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Les écritures lybico-berbères

On trouve des témoignages des écritures libyco-berbères, apparentées entre elles par la forme, de l'archipel canarien aux confins libyens et de la Méditerranée aux pays sahéliens - Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad. Ces écritures seraient employées depuis vingt-cinq siècles, de l'Antiquité carthaginoise et romaine à l'époque contemporaine et encore aujourd'hui par les Touaregs sahariens et sahéliens.

L'appellation générique « lybico-berbère » recouvre différents types ayant des caractéristiques communes mais dont l'expansion dans l'espace et dans le temps a abouti à la diversification d'une partie des signes et de leur valeur. Ce qui leur est commun, c'est le graphisme géométrique fait de traits, de courbes et de points, associés ou isolés, qui composent des signes non cursifs (non reliés entre eux). Le tracé, sans découpage en mots, s'inscrit selon des orientations verticales, horizontales ou en boustrophédon. Les signes ne représentent que des consonnes.

Aire d’extension des écritures libyco-berbères de l’Antiquité à nos jours
Aire d'extension des écritures libyco-berbères de l'Antiquité à nos jours

L'aire d'extension de ces écritures libyco-berbères correspond approximativement à celle des différents parlers berbères actuellement vivants ou disparus.
On distingue :
- les écritures libyques de la période antique, au nord de l'Afrique ;
- les écritures rupestres de périodes indéterminées, de l'Atlas saharien (Algérie), du Haut-Atlas (Maroc), du Sahara et du Sahel, de l'archipel canarien ;
- les tifinagh, caractères de l'écriture touarègue d'Algérie, de Libye, du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

Les écritures lybiques

Le libyque - du nom « Libye » que les Grecs donnaient à l'Afrique (et sans rapport avec la Libye d'aujourd'hui) - a peut-être précédé l'installation des Phéniciens dans l'actuelle Tunisie et la fondation de Carthage au 9e siècle av. J.-C. Ce que l'on en connaît provient d'inscriptions funéraires et monumentales retrouvées en grande quantité dans la Numidie antique (actuelle Tunisie septentrionale et Algérie orientale) et dans les Maurétanies (Algérie occidentale et centrale, et Maroc septentrional). L'inscription la plus anciennement datée est une dédicace, de la dixième année du règne de Micipsa, roi des Numides, soit 138 av. J.-C. Hormis ce cas privilégié, les autres inscriptions n'ont pu être datées. Mais les travaux des préhistoriens font remonter cette écriture au 7e ou au 6e siècle av. J.-C.

Stèle bilingue de Bordj Hellal
Stèle bilingue de Bordj Hellal
Les inscriptions libyques ont été relevées par centaines au Maghreb, surtout dans la région tunisienne de Dougga, et dans l'Est algérien. Elles ont été rassemblées principalement dans le corpus de J.-B. Chabot, qui comporte 1 125 inscriptions, et dans celui de L. Galand, qui a étudié vingt-sept inscriptions marocaines.

D'un point de vue linguistique, on considère généralement que le libyque serait le berbère de l'Antiquité. Les stèles bilingues punico-libyques et libyco-latines (images 1 et 2) ont permis d'établir la valeur d'une partie des signes, d'une partie seulement en raison de l'absence d'équivalences phonologiques complètes entre les langues en présence et des particularismes vraisemblables des parlers libyques. La première stèle bilingue (RIL1) fut découverte en 1631 par Thomas d'Arcos. Ce n'est que deux siècles plus tard, en 1849, qu'elle fut identifiée comme punico-libyque et rapprochée de l'alphabet touareg par F. de Saulcy. La dernière recension de M. Ghaki fait état de douze inscriptions bilingues lybico-puniques, de dix-huit libyco-latines.

Ce fut le point de départ de l'identification de beaucoup d'autres inscriptions lapidaires. Progressivement - au-delà de l'unité graphique -, il a fallu reconnaître la diversité des alphabets. On a longtemps considéré qu'il y avait un alphabet « oriental » pour la partie est du domaine et un alphabet « occidental ». Cette dichotomie, commode, ne correspond pas en fait à la réalité (image 3) et, comme l'a montré L. Galand, « il faut renoncer à tracer une limite géographique précise entre les deux alphabets » et « insister à la fois sur l'unité de l'écriture et sur la pluralité d'alphabets qui sont comme autant de facettes d'une culture » - alphabets qui correspondent vraisemblablement à des états de langue aussi variés pour ces époques anciennes qu'ils le sont aujourd'hui.

Stèle de Kerfala
3. Stèle de Kerfala
Stèle de Tirakbin
4. Stèle de Tirakbin

D'un point de vue graphique, certaines inscriptions libyques horizontales de droite à gauche ont pu être influencées par l'écriture punique, mais beaucoup d'inscriptions se présentent avec l'orientation traditionnellement verticale, tradition encore attestée aujourd'hui (images 4 et 5). Malgré l'abondance des matériaux, la langue libyque n'a pas été reconstituée en raison de la nature même des textes, limités le plus souvent à des dédicaces, à des généalogies et à des formules ; cependant, des repères lexicaux et de rares repères syntaxiques permettent de reconnaître des traits berbères. Des séquences répétées ont pu être identifiées, mais la plus grande partie des inscriptions a résisté au déchiffrement.
À part quelques manifestations tardives, la pratique de cette écriture a disparu au nord de l'Afrique, vraisemblablement à la fin de la domination romaine, vers le 5e siècle apr. J.-C.

Stèle d’Abizar
Stèle d’Abizar

Les écritures rupestres (libyques et touarègues)

Il s'agit d'écritures qui s'apparentent à la fois aux écritures libyques et à l'écriture touarègue, ayant sans doute, comme elles, des systèmes graphiques diversifiés. Certains caractères sont communs et d'autres n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre de ces traditions graphiques. Elles relèvent de périodes différentes, comme en témoigne le fait que certaines inscriptions sont lues partiellement, en totalité ou pas du tout par les Touaregs.

La variété des signes et l'évolution de ce qu'ils représentent - évolution du lexique et de la syntaxe, fragmentation des parlers berbères, contact de langues et de populations diverses - rendent le déchiffrement difficile. Il ne serait rendu possible que par des recensions systématiques et une comparaison méthodique de textes bien localisés.

Les sites les plus riches en inscriptions sont :
- au Sahara, les massifs de l'Ahaggar, du Tassili n'Ajjer et de l'Acacus ;
- au Sahel, les massifs de l'Adghagh des Ifoghas (Mali) et de l'Aïr (Niger) ;
- au Maghreb, les Hauts Plateaux algériens, et au Maroc (image 1) le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas.
Les sites montagneux sont propices aux gravures animalières et humaines et aux inscriptions : celles-ci peuvent être isolées, proches des gravures, ou bien les surcharger, sans que l'on puisse établir une relation directe entre les inscriptions et les gravures, souvent antérieures. Dans des cas privilégiés, on peut reconnaître l'association intentionnelle de l'icône et de l'inscription.

L’homme à l’inscription des Azibs n’Ikkis
1. L'homme à l'inscription des Azibs n'Ikkis : l'inscription est incluse dans le personnage

La gravure de « L'homme à l'inscription des Azibs n'Ikkis » ci-dessous , du Haut-Atlas, qui pourrait être datée du 6e siècle av. J.-C., selon G. Camps, en est un bel exemple.

Dans les sept îles de l'archipel canarien, très proche des côtes marocaines, une recension actuelle très approfondie montre une collection d'inscriptions dont les signes sont apparentés par la forme à ceux du continent. Tous les signes sont connus par les documents libyques et sahariens (images 3 et 4), ce qui ne permet pas cependant d'affirmer qu'ils ont la même valeur phonétique et que la langue locale qu'ils représentaient était berbère, malgré des indices toponymiques non négligeables : d'après les chroniqueurs espagnols du 15e siècle, chaque île avait une langue différente.

Fragment de la planche du chajasco
2. Fragment de la planche du chajasco

L'exemple d'une inscription sur bois, le chajasco d'El Hoyo de los Muertos, est unique et exceptionnel sur le plan de la conservation. Cette pièce daterait du 10e siècle (image 2). Les treize signes de l'inscription sont à rapprocher des alphabets libyques de l'ouest de l'Afrique du Nord (image 5) ou des alphabets touaregs.

3. Inscriptions rupestres d'El Julan
4. Inscriptions rupestres d'El Hierro
5. Inscription de Tinazoulin

L'écriture touarègue : les tifinagh

Avec un passé d'au moins deux mille cinq cents ans, il s'agit d'une des plus anciennes écritures du monde. C'est, après de très longues évolutions, l'état actuel des écritures libyques du nord de l'Afrique.
Jusqu'à présent, une dizaine d'alphabets traditionnellement utilisés par les Touaregs ont été recensés. Cinq d'entre eux sont présentés ci-contre, de gauche à droite : celui de l'Algérie, de la Libye, du Niger, du Niger-Mali et du Mali. Ils ont onze signes en commun (forme et valeur) sur un total de vingt à vingt-sept signes. Cette diversité tient aux variations phonologiques des différents parlers touaregs. L'évolution de la forme et de la valeur des signes actuels permet de déterminer les variants et les invariants par rapport aux écritures libyques : on dénombre six formes de même valeur et une douzaine d'autres signes qui ont même forme que les signes libyques mais une valeur différente (en tenant compte de certaines valeurs hypothétiques du libyque) ; d'autres n'ont aucune correspondance, ni graphique ni phonique.

Comme pour les libyques, la facture est géométrique mais les tifinagh ont en outre des lettres à points, isolés ou associés à des traits. Le système alphabétique actuel - non cursif - est resté consonantique, mais comprend deux semi-consonnes qui peuvent avoir fonction de voyelles : /w/ et /y/. Par ailleurs, le point /·/ ne peut être employé, traditionnellement, qu'à la fin d'un mot avec la valeur /a/ mais aussi, sporadiquement, avec la valeur /i/ et /u/. Ce point, qui indique la fin d'un mot ou d'une séquence, constitue une pseudo-segmentation dans une écriture qui n'en a pas.

Cette compacité graphique - sans segmentation et sans voyelles - est accentuée par l'usage de lettres à valeur biconsonantique : un signe représente deux sons, sous certaines conditions. Il ne peut s'agir que de deux consonnes conjointes, c'est-à-dire ne pouvant admettre oralement de voyelle médiane. Ainsi, en transcription latine, dans firt, « le mot », les deux dernières consonnes conjointes -rt seront écrites avec un signe combinant le signe O/r/ et le signe +/t/, soit . Dans d'autres cas, il peut y avoir association avec ou sans réduction de l'un des signes ou simplement changement d'orientation d'un même signe. Par exemple : # /j/, #/nj/ ; /d/, /nd/.Les écritures touarègues ignorent également le redoublement de la consonne, même quand il a une valeur grammaticale. L'écart est donc considérable entre le système de la langue orale et celui de la langue écrite.
Le sens de l'écriture est traditionnellement vertical, de bas en haut, mais il peut être également horizontal de gauche à droite et de droite à gauche, en boustrophédon et quelquefois en spirale.

Cette écriture a plus évolué au cours des dernières décennies qu'en deux mille ans, au contact des deux autres écritures connues, les écritures arabe et latine. Celles-ci ont donné l'exemple de la segmentation, c'est-à-dire du découpage de l'énoncé en groupes de signes qui constituent des mots distincts. Cette segmentation se fait par des blancs, ou par de grandes parenthèses dont la partie concave ferme la séquence déterminée.
Dans l'Antiquité gréco-latine, et sporadiquement dans l'écriture libyque, l'usage du point a été la première technique de séparation des mots, technique inégalement utilisée. Elle ne s'est pas généralisée dans les écritures libyco-berbères parce que le point y est déjà utilisé avec des valeurs vocaliques, à la finale du mot.

L'autre innovation consiste dans l'invention de signes vocaliques. On observe, dans ce domaine, une prolifération d'inventions individuelles qui n'ont pas encore abouti à un système vocalique cohérent, différenciant bien voyelles et semi-consonnes et mettant en évidence les proximités de sons et de formes. Depuis une quarantaine d'années, certains Touaregs arabisants ont adopté les voyelles brèves arabes, suscrites aux consonnes, rendant la lecture plus aisée, et l'orientation de la graphie arabe de droite à gauche. Le texte est segmenté et supprime les signes biconsonantiques.

Au début du siècle, le père de Foucauld chercha le premier à créer un système vocalique pour les tifinagh et proposa une orientation unique de l'écriture, de gauche à droite. Les Touaregs de l'Ahaggar ne l'adoptèrent pas. Actuellement, les évolutions graphiques, que l'on peut considérer comme populaires - n'obéissant pas à des suggestions extérieures -, vivifient un système d'écriture qui, récemment encore, perdait du terrain. Il est ranimé pour répondre à de nouveaux besoins et en tant que facteur identitaire et culturel.

À l'extérieur de la société touarègue, il y a, au Maghreb, réappropriation d'une écriture perdue bien avant l'islamisation et l'emprise de l'écriture arabe. Pour d'autres raisons, des initiatives multiformes, qui ne sont pas d'origine populaire, tentent de réinsérer un ou des alphabets en réutilisant environ la moitié des signes touaregs de l'Ahaggar et en remplaçant les autres jugés peu pratiques ou sujets à confusion, en créant des signes vocaliques et en supprimant les biconsonnes. Il s'agit de néo-tifinagh qui s'intègrent à la revendication identitaire, au même titre que la langue, au Maghreb. Des essais isolés de cursivité donnent à cette écriture l'apparence d'un syncrétisme entre les écritures arabe et berbère. Si cette tendance se généralisait, le terme tifinagh ne serait peut-être plus approprié.

Les graphies de secours ont été utilisées au Maghreb quand l'écriture avait été perdue. On peut faire remonter au 12e siècle les attestations les plus anciennes de textes berbères écrits avec l'écriture arabe dont les Ibadites d'Algérie et les Chleuhs du Maroc ont été familiers dans les siècles suivants. Les milieux judéo-berbères du Maroc ont également utilisé l'écriture hébraïque pour fixer des textes de la tradition juive appartenant aussi à l'oralité dans un pays sans tradition araméenne. Dans les années 1960, cette transmission orale et écrite était moderne et vivante.

Extrait du manuscrit de la Haggadah
Extrait du manuscrit de la Haggadah, Texte berbère en écriture hébraïque carrée

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