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Rimbaud, le poète aux semelles de vent

Les Voyages forment la jeunesse [sic] (portrait d'Arthur Rimbaud)
Les Voyages forment la jeunesse [sic] (portrait d'Arthur Rimbaud)

Bibliothèque nationale de France

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Dix-sept ans, cheveux en bataille, regard clair perdu dans le lointain : telle est l’image que la photographie nous a laissé d’Arthur Rimbaud. Un cliché à l’image de sa vie, ivre de jeunesse, de liberté, de poésie et de grands espaces. 
Né le 20 octobre 1854 à Charleville, Arthur Rimbaud fut élevé essentiellement par sa mère. Le capitaine Rimbaud déserte le foyer familial en 1860, laissant quatre enfants, deux garçons et deux filles. Une des photographies de Rimbaud à dix-sept ans prise par Étienne Carjat le fixe à jamais en génie adolescent et le consacre aux yeux du public comme un être épris de visions.

Un écolier brillant

Arthur Rimbaud fut néanmoins d’abord un écolier brillant qui a tiré bénéfice de l’enseignement de l’époque, même s’il s’en est rapidement démarqué. « Le cahier des dix ans » comporte ainsi des provocations explicites de la part d’un élève déjà rebelle et les compositions latines qui suivent recèlent des impertinences érotiques et des positionnements politiques qui passèrent inaperçus des professeurs. 

Arthur Rimbaud et son frère, Frédéric, lors de leur première communion.
Arthur Rimbaud et son frère, Frédéric, lors de leur première communion. |

Bibliothèque nationale de France

L’institution scolaire est alors en partie aux mains des religieux : elle fait l’objet d’Un cœur sous une soutane, qui prend la forme d’un récit satirique où rien n’est passé sous silence. La guerre franco-prussienne sera pour Rimbaud l’occasion d’échapper à l’école et à une mère d’une grande sévérité.

La poésie, instrument de liberté

L’instrument de cette entreprise de libération est la poésie et Rimbaud entend bien faire carrière dans les lettres : il écrit et envoie des poèmes à Théodore de Banville, l’un des chefs de file du Parnasse qui constitue à cette époque l’avant-garde, devient l’ami de son professeur Georges Izambard, d’obédience républicaine, et a même bénéficié très jeune de l’honneur de quelques publications dans la presse périodique. 

Théodore de Banville (1823-1891)
Théodore de Banville (1823-1891) |

Bibliothèque nationale de France

Lettre à Ernest Delahaye
Lettre à Ernest Delahaye |

Bibliothèque nationale de France

Mais sa poésie se veut un exercice total de la liberté : elle est liée à la marche et se traduit, à l’été et à l’automne 1870, par deux fugues, à Paris puis à Douai. Durant ces échappées il donne naissance à un ensemble de vingt-deux poèmes que l’adolescent destinait à la publication et que l’on appelle, faute de titre ou de titre connu, « Cahier de Douai » ou « Recueil Demeny », du nom du poète dont Rimbaud espérait qu’il publiât pour lui le volume – et qui n’en fit rien.

Changer le monde par la poésie

La Commune de Paris crée ensuite chez lui un fort enthousiasme et accentue sa révolte. La politique et la poétique deviennent dès lors encore plus inséparables et, sans renoncer à l’idée de l’action personnelle, c’est d’abord en tant que poète que Rimbaud envisage de « changer la vie ». 

Lettre du Voyant
Lettre du Voyant |

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Deux lettres rédigées les 13 et 15 mai 1871 énoncent le projet du voyant, un des manifestes les plus inouïs de la littérature, qui fait état des moyens et des fins : « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! ».

Verlaine

Après l’écrasement de la Commune, Rimbaud entre en correspondance avec Paul Verlaine, avant de le rejoindre à Paris. Lors des dîners des Vilains-Bonshommes, qui réunissent une partie des Parnassiens, le jeune prodige impressionne et fascine l’assistance, mais il goûte surtout le cercle subversif qui se tient à l’Hôtel des Étrangers et a donné naissance à l’œuvre collective et collaborative Album zutique rassemblant une quinzaine de poètes anti-conformistes. 

Les « Trois » du dîner des « Vilains Bonshommes »
Les « Trois » du dîner des « Vilains Bonshommes » |

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Toutefois, dans les milieux littéraires officiels et même chez ses soutiens, le génie et le comportement du jeune poète sont la cause de nombreuses jalousies et animosités à son égard. Lors d’un dîner en mars 1872, Rimbaud blesse Carjat avec une canne-épée. Face à l’hostilité de la femme de Verlaine, il doit rentrer quelque temps à Charleville. 

En juillet 1872, il s’enfuit avec Verlaine à Bruxelles, puis à Londres : la rencontre de ces deux génies poétiques donne naissance aux Romances sans paroles et aux « Derniers vers » de Rimbaud qui se caractérisent par une agression contre le système rimique et, dans les vers composés, contre la solidité de la césure.

Lettre d'Arthur Rimbaud
Lettre d'Arthur Rimbaud |

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La poésie en prose 

La prose offre toutefois d’autres ressources. Les Déserts de l’Amour, puis Une saison enfer se succèdent. Ce dernier livre doit assurer à Rimbaud le succès et la reconnaissance. Dans cette œuvre virtuose qui est en même temps une confession dramatique, peut-être tragique, il se livre de manière ambiguë. Il y puise dans ses expériences, ses représentations et ses visions. Réussite littéraire, le livre est un échec commercial, faute d’avoir pu payer la facture pour les exemplaires imprimés. 

« Fausse conversion »
« Fausse conversion » |

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Un nouveau départ s’impose : ce sera avec Germain Nouveau en 1874, à Londres toujours. Rimbaud met au net les poèmes en prose des Illuminations et tente de les faire publier en 1875. Il y renouvelle profondément le genre du poème en prose, mais la publication n’aura pas lieu et signe la fin d’une carrière littéraire qui avait à peine commencé.

Rimbaud voyageur

Rimbaud se détache alors de la littérature. Certains ont voulu y voir une continuation de la poésie par d’autres moyens. Sans doute le caractère de Rimbaud n’a pas changé, mais son existence se résume alors en diverses activités pratiques (chantiers de construction à Chypre, vente de café à Aden et à Harar, commerce d’armes au Choa) et à des marches épuisantes dans le désert. 

Lettre d'Arthur Rimbaud
Lettre d'Arthur Rimbaud |

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Sa poétique était si audacieuse qu’il s’est pratiquement privé de lectorat. Le passage à l’âge adulte s’apparente donc à un abandon lucide, sans que l’on puisse écarter néanmoins l’idée d’une sorte de suicide. Épuisé, Rimbaud meurt amputé à Marseille le 10 novembre 1891.

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