Chateaubriand, les soubresauts d’une époque

Bibliothèque Nationale de France
Portrait de Chateaubriand
Catholique et breton, monarchiste et conservateur, le vicomte François-René de Chateaubriand est né à Saint-Malo en 1768 et passe sa jeunesse au château de Combourg. Il s’apprêtait à entrer dans l’ordre des Chevaliers de Malte au moment de la prise de la Bastille. Témoin des premières exactions révolutionnaires et du déclin de l’autorité du roi, il choisit, comme de nombreux aristocrates, de quitter la France en 1791 et décide de partir à la découverte des États-Unis pendant plusieurs mois. Mis à part quelques séjours en France, Chateaubriand continue de voyager, il s’installe en Angleterre, puis à Rome, voyage en Orient. Sous la Restauration, il occupe de grands postes politiques et diplomatiques. Suite à la révolution de Juillet et à l’avènement du gouvernement de Louis-Philippe d’Orléans, qu’il considère comme un « usurpateur », Chateaubriand se retire de la politique.
Il entame alors la rédaction de ses Mémoires d’outre-tombe, destinées à être publiée de manière posthume comme l’indique leur titre.
Chateaubriand a toujours écrit, à vif dans des journaux (Le Mercure de France, Le Conservateur, Le Journal des débats), ou dans la solitude, en exil à l’étranger ou en exil intérieur, retranché dans sa maison de la Vallée-aux-loups pendant le règne de Napoléon Ier. Ses romans René (1802) et Atala (1805) enflammèrent la jeunesse et Itinéraire de Paris à Jérusalem lui permit d’être élu à l’Académie française en 1811. Sa dernière œuvre, une Vie de Rancé (1844), biographie romancée d’un ecclésiastique du 17e siècle, ne connut qu’un succès limité.
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L’exil de l’enfant de Combourg

Château de Combourg
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Un farouche opposant à Bonaparte ?

Chateaubriand visitant les ruines de Sparte
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Passé définitivement dans l’opposition à Napoléon, il se présenta plus tard comme un ennemi implacable de l’empereur, qui fit fusiller un de ses cousins accusé de chouannerie et de contrebande en 1809. Chateaubriand fut en réalité étonnamment discret à cette époque : après un long voyage en Orient, il se retira dans sa maison de la Vallée-aux-Loups et y écrivit Les Martyrs, qui parurent en 1809. En 1811, son Itinéraire de Paris à Jérusalem confirma sa célébrité et lui permit d’être élu à l’Académie française.
Vertiges politiques
Après la chute de Napoléon en 1814, sa brochure De Buonaparte et des Bourbons, qui ruinait la figure de l’Empereur invincible et rappelait aux Français la gloire de leurs souverains légitimes, le propulsa d’un coup sur le devant de la scène politique, dont il fut un des acteurs majeurs sous la Restauration, malgré une carrière en dents de scie. Dès le retour de Louis XVIII, Chateaubriand mit sa plume au service de ses convictions politiques, en tentant de concilier sa fidélité sans faille à la monarchie avec son admiration pour les valeurs de la République, qu’elle soit française ou américaine.
Cette capacité à chanter aussi bien les louanges d’une monarchie chrétienne que d’un régime libéral le poussa successivement dans les bras des deux camps. Protégé par Talleyrand, il fut récompensé de ses services en 1814 par un poste d’ambassadeur en Suède, qu’il n’eut pas le temps d’occuper avant le retour de Napoléon de l’île d’Elbe. Réfugié avec toute la cour de Louis XVIII à Gand pendant les Cent-Jours, il fut même le chef de son gouvernement provisoire. Au retour du roi à Paris, il fut nommé pair de France et ministre d’État.

Entrée de Louis XVIII à Paris en 1814
Frère de Louis XVI, Louis XVIII (1755-1824) régna à la chute de Napoléon (1814-1815) lors de la Restauration que l’on doit à une coalition de puissances européennes partisanes de l’Ancien Régime (Angleterre, Russie, Prusse, Autriche, Suède). Exilé sous la Révolution française et le Premier Empire, il rentre à Paris le 3 mai 1814. Renversé par Napoléon durant les Cent-Jours, Louis XVIII revient au pouvoir après la bataille de Waterloo, jusqu’en 1824. Il meurt sans descendance. Son frère lui succède sous le nom de Charles X.
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Une première rupture avec le roi, qui s’était allié au parti libéral, le poussa vers le camp des ultra-royalistes après la rédaction de la brochure La Monarchie selon la Charte. Soutenu financièrement par le comte d’Artois, futur Charles X, il créa le quotidien Le Conservateur. Rappelé en politique en 1821 suite au tournant réactionnaire pris par Louis XVIII et le duc de Richelieu, il fut successivement ambassadeur à Berlin puis à Londres, avant de représenter la France au Congrès de Vérone, où naquit son « grand œuvre diplomatique » : la guerre d’Espagne, entreprise par la France avec l’accord des grandes puissances européennes, afin de délivrer le roi Ferdinand VII de ses propres sujets qui réclamaient un régime constitutionnel. À son retour en France, il obtint le portefeuille du ministère des Affaires étrangères.

Charles X, Roi de France
Charles X, ou comte d’Artois, est le frère de Louis XVI et Louis XVIII. Chef de file des émigrés contre-révolutionnaires, il s’installe en Angleterre jusqu’à la chute de Napoléon Ier. Son règne commence à la mort de Louis XVIII en 1824. De tendance ultraroyaliste, il durcit la monarchie constitutionnelle : la publication de quatre ordonnances, qui réduisent la liberté de presse et le corps électoral et dissolvent la Chambre, lui coûte son trône. Il abdique en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux, mais c’est Louis-Philippe d’Orléans qui est appelé par la Chambre et les députés pour régner.
Chateaubriand, qui s’opposait à la monarchie libérale de Louis-Philippe, rendit deux fois visite au roi Charles X, exilé à Prague au château du Hradschin avec son fils et son petit-fils, que l’écrivain espérait voir monter sur le trône un jour. En retrouvant le monarque détrôné, entouré de vieux courtisans obéissant toujours à l’étiquette de l’Ancien Régime, Chateaubriand finit par comprendre que la monarchie et les idéaux qu’il défend font désormais irrémédiablement partie du passé.
« Alors commença une scène d’un autre genre : la royauté future, dans la personne d’un enfant, venait de me mêler à ses jeux ; la royauté passée, dans la personne d’un vieillard, me fit assister aux siens. Une partie de whist, éclairée par deux bougies dans le coin d’une salle obscure, commença entre le Roi et le Dauphin, le duc de Blacas et le cardinal Latil. J’en étais le seul témoin avec l’écuyer O’Hégerty. À travers les fenêtres dont les volets n’étaient pas fermés, le crépuscule mêlait sa pâleur à celle des bougies : la monarchie s’éteignait entre ces deux lueurs expirantes. » (Mémoires d’outre-tombe, 4e partie, IV)
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Naissance des Mémoires d’outre-tombe

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L’échec de la publication d’un premier texte autobiographique, Le Congrès de Vérone, chez Delloye en 1838, ne le ralentit pas dans son travail d’écriture. En relisant sa vie et en se remettant en scène, dans un style d’une pureté inimitable, Chateaubriand donna ainsi naissance aux Mémoires d’outre-tombe, achevés en 1846, deux années avant son décès, et qui constituent un témoignage inimitable – bien que peu fiable – sur l’histoire de France de la fin de l’Ancien Régime à la monarchie de Juillet, mais surtout une fresque complète, convoquant des centaines de personnages majeurs de l’époque, tous admirablement décrits et mis en scène.

Funérailles de Chateaubriand
Chateaubriand est né à Saint-Malo sous le signe de la tempête marine : « J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. » Chateaubriand choisit de faire élever son tombeau face à Saint-Malo, sur un rocher au milieu de la mer, appelé l’îlot du Grand-Bé. Il meurt à Paris le 4 juillet 1848.
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Immense historien, écrivain majeur ayant inspiré toute la génération romantique, Chateaubriand incarne à lui seul l’esprit d’une époque, celle des Révolutions, prise entre sa fidélité, sa foi et ses idéaux, confrontée au goût de la liberté et à l’attrait de la modernité. Point d’équilibre entre le présent et le passé de la France, Chateaubriand choisit résolument de se réfugier dans le passé, incarné par sa nostalgie de la chevalerie et des premiers temps de la chrétienté, là où un de ses plus grands admirateurs, Victor Hugo, choisira la voix de la modernité, faisant de la république un point de ralliement et de la religion un idéal passéiste.

Bernard Degout parle de Chateaubriand
Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).
Lien permanent
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