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Nouvelle France Nouvelle Angleterre

«Pescherie de perles» (Antilles)
«Pescherie de perles» (Antilles)

© Bibliothèque nationale de France

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En 1494, le traité de Tordesillas avait donné la souveraineté sur les « Nouveaux Mondes » à l’Espagne et au Portugal. Mais au début du 17e siècle, les exclus du traité - Anglais, Français et Hollandais - réclamèrent leur part de rêve américain. En moins de vingt ans, le noyau de plusieurs colonies nord-américaines fut fondé. La cartographie accompagna pas à pas ces nouvelles implantations, dans leur essor comme dans leurs tribulations.

Au début du 17e siècle, les exclus du traité de Tordesillas, Anglais, Français et Hollandais, se retrouvèrent en rivalité de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe renaissait en Amérique et, en moins de vingt ans, le noyau des futures colonies nord-américaines fut fondé : Virginie, Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-France, Nouvelle-Néerlande, Antilles, Louisiane.

La cartographie accompagna pas à pas ces fondations, dans leur essor comme dans leurs tribulations. À la découverte de terres vierges succéda la recherche de ressources en hommes, en eau, en minerais, puis le partage et l’attribution des territoires en vue de leur exploitation, enfin la défense de ces nouvelles conquêtes revendiquées par les Indiens ou convoitées par les puissances ennemies. Plus que dans les autres continents investis par les Européens, la cartographie fut l’outil indispensable des colons d’Amérique du Nord, car leur relation à la terre y fut plus étroite qu’ailleurs. Elle se diversifia donc outre Atlantique comme elle l’avait fait en Europe, et chacun de ses artisans, qu’il fut arpenteur, hydrographe, ingénieur des fortifications, missionnaire, etc. nous permet de découvrir une facette différente de cette Amérique nouvelle.

La Floride

À l’image du Brésil, la Floride avait connu, la première, une brève occupation par des huguenots français entraînés par Ribault et Laudonnière en 1562-1568. Une prise de possession officielle avait eu lieu, avec plantation d’un « padron » fleurdelisé en présence des indigènes et de leur chef. Mais la minuscule colonie avait été anéantie par les Espagnols qui se livrèrent à un massacre mémorable.

Les « Floridiens »
Les « Floridiens » |

© Bibliothèque nationale de France

Le peintre de l’expédition, Jacques Lemoyne de Morgues, put néanmoins se réfugier en Angleterre avec son album de dessins et de précieuses cartes qu’il avait tracées. Elles indiquaient notamment les toponymes attribués à la Floride par les Français en souvenir de leur pays natal, en particulier aux fleuves la Loire, la Charente, la Garonne, etc. Les dessins et les cartes furent publiés parmi les récits de voyages réunis à Francfort par Théodore de Bry à la fin du siècle. Un demi-siècle plus tard, le géographe français Nicolas Sanson, manquant de documents récents, reproduisait encore les mêmes noms de lieux dans sa carte du Nouveau Mexique et de la Floride, alors qu’ils n’étaient plus que de lointains souvenirs.

La Virginie

Peu de temps après, les Anglais s’établirent en Virginie (1585), ainsi nommée par Sir Walter Raleigh en l’honneur de la reine vierge Elizabeth d’Angleterre. En 1620, une communauté anglaise de puritains fut autorisée à s’y réfugier, sous la houlette des fameux « Pilgrim Fathers », embarqués à Plymouth sur le Mayflower. À la suite d’une erreur de navigation, ils débarquèrent 800 kilomètres plus au nord, dans une contrée peu fertile et au climat rigoureux. Leur énergie pour survivre jeta les bases de l’Amérique du 42e parallèle, bien que cette communauté ait été, contrairement aux idées reçues, beaucoup plus intolérante et fanatique que libérale.

Le Canada

Au Canada, les Français se lancèrent, eux aussi, dans l’aventure de la « plantation », mais la recherche du profit coexista chez eux avec des préoccupations missionnaires. Les religieux catholiques étroitement associés à la colonisation de la Nouvelle-France, furent peut-être à long terme et involontairement, la cause de son échec final, en refusant l’immigration des huguenots et en perpétuant un système seigneurial archaïque. Parmi eux, la Compagnie de jésus se tailla, comme ailleurs, la part du lion. La conversion des Indiens fut pour les pères qui, rappelons-le, portaient un grand intérêt à la géographie, l’occasion de faire progresser la connaissance de l’intérieur du pays. Leurs cartes furent donc tout à fait novatrices et précieuses. L’une d’elles figure le supplice infligé par les Iroquois aux pères Lallemant et Brébeuf et à leur huit compagnons, en 1649, et nous rappelle que ces premières années de mission furent aussi un long martyrologue. Une autre de leurs cartes – aujourd’hui perdue – permit à Nicolas Sanson de donner la première représentation des cinq grands lacs canadiens (1650).

Carte pour servir à l’éclaircissement du papier terrier de la Nouvelle-France
Carte pour servir à l’éclaircissement du papier terrier de la Nouvelle-France |

© Bibliothèque nationale de France

Samuel Champlain fut le véritable fondateur de la Nouvelle-France, avec la création de Québec en 1608. Pour atteindre ses objectifs, cultiver les terres d’Acadie, installer des postes de traite pour les trappeurs et les « coureurs des bois », trouver le chemin de la Californie et par là gagner la Chine et les îles aux épices, il rechercha le concours de certaines tribus indigènes, s’attirant ainsi bien des hostilités. Cependant le Canada, trop septentrional et trop pauvre, avec ses fourrures pour seule richesse, ne séduisait guère les métropolitains. Tout le monde connaît les phrases de Voltaire sur les « arpents de neige », « cause éternelle de guerre et d’humiliation », lorsque la France abandonna le Canada à l’Angleterre en 1763.

L’exécution du Père Jean de Brébeuf
L’exécution du Père Jean de Brébeuf |

© Bibliothèque nationale de France

Plan du fort des sauvages Natchez
Plan du fort des sauvages Natchez |

© Bibliothèque nationale de France

Avec le règne de Louis XIV et le ministère de Colbert, l’emprise de la métropole sur la Nouvelle-France fut renforcée. Dans le dernier quart du 17e siècle, un ingénieur hydrographe nommé Jean-Baptiste Franquelin fut établi à Québec pour seconder l’intendant Frontenac, qui voulait étendre son influence aux régions inoccupées. Ses relevés et ses cartes furent les premiers à consigner les éléments du paysage canadien, les foyers d’implantation française et des scènes de la vie indienne. Frontenac chargea également Louis Jolliet, que le père Marquette, de la Compagnie de Jésus, accompagna, de reconnaître le Mississipi. En 1673, les deux hommes furent les premiers Européens à atteindre ce fleuve par le nord et à le descendre en canot jusqu’au confluent avec l’Arkansas. L’étendue du continent vers l’ouest se confirmait, de même que l’orientation du Mississipi, dont on devinait qu’il se jetait dans le golfe du Mexique.

En avril 1682, Cavelier de la Salle, avec son associé jésuite le père Hennepin, compléta leur découverte en descendant le fleuve de bout en bout et baptisa solennellement Louisiane une contrée immense dont nul ne connaîssait encore les limites. Il ne parvint cependant jamais à retrouver l’embouchure du Mississipi par la mer, gêné par les multiples ramifications du delta, les marécages et les hauts-fonds. Lemoyne d’Iberville (qui avait aussi un acolyte religieux en la personne du père Marest) fut le premier à y parvenir en 1698. Il établit une base militaire sur le bord du golfe du Mexique et fonda véritablement la Louisiane, colonie stratégique qui avait pour mission de mettre en échec l’accroissement de l’empire anglais d’Amérique. Comme celle de la Nouvelle-France, sa croissance fut lente et son problème majeur demeura celui du peuplement : l’Amérique française possédait l’espace, mais l’Amérique anglaise avait les hommes. La Louisiane, rappelons-le, fut vendue par Bonaparte aux États-Unis en 1803.

Pertes françaises

La Nouvelle-France, elle, fut perdue dès 1763. Son apogée territoriale avait été atteinte en 1712. Dès 1713, en effet, le traité de Ryswick attribuait à l’Angleterre la baie d’Hudson, l’Acadie et Terre-Neuve sur laquelle la France conserva cependant un droit de pêche jusqu’en 1904. La richesse fabuleuse des bancs de morue de Terre-Neuve attirait toujours un nombre croissant de pêcheurs de toutes les provinces françaises. Témoignages de ces voyages réguliers, de rares cartes de navigation basques ont été conservées.

Après la perte de ces territoires, les Français ne possédaient plus, pour faire sécher la morue, que l’île du Cap-Breton, devenue l’île Royale. Afin de s’y protéger des attaques anglaises, ils choisirent en 1717 un havre sûr qu’ils fortifièrent pour le rendre imprenable et qu’ils baptisèrent Louisbourg. Rien ne fut épargné pour la construction de la ville, faite de pierres et de briques venues d’Europe et qui compta bientôt 4 000 habitants avec un trafic de 500 navires par an. Perdue et reprise de multiples fois, Louisbourg dut cependant se rendre définitivement en 1758.

Carte du cours de l’Ohio pour servir à l’intelligence des voyages du général Collot
Carte du cours de l’Ohio pour servir à l’intelligence des voyages du général Collot |

© Bibliothèque nationale de France

Au milieu du 18e siècle, la vallée de l’Ohio fut aussi l’objet de disputes entre les Anglais et les Français qui la considéraient comme essentielle à leurs communications. Un officier français fut même chargé de parcourir la région de l’Ohio supérieur en enterrant des plaques de plomb rappelant les droits du roi de France sur le territoire.

Les Antilles

Au contraire du Canada et de la Louisiane, les Antilles étaient les possessions d’Amérique auxquelles les Français tenaient. Ils s’y étaient aussi trouvés, au début du 17e siècle, en concurrence avec les Anglais, soucieux d’arracher aux Espagnols tout ce qui pouvait l’être. Les Anglais obtinrent alors la Jamaïque qui relevait des héritiers de Colomb, et les Français s’établirent dès 1635 à la Martinique, à la Guadeloupe et dans les îles avoisinantes.

En 1665, la partie occidentale d’Hispaniola devint la colonie française de Saint-Domingue. Au nord-ouest, non loin de la côte, se trouvait l’île de la Tortue, repaire des flibustiers et des boucaniers qui capturaient les taureaux sauvages de Saint-Domingue pour en vendre les peaux.

La grande richesse des Antilles était la canne à sucre dont les plantations, réalisées à partir de 1640-1650 remplacèrent celle du tabac ; mais l’indigo y jouait aussi un rôle important, provoquant en contrecoup l’effondrement de la culture du pastel en Europe. À la veille de la Révolution, la partie française de Saint-Domingue était le joyau incomparable des îles à sucre, avec 800 sucreries, 3 000 indigoteries, 450 000 esclaves noirs pour 40 000 blancs. Les cartes nous montrent un territoire bien irrigué dont la surface habitable est déjà entièrement peuplée.

L’île de la Tortue
L’île de la Tortue |

© Bibliothèque nationale de France

Le Nouveau-Mexique et la Floride
Le Nouveau-Mexique et la Floride |

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Dans cette Amérique dont le partage est désormais à peu près définitif, il semble cependant que les cartes de cette première époque coloniale nous montrent toujours les mêmes sites, les plus riches et les plus disputés. Alors que les Antilles et le bassin du Saint-Laurent faisaient l’objet de véritables cadastres, que certaines cartes figuraient les jardinets des fonctionnaires et les échafauds sur lesquels séchaient les morues, des milliers de kilomètres attendaient encore, au centre et à l’ouest du continent, les topographes et les hydrographes.

Certaines données géographiques importantes demeurèrent ainsi longtemps incertaines, telle la Californie. Dessinée à juste titre comme une presqu’île dès 1570, aux débuts de la cartographie américaine, elle devint une île vers 1620 à la suite de l’erreur d’un obscur religieux espagnol qui fit une mauvaise interprétation de certains rapports de navigation. Le hasard voulut que sa carte fût saisie par les Hollandais en même temps que le navire qui le ramenait en Europe. Dans l’euphorie de la capture, elle apparut comme un secret d’État et les cartographes crurent astucieux de modifier leurs cartes en conséquence. Les victimes de cette « intoxication » furent nombreuses : Nicolas Sanson, à Paris, mais aussi la plupart des géographes anglais, hollandais et allemands. Ils ne furent réellement détrompés qu’au milieu du 18e siècle.

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