pièce, est présentée comme une beauté souillée, un idéal saccagé. Ville des arts, de la prospérité et de l’éclat, elle devient une « forêt pleine de bandits », une « mère stérile », une « bâtarde », une « catin ».

Florence était, comme aujourd’hui, noyée de vin et de sang.

Alfred de Musset, Lorenzaccio (III, 3), 1834

Lorenzaccio. Sarah Bernhardt. Théâtre de La Renaissance
Lorenzaccio. Sarah Bernhardt. Théâtre de La Renaissance |

Bibliothèque nationale de France

Enfin, comme ses contemporains, Musset mêle allègrement les genres et les registres. Il alterne le tragique, le grotesque et le lyrique, il juxtapose les moments d’intimité et les scènes de peuple, les souvenirs heureux et purs (Jeannette étendant le linge) côtoient l’atroce (l’évocation du meurtre d’Alexandre avec force détails sanglants à l’acte IV, scène 9). Tout cela traduit un monde désordonné et absurde où la vie des hommes est soumise au hasard.

Alfred de Musset ne verra jamais la pièce jouée de son vivant et il faudra attendre 1896 pour que Sarah Bernhardt la monte en interprétant le tyrannicide. Mais ce n’est qu’en 1952 au festival d’Avignon, dans une mise en scène de Jean Vilar, que Lorenzo est incarné par un homme dans le rôle-titre : Gérard Philipe, dont la prestation fera date et restera dans la légende du festival.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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