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Plusieurs cases ou cabanes des nègres

Détail du globe terrestre de Coronelli
Plusieurs cases ou cabanes des nègres
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Comme ces figures sont les premières qui m’obligent à parler des nègres et qu’elles sont dans la Nigrétie, qui donne son nom à tous les autres nègres, j’ai jugé à propos de dire ici quelque chose des nègres en général et quand je ferai l’explication des autres que le père Coronelli a représenté dans divers endroits de l’Afrique, je parlerai seulement de ce qui sera propre à la nation dont je ferai l’explication et pour ce qu’ils auront de commun avec le général je renverrai à cet endroit.

L’Afrique est une des quatre parties du monde, mais comme elle est située précisément au milieu de la zone torride, la trop grande chaleur de son climat et la trop grandes sécheresse de la plus grande partie de son terrain sont cause qu’elle est moins propre à être habitée que les autres parties du monde.

La plupart des Africains habitent le voisinage des côtes parce que les terres y sont beaucoup plus fertiles que dans l’intérieur du pays, ce qui vient du voisinage de la mer qui cause des rosées et des pluies qui arrosent ces contrées et en tempèrent la chaleur de l’air.

Les habitants de la Barbarie, les Égyptiens, les Abyssins et les Arabes qui se sont établis dans l’Afrique sont des peuples policés et civilisés et on les distingue fort du reste des Africains qu’on appelle en général du nom de nègre. C’est de ces derniers seulement dont nous avons à parler en cet endroit.

Les nègres pour la plupart mènent une vie plus sauvage et plus barbare que les sauvages de l’Amérique. Quelques-uns pratiquent fort imparfaitement la loi de Mahomet, d’autres sont idolâtres et il y en a beaucoup qui n’ont aucun culte de religion. Depuis deux siècles que les Chrétiens vont trafiquer avec ces peuples, ils se sont appliqués de tout leur pouvoir à les instruire, mais selon ce que j’en ai pu remarquer dans les relations, le christianisme n’y a pas fait un grand progrès.

Cependant, je me suis entretenu avec plusieurs hommes de ce pays-là, que j’ai trouvé bien instruits et plus capables de comprendre les choses difficiles que ne le sont pas nos paysans. Je veux bien que le long séjour qu’ils ont fait en Europe ait beaucoup contribué à leur former l’esprit, mais du moins peut-on présumer de là que s’ils voulaient s’appliquer aux sciences, qu’on les pourrait mettre en état de comprendre les vérités du christianisme. Les nègres ont, comme tout le monde sait un corps fort noir, ce qui leur vient de l’ardeur du soleil qui est fort grande dans tout leur pays. Ce qui a encore beaucoup contribué à les rendre de cette couleur c’est qu’autrefois ils allaient nus comme le sont encore la plupart d’entre eux, et il n’y a guère plus de deux siècles que les Européens qui fréquentent chez eux leur ont appris à s’habiller.

Quelques-uns s’appliquent à la culture de la terre, et sèment beaucoup de riz et de millet. Ils élèvent aussi grand nombre de bestiaux depuis qu’on leur en a porté d’Europe et les vendent aux vaisseaux qui passent aux côtes de leur pays. Ils ont des arbres fruitiers et surtout des palmiers dont la sève qu’on appelle vin de palme leur sert de boisson.

Ces peuples en général, s’adonnent à la chasse, tant des éléphants des buffles et autres animaux qu’ils tuent pour manger, que des lions, des tigres et autres bêtes féroces. Ils font la chasse à ces derniers non seulement pour les détruire, mais aussi pour avoir leurs peaux qu’ils trafiquent avec les Européens et dont ils font des bonnets qu’ils estiment beaucoup.

Plus des trois quarts de l’Afrique sont occupés par les nègres, savoir toutes les côtes de l’Océan, tant au levant qu’au couchant et l’intérieur du pays. Car la Barbarie, l’Égypte et l’Abyssinie, n’occupent que les côtes de la Méditerranée et celles de la mer Rouge.

Ce vaste pays se divise en quatre [?] grandes régions principales qui sont la Guinée, la Cafrerie et la Nigrétie. La Guinée est le long de la côte du couchant et s’étend depuis le cap Vert à 15 degrés au nord de la ligne jusqu’au cap Negro à 15 degrés au Sud.

La Cafrerie occupe toute la pointe de l’Afrique, depuis le cap Negro dont il vient d’être parlé, jusqu’au cap de Bonne-Espérance et continue de là le long de la côte du levant jusqu’à la ligne.

La Nigrétie est dans l’intérieur du pays autour de la rivière du Niger où ces figures-ci sont représentées.

Ces grandes régions sont composées de petits royaumes dont les rois sont souvent en guerre les uns contre les autres. Tous les nègres en général sont mauvais soldats et la plupart des relations disent des choses incroyables touchant leur lâcheté. Ils se servent d’arcs, de flèches et d’une espèce de lance qu’on nomme assagayes. Ils n’observent aucun ordre de bataille dans leurs combats, mais ils s’attachent beaucoup à faire des prisonniers pour les vendre aux marchands d’Europe qui les portent en Amérique pour travailler à défricher les terres, aux sucreries et à d’autres ouvrages dont ils s’acquittent assez bien.

Ce qu’il y a de particulier parmi ces nègres et qui est contre nature, c’est que le père vend son fils, le fils son père, enfin le plus fort le plus faible. Ce qu’on appelle la traite des nègres est le commerce le plus considérable qui se fasse parmi ces peuples.

Venons présentement aux nègres de la Nigrétie qui sont ceux de cet endroit et parlons particulièrement de leurs habits, de leurs manières de chasser les lions, et de leurs logements, ce qui fait le principal sujet de ces figures.

Les habits des nègres leur servent plus contre les rayons brûlants du soleil que pour les garantir du froid. La plupart portent une espèce de veste de coton semblable à une chemise de femme et un bonnet de même étoffe. Les plus qualifiés, et surtout ceux qui habitent proche le cap Vert portent des étoffes de soie rayée comme nos coutils. Il y en a beaucoup qui vont nus portant seulement un petit tablier fait de grains de verre enfilés et de différentes couleurs.

Les nègres chassent les lions de plusieurs manières. Pour les prendre au piège, comme ces animaux craignent fort le feu, ils se servent de flambeaux pour les pousser vers le lieu du piège. Ils leur font aussi la chasse à cheval et les tuent à coups d’assagayes, qu’ils lancent fort adroitement et avec beaucoup de force. Mais leur plus commune manière de faire cette chasse est à coups de flèches, ce que le père Coronelli a représenté proche de ces cases, vers le levant.

Les cases des nègres sont de petits logements ronds qui ressemblent beaucoup à nos glacières, la muraille qui porte le comble est fort basse, elle est faite de branches d’arbres et ensuite de terre franche. Elles n’ont point de fenêtres, ce qui fait qu’elles sont fort sombres, elles ne peuvent même guère recevoir de jour par la porte qui est si basse que les nègres se baissent pour y entrer, comme il se voit dans cet endroit. La couverture est faite de paille nattée par un bout, ce qui fait une espèce de frange large. Cette couverture n’est composée que d’une seule natte qui tourne en spirale, en commençant par le bas, et finissant en pointe par le haut. Quelques-uns font une double muraille, à leurs cases, ce qui forme entre deux, une espèce de galerie où ils serrent tous leurs ustensiles. Au milieu de la case, il y a un trou dans la terre, où ils mettent leur bouteille de vin de palme, pour le tenir frais. Ces sortes de logements de la manière qu’ils sont faits doivent être aussi frais que nos glacières, et par là, ils sont fort propres pour ces climats brûlants.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1681-1683
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Vincenzo Maria Coronelli (1650-1718), cartographe et cosmographe 
  • Description technique
    Charpente en bois, armatures métalliques, peintures
    Diamètre : 3,85 m. 2,3 tonnes
  • Provenance

    BnF, département des Cartes et plans, GE A 500 RÉS 

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm502200559t